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l'impossibilité du but, est-elle punissable comme la tentative ou comme le crime consommé subjectivé qui n'a manqué son effet que par une circonstance extrinsèque, indépendante de la volonté de l'agent et autre que l'inefficacité du moyen ou du défaut d'objet?

2° Peut-on, à priori et en pur Droit, différencier les actes simplement préparatoires et les actes qui constituent le commencement d'exécution auquel la loi subordonne la criminalité de la tentative?

3. Pour savoir si la tentative du crime n'est pas punissable à raison de l'interruption volontaire de l'agent, faut-il se demander à quelle inspiration cette interruption est due ?

4 Quand la loi pénale punit, par exception, la tentative de délit, cette tentative n'est-elle punissable, comme la tentative de crime, qu'autant qu'il y a commencement d'exécution non interrompue par la volonté de l'agent?

5° La loi pénale ne punit-elle pas quelquefois par exception, des actes purement préparatoires?

PREMIÈRE QUESTION.- Un homme veut commettre un meurtre; il s'arme d'un poignard, il frappe; mais c'est la nuit, il est sans lumière; il ne frappe qu'un cadavre; celui qu'il voulait tuer était, à son insu, mort d'apoplexie foudroyante; y a-t-il tentative d'assassinat? Il n'y a pas commencement d'exécution d'un assassinat impossible.

La volonté criminelle existe; mais le résultat final ne pouvait pas être obtenu. Sans doute si le

résultat eût été réalisable, sa non-réalisation n'eût pas affranchi l'agent de la pénalité. Mais, pourquoi? Parce que la société aurait couru la chance d'un préjudice, parce qu'il y aurait un commencement d'infraction qui légitimerait l'application de la loi pénale. Mais comme on ne peut pas plus commencer à tuer, que tuer un mort, il n'y a pas prise à la pénalité.

Je dirais la même chose de celui qui, ignorant l'ouverture de la succession de son parent collatéral, dont il est l'unique héritier, s'introduirait dans une maison devenue la sienne et s'emparerait, avee effraction, en croyant les voler, des deniers qui lui appartiennent. On ne peut se voler soi-même ; il n'y a pas de tentative de vol quand le vol est impossible. Je suppose que l'infraction soit possible; que l'agent n'emploie qu'un moyen en désaccord avec le but.

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L'agent s'est trompé lui-même sur la portée du moyen, ou bien il a été trompé, et, au lieu du moyen efficace dont il croyait user, il ne faisait, en réalité, usage que d'un instrument inoffensif.

L'agent qui a arrêté le projet de commettre un meurtre, décharge son arrie, par exemple, à une distance telle que celui qu'il veut atteindre ne court aucune espèce de danger; ou bien l'agent achète de l'arsenic; on lui livre, par erreur, une substance non vénéneuse; croyant administrer de l'arsenic, il administre cette substance qui n'a et ne peut avoir aucun effet nuisible.

Dans le premier cas la tentative n'a pas d'effet par

une circonstance à la vérité personnelle à l'agent, parce qu'il a tiré de trop loin, mais par une circonstance qui, dans son intention, ne devait pas l'empêcher d'atteindre le but final. Il ne s'est pas désisté de sa coupable résolution.

Dans le second cas, la tentative n'a manqué son effet que par une circonstance ignorée de l'agent, par une circonstance qui n'est pas même le résultat de son fait.

M. Rauter écarte, dans ces deux cas, l'application de la loi pénale, et ses deux solutions sont conformes à la théorie de M. Rossi que M. Lesellyer a aussi suivie (1).

Pour que la société ait le droit de punir, dit M. Rossi, il faut qu'elle puisse, de la criminalité des faits, conclure la criminalité de l'intention. Or, ici les faits n'étant pas susceptibles de causer préjudice, il faudrait suivre le procédé contraire et de la criminalité de l'intention, conclure la criminalité des faits; ce serait alors se jeter dans tous les dangers attachés à la punition de la pensée ou de la volonté.

Il faut bien évidemment écarter cet argument. Il n'est pas vrai que la constatation de la criminalité de la volonté arrêtée, ne puisse être demandée qu'au

(1) Traité de Droit pénal, t. II, chap. xxx, p. 310. Traité de Droit criminel, t. Ier, no 101. Lesellyer, t. I, no 48. L'article 301 du Code pénal définit l'empoisonnement : tout attentat à la vie d'une personne par l'effet de substances qui peuvent donner la mort, etc.

fait sous lequel elle s'est produite. C'est la volonté qui a présidé au fait qui doit le caractériser, et, par conséquent, ce n'est pas nécessairement et exclusivement le fait matériel qu'il faut apprécier pour juger cette volonté; mais l'agent a-t-il commencé à violer la loi ? C'est là la vraie question.

Qu'est-ce que la loi a défendu ? L'empoisonnement et le meurtre, et, partant, les actes qui pouvaient aboutir à l'empoisonnement et au meurtre. Elle n'a pu défendre, sous les peines de l'empoisonnement et du meurtre, des actes qui ne pouvaient, dans aucune hypothèse, aboutir à l'empoisonnement ou au meurtre, puisqu'elle n'a pas puni la volonté d'empoisonner ou d'assassiner. La loi a défendu les actes dangereux et non les mauvaises mais impuissantes résolutions.

Si la loi punissait, comme le dit Muyart de Vouglaus, l'effort pour commettre le crime, il faudrait rejeter les solutions de M. Rossi, de M. Rauter, de M. Lesellyer. La résolution criminelle a pu, en effet, se manifester par des actes extérieurs, si expressifs, que le but dont l'agent se proposait l'accomplissement ait le caractère de l'évidence.-Mais si la loi s'est moins préoccupée de l'immoralité de l'agent que du danger social, là où il n'y a eu, malgré la perversité de l'intention, aucun péril, elle peût, elle doit peut-être s'abstenir de frapper.

Pour frapper logiquement, malgré l'impossibilité du but, ou malgré l'impuissance du moyen employé pour atteindre le but, il faudrait que la société pro

elamât que les résolutions criminelles, formées, arrêtées, sont une cause suffisante d'alarme, de trouble, pour légitimer sou action; ce principe, une fois proclamé, qu'importerait que le moyen ne fût pas en rapport avec le but, ou que le but ne fût pas réalisable?

Dans l'état actuel de législation je ne comprendrais pas comment on punirait comme bigame l'époux, qui, pendant l'existence d'un premier mariage, aurait contracté un second mariage, mais avec l'époux qu'il croyait abandonner; j'emprunte l'exemple à M. Rauter, sans me charger, bien entendu, d'établir sa vraisemblance; je l'adopte parce qu'il met le point de la difficulté dans tout son jour.

Quant à ce point, ma théorie est, vous le savez, celle des partisans du système de la justice morale, limitée par l'utilité sociale. Je dois d'autant moins hésiter à la suivre, que, pour moi, la peine n'est pas une expiation morale, mais la sanction d'un commandement, et, encore une fois, notre loi n'a pas défendu, en thèse générale au moins, les mauvaises résolutions, mais bien les actes qui pouvaient nuire.

Toutefois, remarquez-le, pour écarter la pénalité, il faut que l'impuissance du moyen ou l'impossibilité du but soient absolues; une extrême difficulté, une invraisemblance d'accomplissement n'affranchiraient pas l'agent de la responsabilité pénale; ainsi il est hors de doute que si l'agent qui voulait commettre un meurtre manque son coup, parce qu'une force étrangère dé-. tourne sa main, parce qu'il est maladroit ou troublé,

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