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ONZIÈME LEÇON.

PEINES ACCESSOIRES EN MATIÈRE CRIMINELLE.-Définition. -Mort civile.Dégradation civique.-Interdiction légale. Renvoi sous la surveillance de la haute police.-Historique de la mort civile.-La mort civile existait-elle dans le Code de 1791 et le Code de l'an IV ?-Art. 23 et 24 du Code Napoléon.-Art. 8 du Code pénal.-La mort civile est attachée à l'exécution de la déportation. La détention substituée par le pouvoir exécutif à la déportation entraîne-t-elle la mort civile ?-Réforme de 1832. -Réserve du droit d'accorder aux déportés l'exercice des droits civils ou de quelques-uns de ces droits.-Sa vraie signification.-Propositions de 1834 et de 1849, tendant à l'abolition de la mort civile.- La loi du 8 juin 1850 abolit la mort civile partiellement.-Quel est l'effet de cette lol sur les condamnations antérieures à la déportation ?-A quelle époque la mort civile est-elle encourue?-Condamnations contradictoires.-Condamnations par contumace. Sens de l'art. 28 Code Nap. -Loi du 2 janvier 1850.-Modification de l'art. 472.-Effet de la mort ou de l'arrestation du condamné dans la période de cinq ans depuis l'exécution fictive.— Arrestation ou comparution volontaire du condamné après les cinq ans, mais avant la prescription de la peine principale.-Mort du condamné après les cinq ans. -Art. 32 et 33 du Code Napoléon.-Dégradation civique. De quel jour date-t-elle ?-Ne devrait-elle point être attachée aux peines perpétuelles ?-Elle est aujourd'hui attachée à l'irrévocabilité de la déportation simple et de la déportation aggravée.~La dégradation civique survit-elle à la prescription de la peine principale? —Effet de l'arrestation ou de la comparution volontaire du condamné par contumace avant la prescription de la peine principale.-Effet de la mort du condamné par contumace avant la prescription de la peine principale. -Dissidence avec M. Demante.-Interdiction légale.-Son caractère.—Elle n'était attachée qu'à des peines temporaires.-Elle est aujourd'hui attachée à la déportation.-Commence-t-elle avant l'exécution effective de la peine? -Art. 29 du Code pénal.-La condamnation par contumace exclut-elle l'interdiction légale ?-Dissidence avec quelques auteurs et notamment avec Boitard.-Effets de l'interdiction légale.-Mort du condamné par contu

mace avant la prescription de la peine principale.-Ses effets, d'après M. Demante.-Objections.-Retour sur l'art. 27 Code Nap.-Etendue de l'incapacité résultant de l'interdiction légale.- Sanction de cette incapacité.-Renvoi sous la surveillance de la haute police.-Historique.--Code de 1810.-Avis du Conseil d'Etat des 4 août et 20 septembre 1812.Réforme du 28 avril 1832.-Questions transitoires.-Durée du renvoi sous la surveillance de la haute police. Art. 49 du Code pénal.-La peine accessoire du Renvoi sous la surveillance de la haute police est-elle prescriptible?-Abolition de la marque et du carcan comme peines accessoires. -Abolition de l'exposition.

MESSIEURS,

Je vous ai fait connaître les peines principales applicables aux crimes, et je me suis borné, à cet égard, à la reproduction des textes, ne trouvant pas grand profit pour vous dans de longues dissertations sur la valeur des peines établies par la loi. Je n'insiste, d'ordinaire, sur le Droit philosophique, qu'autant qu'il peut me rendre des services pour l'interprétation; qu'il peut me conduire, comme légiste, à des applications pratiques.

Vous savez que les peines en matière criminelle se divisent en peines principales et en peines accessoires j'ai aujourd'hui à vous faire connaître les peines accessoires; les peines accessoires, dans la vérité du mot, n'appartiennent qu'à la classe des peines applicables aux crimes. Il n'y a pas de peines accessoires en matière correctionnelle et en matière de police.

Les peines accessoires sont des peines qui n'ont pas

besoin d'être prononcées, qui ne s'écrivent pas, qui ne doivent pas même s'écrire dans la condamnation, mais qui sont attachées, comme conséquence implicite, comme une sorte d'appendice, soit à l'exécution de certaines peines principales, soit à l'irrévocabilité de ces peines.

