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Il y a une plus grave et meilleure réponse : Tout châtiment injuste, si minime qu'il soit, est un malheur social. Est-ce à dire que, pour s'éviter la chance d'un châtiment injuste, il ne faille jamais punir? Non, sans doute. Eh bien ! si la peine de mort est nécessaire, pourquoi résisterait-on à cette nécessité sous le prétexte de la possibilité d'une erreur? L'irréparabilité de cette peine sera sans doute un motif grave de ne l'appliquer qu'avec beaucoup de réserve; mais ce n'est pas seulement pour la peine de mort que le doute absout; le doute ne saurait condamner même quand il s'agit de peines légères.

Il y a une considération qui domine cette question: La peine de mort a traversé les siècles; elle est écrite dans les législations de tous les temps et de tous les pays; elle a donc pour elle le témoignage de la conscience du genre humain. Cela veut-il dire, messieurs, qu'elle sera toujours nécessaire? Je n'en sais rien, mais j'espère que sa nécessité, qui s'est déjà amoindrie, finira par disparaître. Les cas dans lesquels on l'applique ont toujours été en se restreignant et en se réduisant. Mais ce n'est qu'au XVII' siècle seulement que la théorie, qui conteste d'une manière absolue la légitimité de cette peine, a pris quelque généralité et a

Plusieurs sont prévenus à tort et condamnés injustement, qui meurent toutefois justement, la justice divine les ayant amenés par un autre chemin à la peine, qui, pour être différée, n'est pas perdue. (Des Parlements de France, livre XIII, no 39, page 850.)

élevé cette question à la hauteur d'une question sociale. Antérieurement cette légitimité n'avait été contestée que par quelques voix solitaires, par quelques Pères de l'Eglise, par des écrivains ecclésiastiques, et enfin par quelques philosophes.

L'abolition de la peine de mort fut demandée bien des fois dans le cours de notre première révolution; elle fut réclamée par des hommes qui devaient bientôt en abuser monstrueusement ou en être les victimes. Etait-ce instinct et pressentiment? Voulaient-ils une garantie contre eux-mêmes ou pour eux-mêmes?

Au nombre des théoriciens abolitionistes étaient Robespierre et Marat. Il faut convenir qu'ils pratiquèrent singulièrement leur théorie. Malgré les observations dans le même sens de Péthion et de Duport; malgré le rapport de Lepelletier-de-SaintFargeau, la peine de mort resta inscrite dans le Code pénal de 1791. Presque sous le coup du poignard qui allait le frapper, l'ancien rapporteur de la Constituante, devenu membre de la Convention, Lepelletier-de-Saint-Fargeau, le jour même où il avait voté la mort de Louis XVI, portait à son libraire un manuscrit, dans lequel il réclamait l'abolition de la peine de mort.

Le 23 janvier 1793, Condorcet faisait à la Convention la proposition de cette abrogation.

<< Abolissez la peine de mort pour tous les délits a privés, en vous réservant d'examiner si vous de

<< vez la conserver pour les crimes contre l'État, « parce que les questions sont différentes. >> Fonfrède réclamait cette abolition le 17 juin 1793. Pelet-de-la-Lozère, le 8 brumaire an III. Champein-Aubin, le 30 nivôse an III.

Villetard, le 23 germinal an III.

Enfin la commission des Onze, dont le rapport fut défendu par Chénier, conclut à l'abolition de la peine de mort.

Le Code de brumaire an IV maintint la peine de mort; toutefois l'art. 612 laisse entrevoir la possibilité de son abolition.

Le 14 brumaire an IV, au moment où les pouvoirs de la Convention expiraient, elle vota un article de loi ainsi conçu: « A dater du jour de la publication <«< de la paix générale, la peine de mort sera abolie « dans la République française » (1).

Le Consulat, l'Empire et la Restauration ne se sont pas chargés de l'exécution de ce legs.

La Révolution de juillet a failli l'exécuter.

Le 17 août 1830, M. Victor de Tracy réclamait d'une manière générale l'abolition de la peine de mort, dans une pensée de générosité et de protection pour les anciens ministres de la Restauration, qui allaient être jugés.

(1) Il faut lire sur cette partie de l'histoire de la question de la peine de mort les brillantes pages de M. Ortolan : Introduction historique, p. 185 à 191.

La proposition fut accueillie séance tenante à l'unanimité, et fut l'objet d'une adresse au roi qui l'accueillit avec sympathie. Cette proposition n'eut cependant pas de suite.

Lors de la réforme de 1832 la question fut reprise, et le législateur se déchargea, si l'on prend droit par les paroles du rapporteur de la commission (1), du soin de la résoudre sur l'institution du jury, c'està-dire sur une juridiction qui n'en est pas une, puisqu'elle se renouvelle tous les jours, et que ses inspirations doivent nécessairement varier avec les éléments

qui la composent. N'était-ce pas incliner la souveraineté sociale devant la souveraineté individuelle et capricieuse de douze jurés?

Le 26 février 1848, une déclaration du gouvernement provisoire abolit la peine de mort en matière politique.

C'était le contrepied de la proposition de Condorcet. La Constitution du 4 novembre 1848 ratifia le déeret du 26 février.

La loi du 10 juin 1853, modificative des art. 86 et 87 du Code pénal, n'a pas fait revivre la peine de mort pour les crimes purement politiques.

Cette question philosophique ainsi résolue, j'examine quelles sont les peines établies par notre Code pénal et comment elles se divisent.

Les peines se divisent en peines applicables aux crimes, en peines applicables aux délits, en peines

(1) Voir Chauveau et Hélie, t. I, p. 15.

applicables aux contraventions et en peines communes à plusieurs classes ou même à toutes les classes d'infraction.

Je dis peines applicables à une des trois classes d'infraction; car les crimes, par exemple, peuvent n'être punis que de peines applicables aux délits, et ce, en vertu de la déclaration de circonstances atténuantes; mais les peines applicables aux crimes ne sont jamais appliquées aux délits : les délits peuvent aussi n'être punis que de peines applicables aux contraventions; mais les peines applicables aux délits ne sont pas appliquées aux contraventions.

Les peines applicables aux crimes se divisent en peines principales et en peines accessoires.

Les peines principales sont les peines qui frappent le condamné par elles-mêmes et directement; elles ne peuvent recevoir leur exécution qu'autant qu'elles sont expressément écrites dans la condamnation.

Les peines accessoires sont des peines qui n'ont pas besoin d'être prononcées, qui ne s'écrivent pas, qui ne doivent pas même s'écrire dans la condamnation, mais qui sont attachées comme conséquence implicite, comme une sorte d'appendice, soit à l'exécution de certaines peines principales, coit à l'irrévocabilité de ces peines.

Quelles sont les peines principales applicables aux crimes? Les peines principales applicables aux crimes se subdivisent en peines afflictives et infamantes, et en peines infamantes seulement.

Les peines afflictives sont celles qui s'attaquent

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