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périorité (au moins comme loi de fond) sur les anciennes Coutumes germaines, ce Droit, dans lequel on rencontre, à côté de la composition, des peines corporelles et même des peines morales, a dû avoir, comme instrument de progrès, une part d'action. C'est ainsi que nous avons parlé du Droit romain et du Droit canon comme Droit pénal, bien qu'ils n'aient guère pu être appliqués à ce titre que dans quelques immunités ecclésiastiques (1).

II.-Quels sont les principes qui ont dominé le Droit pénal du V au XIe siècle? En d'autres termes, quels sont les principes qui ont présidé à l'exercice du Droit de punir?

Des principes qui ont présidé à l'exercice du droit de punir, il en est qui ont été contemporains de tous les âges de notre histoire. Il en est d'autres, au contraire, qui n'ont eu qu'un temps, qu'un moment, et qui ont bientôt cédé leur place à des principes supérieurs, témoignage d'une civilisation en progrès.

Les principes contemporains de tous les âges de notre histoire sont ceux qui expliquent pourquoi les violateurs des devoirs parfaits, des devoirs exigibles, des devoirs auxquels correspondent des droits, peuvent être atteints par un châtiment. —L'homme est libre, et partant responsable; voilà le principe qui n'a jamais varié.

(1) M. Laferrière, Histoire du Droit civil de Rome et du Droit français, III, liv. IV, ch. VIII, sect. 4, § 2, p. 428.

Mais à quel titre les hommes, considérés individuellement ou collectivement, sont-ils investis du droit d'infliger à un autre homme le châtiment même mérité? C'est là le point auquel les siècles ont apporté bien des solutions successives, qui ont été chacune un progrès, mais dont aucune peut-être n'est la vérité.

Le châtiment a été tour-à-tour une vengeance individuelle, puis une vengeance collective; puis une vengeance tout à la fois sociale et religieuse, et de plus un moyen d'intimidation; puis enfin un simple moyen de défense; puis un acte d'utilité publique; puis un acte de justice morale, et la dernière de ces six solutions n'est pas encore acceptée universellement de nos jours.

Quelle est celle de ces idées qui a dominé le Droit pénal du V au XI' siècle?

Pour répondre à cette question il faut remonter aux traditions germaniques, dont Tacite s'est fait l'historien. Il n'y avait, chez les Germains que les crimes contre la chose publique qui fussent l'objet de pénalités proprement dites. Les attentats contre la propriété ou la personne des particuliers ne provoquaient pas de répression dans un intérêt d'ordre général; c'était une affaire purement privée entre, d'une part, l'offensé et sa famille, et d'autre part l'offenseur et sa famille. La répression même des attentats à l'autorité, à la propriété ou à la personne du chef, n'était que l'expression d'un intérêt individuel. L'idée d'un pouvoir personnifiant des inté

rêts collectifs, les incarnant en quelque sorte, ne précède pas la civilisation et n'apparaît que très faiblement dans l'enfance des sociétés.

Cependant aussitôt que le pouvoir eut acquis quelque fixité et accru son influence avec ses moyens d'action, il ne tarda pas à reconnaître que les guerres privées et ces appels incessants à la force, comme instrument du rétablissement de l'ordre, avaient pour résultat d'entretenir le désordre et entravaient son propre développement à lui-même, en compromettant son avenir.

La loi ne supprima pas d'abord et sans transition, le droit de vengeance individuelle; elle respecta longtemps le principe; elle le limita et se contenta de le subordonner à de nombreuses conditions; elle proclama d'abord l'inviolabilité de la maison de l'offenseur. La vie de l'offenseur lui-même n'était pas inviolable, elle n'était pas abritée contre les représailles des parents de la victime; mais l'offenseur ne pouvait pas être poursuivi dans son foyer, sous peine d'une amende égale à sa valeur personnelle, si la poursuite avait lieu sans préméditation, -sous peine d'une amende neuf fois égale à sa valeur s'il y avait préméditation.

La loi, après avoir proclamé l'inviolabilité de la maison de l'offenseur, proclama l'inviolabilité de certains lieux publics déterminés de l'église, d'abord, - du mallum, du marché ; et de là le droit d'asile qui a joué un si grand rôle dans le moyen-âge.

Après avoir interdit. ou au moins suspendu la

vengeance en de certains lieux, la loi interdit et suspendit la vengeance en de certains temps: les jours de fête et pendant des périodes entières consacrées par la foi religieuse, comme pendant l'Avent.

Enfin, la loi finit par interdire et suspendre le Droit de vengeance individuelle en présence des représentants de l'Etat ou en présence des représentants de l'Eglise (1).

Ce n'était pas assez la loi voulut paralyser le Droit de vengeance individuelle même dans les lieux et dans les temps où il pouvait se déployer librement. Pour faire taire ce sentiment de la vengeance elle s'adressa au sentiment de la cupidité.

Dans les délits en général, la loi ne vit que le côté matériel, le préjudice causé, et elle tarifa,—d'après une échelle calculée sous l'empire d'idées très complexes, les diverses indemnités pécuniaires que l'offensé ou sa famille aurait droit de réclamer en renonçant à la vengeance privée; mais elle n'osa pas imposer l'acceptation de ces indemnités comme prix de l'offense reçue.

N'intervint-elle que comme médiatrice, offrant une transaction fixée à l'avance, mais laissant à l'offensé et à l'offenseur une égale liberté d'opter pour la guerre privée ? C'est là l'opinion que professe M. Guizot dans sa neuvième leçon sur l'Histoire de la civilisation en France.

(1) Lehuërou, Hist. des Instit. mérovingiennes et carlovingiennes, t. II, chap. IV, p. 370.

Ne réserva-t-elle pas seulement cette option entre la guerre privée et l'acceptation d'une indemnité pécuniaire à l'offensé et à sa famille, et ne garantit-elle point dès l'origine son intervention efficace pour contraindre l'offenseur au paiement du wehrgeld, si ce mode de réparation était agréé?

Si nous ne nous abusons, voici comment se réalisa l'intervention du pouvoir social.

Primitivement, les compositions et leur quotité n'avaient été qu'une affaire de convention. Plus tard, le pouvoir fit effort pour régulariser et imposer ce qui était resté dans le domaine des libertés individuelles. Il institua des juridictions pour juger les crimes privés et conséquemment :

1° Pour prononcer la condamnation au paiement des compositions;

2° Pour assurer, par la force, l'exécution de la condamnation, si elle était possible, et à son défaut, pour faire subir à l'offenseur la mort ou l'esclavage.

Il dépendit d'abord des offensés de ne pas saisir les juridictions, de ne pas se plaindre et de garder pour eux le soin de se faire justice.

Plus tard les offensés ne conservèrent le droit de vengeance personnelle qu'autant qu'ils l'exerçaient incontinent, au moment même de l'offense, c'est-àdire au moment où le délit était flagrant.

Plus tard enfin, ce droit leur fut complètement enlevé et la composition fut aussi bien une loi pour les offensés que pour les offenseurs.

Indépendamment de la composition qui profitait

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