Les peines accessoires, en matière criminelle, sont au nombre de quatre la mort civile, la dégradation civique, l'interdiction légale et le renvoi sous la surveillance de la haute police:

1° La mort civile est un legs du Droit romain. Sous notre ancien Droit, la mort civile pouvait résulter de trois causes: 1° de la profession religieuse dans un ordre approuvé par les lois du royaume; 2° de l'expatriation; 3° de certaines condamnations judiciaires à des peines perpétuelles (Ordonnance de 1670, titre XVII, art. 29; ordonnance d'août 1747, titre I", art. 24).

La mort civile, par suite de la première cause, n'a pas survécu au décret du 13-19 février 1790; la mort civile, par suite de la seconde cause, a été appliquée aux émigrés par le décret du 28 mars 1793. Ce n'était pas une peine accessoire, c'était une peine principale. A partir de la loi du 4 nivôse an VIII, l'expatriation a cessé d'entraîner la mort civile.

La mort civile a-t-elle été maintenue par la législation intermédiaire, par le Code pénal du 25 septembre 1791 et par le Code du 3 brumaire an IV, comme conséquence tacitement attachée aux condamnations à des peines perpétuelles?

La Cour de cassation, le 2 avril 1844 (1) a jugé que la condamnation à la mort naturelle entraînait la mort civile. Le Code de 1791 et le Code de l'an IV ne prononçaient pas d'autres peines perpétuelles que la

mort.

La question semble, au premier aspect, bien peu digne d'intérêt; qu'importe que la fiction s'ajoute à la réalité, que la mort civile accompagne la mort naturelle ?

Cela importe beaucoup, car de la solution de la question dépend le sort du testament du condamné.

La mort civile n'est pas, a-t-on dit, une peine isolée et indépendante; en maintenant la mort naturelle, on a maintenu tacitement la mort civile qui en était la suite. Elle a survécu par cela seul qu'elle n'a pas été abrogée. Enfin on a argumenté des art. 464, 480 et 481 du Code du 3 brumaire an IV qui traitent des contumaces.

Je crois qu'on peut et qu'on doit répondre que, si la mort civile est une peine accessoire, elle est cependant une peine; que, dès lors, elle ne peut résulter que d'un texte; que l'absence de texte est d'autant plus significative, qu'il y a eu une refonte complète de l'ancien système des pénalités. Quant aux textes invoqués du Code du 3 brumaire an IV, ils s'appliquent même aux contumaces condamnés à des

(1) Sirey 44-1-447. M. Demante, Cours analytique du Code civil, approuve cet arrêt. M. Achille Morin émet une opinion contraire, Répertoire, vo Mort civile ; mais il ne cite pas l'arrêt de la Cour de cassation.

peines temporaires; donc ils règlent un état d'incapacité qui n'équivaut pas à la mort civile. L'art. 482 en est la preuve "surabondante, puisqu'il n'ouvre la succession du contumax qu'au moment de sa mort naturelle, ou que cinquante ans après la date de sa

condamnation.

Le Code Napoléon a rétabli la mort civile; il nel'a attachée comme conséquence qu'à l'exécution de la mort naturelle; mais il annonçait que la mort civile pourrait être attachée comme conséquence à l'exécution de certaines peines perpétuelles (art. 23 et 24, Code Nap.).

L'art. 18 du Code pénal attacha la mort civile aux travaux forcés à perpétuité et à la déportation; cependant il déclara que les condamnés à la déportation pourraient obtenir, dans le lieu où ils seraient déportés, l'exercice des droits civils ou de quelques-uns de ces droits. Tant que la substitution de la détention à la déportation ne fut que l'œuvre du pouvoir exécutif, elle ne constituait pas une exécution légale, et, partant, elle n'entraînait pas la mort civile.

L'abolition de la mort civile fut vivement réclamée lors de la réforme de 1832. Cette question n'intéressait pas seulement la loi pénale; elle fut ajournée.

Le gouvernement garda le droit d'octroyer la jouissance des droits civils ou de quelques-uns de ces droits aux condamnés à la déportation. La déportation, cependant, ne devait s'exécuter, vous le savez, que fictivement. La détention était, de fait, substituée à la déportation.

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