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mérovingienne et carlovingienne dont je ne fais qu'une seule période ?

Pour bien vous faire suivre les détails que j'ai à vous donner sur les monuments législatifs de cette période, je dois vous rappeler brièvement certaines notions historiques.

Vous savez tous qu'au Ve siècle, le territoire, qui est devenu depuis, la France, était occupé, non par une population une, homogène, mais par des races très diverses d'origine, dont chacune a apporté son contingent à l'œuvre si lente et si laborieuse de notre nationalité; aucun de vous n'ignore qu'avant l'ère chrétienne la Gaule qui comprenait déjà trois races distinctes, les Belges au Nord, les Celtes au Centre, les Aquitains au Midi, avait été conquise par les Romains et était restée, malgré de nombreuses tentatives de soulèvement, sous leur domination jusqu'à l'époque des invasions germaniques.

Avant l'établissement territorial des Francs la domination romaine avait été refoulée, moins par la force des armes que par l'effet de négociations; elle avait fait place, au sud de la Loire, au royaume des Visigoths; à l'est au royaume des Burgondes, c'està-dire à des tribus germaniques, mais converties au christianisme.

Précédée d'incursions rapides qui s'étaient fréquemment renouvelées depuis le IIIe siècle, d'incursions sans lien entre elles, qui n'annonçaient qu'une pensée de pillage et non une pensée de conquête, l'invasion des Francs Saliens eut sans doute un caractère

de violence que n'avait pas eu l'occupation des Visigoths et des Burgondes. Toutefois, cette invasion n'eut ni pour résultat ni pour objet de détruire radicalement, brutalement la société gallo-romaine tout entière, et d'implanter une organisation et des institutions absolument nouvelles. La conquête se fit, non d'un seul coup, mais graduellement, et si elle causa beaucoup de ravages et de dévastations, elle ne se proposa pas pour but l'extermination des vaincus. Aussi les conquérants s'exposèrent-ils à se laisser, sinon vaincre, au moins puissamment modifier par les idées, les mœurs, la foi religieuse et la supériorité de civilisation des populations conquises.

Les Francs Ripuaires, c'est-à-dire les Francs des bords de la Meuse, de la Moselle et du Rhin firent-ils au VIIIe siècle comme une seconde invasion, conquirent-ils les Francs Saliens et formèrent-ils comme une seconde couche germanique, sur la première couche qui s'était laissé trop imprégner de l'élément romain? - M. Guizot dit oui, dans ses Essais sur l'histoire de France (1); M. de Chateaubriand dit non, dans sa préface des Études historiques (2). Quoi qu'il en soit, que les Francs Ripuaires aient seulement vécu à côté des Francs Saliens, ou qu'ils aient réussi à se superposer à eux, nous constatons la présence d'un élément de plus auquel va correspondre un élément législatif.

(1) Troisième Essai, p. 49 et suiv.
(2) Préface, p. 67, édit. Pourrat, 1834.

Il est bien évident qu'on chercherait vainement l'unité des sources législatives là où l'unité nationale ne subsistait pas et devait résulter seulement du travail des siècles, opérant sur les éléments les plus variés. Nos Codes ont, comme nous, des aïeux d'origine tout-à-fait diverse. Toutefois, deux éléments principaux semblent résumer les autres éléments: l'élément germanique et l'élément gallo-romain, voilà le fonds de notre Droit public et de notre Droit privé; voilà le fonds de notre Droit pénal. La lutte de ces deux éléments, ses vicissitudes, la fusion qui en est le dénouement, voilà l'histoire de notre Droit tout entier.

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Dans quels monuments l'élément germanique s'est-il spécialement produit? Dans la loi salique, dans la loi des Ripuaires, dans la loi Gombette et dans les Capitulaires.

Qu'était, à proprement parler, la LOI SALIQUE? Était-ce une série de dispositions impératives, puisant leur force dans la volonté d'un pouvoir public, promulguées officiellement, ou n'était-ce qu'un ensemble de coutumes, de traditions, un recueil de décisions dû à quelque prud'homme ou légiste? Avait-elle été rédigée avant l'invasion germanique et en langue teutonique, ou ne le fut-elle qu'après l'invasion et en langue latine? De quelle époque date la première rédaction latine?

Toutes ces questions sont très controversées entre les savants. En France, MM. Guizot, Pardessus, Laferrière, notamment, les ont, discutées après beau

coup d'auteurs allemands; nous devons rester étrangers aux débats qu'ont soulevés les deux premières questions.

Quant à la dernière question, l'opinion qui semble la plus plausible est que la loi salique fut publiée dans le V siècle, sous le règne de Clovis, dans l'intervalle de l'an 488 à l'an 496.

Loi proprement dite ou coutume, elle dominait dans la France occidentale, c'est-à-dire dans la Neustrie. Mais cette source importante de l'élément germanique ne se présente déjà plus dans sa pureté; l'élément germanique a déjà subi les effets du voisinage et du contact de l'élément romain.

Cette source est surtout importante pour le Droit pénal qui y tient presque toute la place, puisque sur 408 articles il en a pour sa part 343 (1); il est vrai que, d'après l'opinion de M. de Savigny, dans son Histoire du Droit romain au moyen-âge, ce qui nous a été transmis sous le nom de loi salique, n'est qu'un extrait incomplet qui ne traitait que des matières les moins importantes (2).

Quant à la loi des Ripuaires, elle a une origine moins ancienne; elle n'a été rédigée selon les uns qu'au VI' siècle, c'est-à-dire de 511 à 534, et selon

(1) M. Laferrière (Histoire du Droit civil de Rome et du Droit français, t. III, p. 216) compte dans cette loi, 412 articles, dont 356 relatifs à des matières pénales.

(2) Histoire du Droit romain au moyen-âge, traduction Guenoux, t. I, p. 98.

les autres, dont l'opinion est admise par M. Guizot, qu'au VII• siècle, de 613 à 628. Elle contient, d'après le système le plus accrédité de distribution, 277 articles sur lesquels on en compte 164 relatifs au Droit pénal et 113 relatifs à d'autres matières. Dans cette loi, l'élément germanique a subi, plus encore que dans la loi salique, l'action de l'élément romain. Quelques dispositions même de la loi des Ripuaires se réfèrent à ce Droit.

Cette observation semble contredire le système de M. Guizot qui voit dans l'élément ripuaire un renouvellement de l'élément germanique que l'élément salien avait cessé d'exprimer. M. Guizot ne se fait pas l'objection, mais il est évident que sa réponse serait dans la date de la rédaction de la loi des Ripuaires qui est postérieure à la rédaction de la loi salique, et qui par suite a subi, plus encore que la loi salique, l'empreinte de la loi romaine.

Un troisième monument, dans lequel l'élément germanique joue encore un grand rôle, c'est la loi des Burgondes, vulgairement appelée loi Gombette, qui a été publiée, soit tout entière sous le règne de Gondebaud, soit seulement pour partie sous ce règne, et pour partie postérieurement, mais avant que la Bourgogne ne fût tombée sous la domination des Francs, c'est-à-dire avant l'année 534. Pour cette loi il est certain que ce n'est pas une simple collection de coutumes; c'est l'œuvre officielle d'un pouvoir régulier qui promulgue ses commandements; elle témoigne déjà des progrès plus grands dans la civilisation, et

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