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Le condamné pouvait-il obtenir la jouissance des droits civils?

Oui incontestablement, si la concession était faite avant l'exécution de la peine; ce n'était, en effet, qu'une remise de partie de la condamnation, et la grâce aurait eu cet effet, indépendamment de toute réserve législative (Art. 26 Code Nap.)

Mais après l'exécution, c'est-à-dire après l'entrée dans la forteresse où le condamné devait subir fictivement la déportation, la mort civile était encourue, des droits étaient acquis aux tiers, et certainement la loi n'avait pas entendu investir le Gouvernement du pouvoir exorbitant d'anéantir ces droits. La réserve n'avait été faite, bien évidemment, que dans la prévision qu'un jour la dépor– tation deviendrait une réalité; on pensait, avec raison, qu'il conviendrait d'appeler les déportés à la jouissance de certains droits civils, dans le lieu où la société les enverrait, pour y vivre d'une vie nouvelle.

En 1834, une proposition de remplacer la mort civile par des incapacités restreintes fut encore rejetée; elle était l'œuvre de l'initiative parlementairė. En 1849, l'Assemblée législative fut saisie, par un de ses membres, d'une proposition tendant à abolir la mort civile; cette proposition, objet d'un rapport 'favorable, n'eut pas de suites.

Une loi du 8 juin 1850 a été un premier pas vers cette abolition; elle peut être considérée comme une abolition partielle. Elle n'attache plus la mort civile

comme peine accessoire à l'exécution de la déportation; elle attache à l'irrévocabilité de la condamnation à la déportation, la dégradation civique dont je m'occuperai bientôt.

Il est bien évident que cette loi n'abolit pas la mort civile, en tant qu'elle a été encourge par l'exécution, sous les lois antérieures, de la peine de la déportation. Mais affranchit-elle de la conséquence de la mort civile l'exécution de la condamnation à la déportation, prononcée sous la loi ancienne, lorsque cette exécution n'a lieu que sous la loi nouvelle?

On pourrait être tenté de le croire en effet, la loi nouvelle est plus favorable; en second lieu il ne s'agit que de faire régir l'exécution et ses conséquences par la loi en vigueur au moment où la condamnation s'exécute.

Il n'en est pas ainsi pourtant: vous vous rappelez que l'art. 8 de la loi du 8 juin 1850 ne s'applique pas aux faits antérieurs à sa promulgation. Eh bien ! quelle est la déportation dont l'exécution n'entraine pas la mort civile ? C'est la déportation de la loi du 8 juin 1850, c'est la déportation à Noukahiva ou dans la vallée de Vaïthau. L'ancienne déportation conserve tous ses effets; l'ancienne condamnation reste avec toutes ses conséquences.

Depuis la promulgation de la loi du 8 juin 1850, la pensée d'abolir la mort civile a encore été l'objet des préoccupations législatives. Un savant professeur de la faculté de Droit de Paris, M. Demante, a fait sur

cette question un rapport remarquable dont les conclusions sont restées à l'état de projet (1).

Ce n'est pas seulement l'exécution de la déportation simple, c'est encore l'exécution de la déportation aggravée qui n'emporte plus la mort civile. La mort civile aujourd'hui n'est plus attachée, comme conséquence, qu'à l'exécution de la peine de mort et des travaux forcés à perpétuité.

Les effets de la mort civile sont indiqués dans l'art. 25 du Code Napoléon.

Cet article est-il limitatif? N'y a-t-il pas à distinguer entre les droits naturels et les droits purement civils?

Pour tout cela je vous renvoie au livre de notre savant maître, M. Demolombe. Je ne veux dire qu'un mot c'est que l'expression de mort civile est bien impropre. Le condamné est si peu mort, même civilement, que la loi est obligée de prévoir le cas où il pourrait avoir des intérêts à débattre en justice et de lui organiser une représentation.

Quand la mort civile est-elle encourue?

Il faut distinguer entre les condamnations contradictoires et les condamnations par contumace.

La condamnation est-elle contradictoire? la mort civile n'est encourue que du moment de l'exécution; si le condamné meurt, ou s'il obtient soit sa grâce, soit seulement une commutation de peine avant l'exécution, il n'aura jamais été frappé de mort civile.

(1) Revue critique 1853, p. 98.

Quand il s'agit de peine de mort, la mort civile ne date que du moment de la mort naturelle.

S'il s'agit de la peine des travaux forcés à perpétuité, la mort civile est encourue du jour de l'entrée au bagne.

Mais si les condamnations, quoique contradictoires, ne s'exécutent pas réellement, parce que le condamné se sera soustrait à leur exécution par la fuite, de quel moment datera la mort civile?

Du jour de l'exécution par effigie, répond l'art. 26 du Code Napoléon.

Mais qu'est-ce qui constitue l'exécution par effigie des condamnations contradictoires?

Le Code d'instruction criminelle est muet sur ce point. L'art. 472 de ce Code ne parle que de l'exécution par effigie des condamnations par contumace. Vous lirez cet article, c'est une sorte d'exposition fictive qu'il organise. On avait supprimé l'exposition réelle; une loi du 2 janvier 1850 a supprimé l'exposition fictive, et a déterminé un autre mode d'exécution des condamnations par contumace. C'est ce mode d'exécution qu'il faut transporter par analogie aux condamnations contradictoires quand elles ne peuvent s'exécuter que fictivement, et ce sera du moment de cette exécution que datera la mort civile.

La condamnation dont l'exécution emporte la mort civile est-elle prononcée par contumace? La mort civilene commence qu'après l'expiration des cinq années qui suivent l'exécution fictive prescrite par la loi du 2 janvier 1850. Si le condamné se représente, est

arrêté ou meurt avant les cinq ans, il n'aura jamais encouru la mort civile; il ne pourrait l'encourir que comme suite d'une nouvelle condamnation, s'il subissait une peine à laquelle elle fût attachée.

Est-ce à dire, toutefois, qu'il aura pu valablement exercer ses droits civils, s'il se représente, est arrêté ou meurt dans les cinq ans ?

Non; l'art. 28 du Code Napoléon enlève au contumax, que la mort civile ne doit atteindre qu'au bout de cinq ans, l'exercice des droits civils, et cet excrcice est confié par la loi à l'administration des domaines (art. 471, Cod. d'inst. crim.).

Cette privation de l'exercice des droits civils n'est pas conditionnelle; elle n'est pas subordonnée à la non représentation ou à l'existence du condamné pendant les cinq ans. L'anéantissement de la condamnation par l'effet soit de la comparution volontaire, soit de l'arrestation, soit de la mort, pendant la période d'attente, n'empêche pas que le droit d'user de la capacité civile n'ait été temporairement paralysé; il n'efface pas rétroactivement la privation de toute aptitude juridique active, parce que l'inertie à laquelle est réduit le contumax est, dans la pensée de la loi, la conséquence, non de la condamnation elle-même, mais de la contumace constatée par la condamnation, et est de plus le moyen de faire cesser cette contu

mace.

. Les art. 29 et 31 du Code Napoléon ne sont, à mes yeux, qu'une explication de la véritable portée de l'art. 27 du même Code, aux termes duquel les con

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