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soient, tant qu'elles ne se traduisent pas au dehors, qu'elles ne revêtent point le caractère d'un acte, ne troublent pas les rapports des hommes entre eux; elles ne portent pas atteinte au Droit, c'est-à-dire à la légitime liberté d'autrui. La société n'aura donc point à nous demander compte de nos pensées, alors même qu'il serait en son pouvoir de les saisir et de les con

stater.

Il faut dire la même chose de l'oubli de nos devoirs envers Dieu et envers nous-mêmes; cet oubli ne saurait être considéré comme la violation d'un droit appartenant à un de nos semblables, c'est-à-dire comme une atteinte à un rapport social.

La société doit donc nous laisser une indépendance absolue pour nos pensées et une indépendance absolue vis-à-vis de nous-mêmes et vis-à-vis de Dieu. La raison et la justice veulent que la société n'exige rien de nous à ce triple point de vue, parce qu'elle n'a pas un intérêt assez impérieux pour avoir le droit de contraindre notre liberté, qui n'a de limites que les nécessités de la conservation et du légitime développement de l'ordre social.

Mais tous les devoirs que la loi morale nous prescrit envers nos semblables ne peuvent pas même nous être imposés au nom de la société; ils ne sont des devoirs socialement exigibles qu'autant qu'ils ont pour corrélation un Droit que la raison et la justice reconnaissent au profit d'un tiers. Ainsi l'aumône est un devoir dont les pauvres n'ont, ni en raison ni en justice, aucun titre pour réclamer l'exécution. Le Droit

n'est donc qu'une portion de la morale, la portion qui ne peut rester à la discrétion de notre libre arbitre.

Comment la loi morale et la loi religieuse se différencient-elles?

La loi morale est attestée par la conscience et la raison; l'homme reconnaît et ne peut pas ne point reconnaître qu'il existe une règle à laquelle sont soumises non-seulement ses actions, mais encore ses pensées, ses affections; que cette règle, la raison la découvre, mais ne la crée pas, parce qu'il est impossible que l'homme cumule les deux rôles contradictoires de supérieur faisant la loi, et d'inférieur tenu d'y obéir.

L'homme, à travers la règle, voit, par le seul déploiement de ses facultés, le législateur, c'est-à-dire la raison souveraine, dont sa raison relève et n'est qu'une émanation; l'homme remonte de l'effet à la cause; c'est le procédé contraire qui conduit à la religion; la religion, Dieu la révèle et l'impose comme l'expression de sa volonté.

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La religion, d'ailleurs, renferme, indépendamment des vérités qui confirment les vérités de la loi morale, d'autres vérités, des dogrnes et des préceptes de Droit positif auxquels la raison humaine livrée à sa seule puissance n'atteindrait pas. Elle fait principalement, sur ces vérités de toute nature, appel à la foi; ce n'est pas qu'elle dédaigne la raison, puisque la raison séule peut discerner, entre diverses religions, quelle est la véritable.

Mais la religion, une fois admise, commande plutôt qu'elle ne cherche à convaincre. Sans doute, la religion, sans que nous nous en rendions toujours compte, exerce une influence considérable sur l'idée que nous nous formons de la loi morale, parce que la religion a contribué à développer, à fortifier, à mûrir notre raison, la raison de nos maîtres, de nos devanciers, et qu'en un mot, elle est au fond de l'éducation que nous recevons de tout ce qui nous en

toure.

Quoi qu'il en soit, l'idée de la religion et l'idée de la loi morale sont, non pas deux idées indépendantes, mais deux idées distinctes (1).

Eh bien! le Droit pénal est la sanction sociale, non pas de la religion, non pas même de toute la loi morale, mais de la partie de la loi morale socialement exigible, c'est-à-dire du Droit.-Comment étudier le moyen sanctionnateur, sans se rendre un compte exact de la règle sanctionnée ? Le Droit criminel, a dit Rousseau, est moins une espèce particulière de Droit qu'une de ses faces (2).

(1) Voir Somme Théologique de Saint-Thomas, question 91, art. 1, 2, 4 et 5 (Tome III, p. 386 de la trad. Drioux) sur la distinction entre la loi naturelle et la loi divine.

(2) Contrat social, liv. II, chap. XII.

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DEUXIÈME LEÇON.

SUITE DES PROLEGOMÈNES.

périodes.

QUESTIONS HISTORIQUES. - Division en cinq

1° Sources du Droit pénal du Ve au XIe siècle: Elément germanique. - Loi
salique.-Loi des Ripuaires. --Loi des Burgondes.-Lex salica emendata.
-Capitulaires.

Élément romain: Breviarium Aniani; Papiani Responsa; Controverse
quant aux compilations de Justinien. - Droit canon: Codex canonum
Ecclesiæ universæ; Corpus canonum ou Codex vetus Ecclesiæ Romanæ ;
Fausses décrétales.

2° Caractère de la loi pénale: Etait-elle territoriale ou personnelle ?—Etait-
ce la loi d'origine de l'offensé ou de l'offenseur qui était appliquée ?—Prin-
cipe de la pénalité.-Des guerres privées.-Des limites successives ap-
portées au droit de vengeance individuelle.-Des Compositions. - Du
Wehrgeld et du Fred.-Régularisation, mais non suppression du droit
de vengeance.-Preuves.

MESSIEURS,

Quelles ont été les sources de la Législation pénale en France ?

Quels ont été les principes, quelles ont été les idées qui ont animé ces sources ?

Voilà les deux questions historiques de nos prolégomènes.

Ces deux questions embrassent une période de quatorze siècles, c'est-à-dire l'histoire de monuments bien divers, de nombreuses vicissitudes, de grandes transformations.

Ne pas diviser ce long travail de tant de siècles, ce serait se condamner à la confusion.

Je diviserai les quatorze siècles, objet de notre étude, en cinq périodes inégales, et j'examinerai nos deux questions dans chacune de ces périodes.

:

Première période du V au XI' siècle.-Je l'appellerai la période Germanique.

Deuxième période du XI au XIII' siècle. C'est la période Féodale.

Troisième période du XIII' au XVI siècle.-C'est la période de transition et de rénovation, je serais presque tenté de l'appeler la première période Française.

Quatrième période du XVI° siècle jusqu'en 1789. -C'est la période Royale par excellence, la période des Ordonnances.

Cinquième période de 1789 jusqu'à nos jours.

Aujourd'hui j'examine:

1° Quelles ont été les sources de la Législation pénale en France du V° au XI° siècle?

2° Quels ont été les principes, quelles ont été les idées qui ont animé ces sources?

I.-Quelles sont les sources de notre Droit pénal du V au XI siècle, c'est-à-dire pendant les périodes

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