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aux offensés, il y avait une amende, le fredum, qui profitait à la juridiction saisie et qui était en quelque sorte la rémunération de l'intervention du pouvoir. Mais ce fredum, et ceci est très remarquable, devait être payé, non pas directement à la juridiction qui en avait prononcé condamnation, mais à la partie lésée, à la partie poursuivante qui en faisait la remise au pouvoir (1) sans doute parce qu'il était censé avoir fait son affaire et avoir agi pour elle en vertu d'une sorte de mandat.

A quelle époque la composition fixée par la puissance publique devint-elle obligatoire et pour l'offensé et pour l'offenseur? Ne fut-ce qu'au VIII' siècle, comme le soutient M. Guizot? Nous serions porté à croire que ce principe s'est introduit plus tôt, sinon dans les faits, dans la pratique, au moins dans le Droit.

Au milieu des désastres de l'anarchie des VI et VII siècles, le principe a bien pu rester sans puissance, bien qu'il fût écrit dans la loi.

Quoi qu'il en soit, et quelle que puisse être la date de son avénement comme Droit, ce principe est-il exclusif de l'idée de vengeance personnelle? Comme inspiration de la législation pénale, l'idée de vengeance personnelle n'est-elle pas déjà remplacée par l'idée plus haute d'une vengeance publique au nom et au profit de l'ordre général ?

La pensée qu'un intérêt plus large que l'intérêt in

(1) Mlle de Lezardière, Théorie des Lois politiques, part. III, liv. III, ch. v, t. II, p. 90.

dividuel doit présider à la répression des délits commence peut-être à poindre, mais cette pensée n'était certainement pas encore le fond et la vie du Droit pendant cette période.

L'idée de ce que nous appelons aujourd'hui l'Etat, c'est-à-dire de cette unité nationale qui représente à la fois les gouvernants et les gouvernés, ne pouvait exister parce que la chose n'existait pas et que son image ne fit qu'apparaître dans les tentatives de Charlemagne, dans des œuvres qui ne trouvèrent pas de continuateurs.

Le pouvoir n'intervenait dans la répression qu'à titre de force supérieure et pour ne pas être compromis, atteint par la lutte désordonnée des forces individuelles.

Voilà la pensée qui dominait la justice exercée au nom du roi. A cette pensée s'en joignait une autre dans les justices privées, dépendances des grands alleux, des bénéfices et des immunités ecclésiastiques; c'est que les justiciables étaient pour le supérieur justicier, une richesse, un bien, un élément en quelque sorte patrimonial, et qu'il fallait garantir la propriété, hommes et choses, de ces luttes anarchiques au sein desquelles elle pouvait dépérir.

Un fait pour nous est la preuve décisive que l'idéo de vengeance privée domine la répression sous les deux premières races, bien qu'il s'y mêle déjà peutêtre un autre élément; c'est le genre de preuve qui prévaut dans les jugements.

Sans doute la preuve à l'aide de témoins du fait

reproché à l'offenseur qui le conteste, n'est pas proscrite; elle est admise, elle est même d'abord préférée aux autres genres de preuves; mais elle est bientôt dédaignée et repoussée comme indigne de confiance, à cause des nombreux exemples de parjure.

La preuve par des cautions, par des conjuratores qui attestent l'innocence de l'accusé ou la véracité de l'accusateur; la preuve demandée à Dieu, sous l'influence ecclésiastique, au moyen des épreuves de la croix, du fer chaud, de l'eau bouillante, sont négligées; le duel judiciaire est chargé presque exclusivement de résoudre toutes les questions.

Le pouvoir ne prévient pas les combats individuels, il les régularise.

En admettant avec Montesquieu (1), avec M. Laferrière (2), que la loi salique ne reconnût pas le duel judiciaire, il est certain que ce genre d'épreuves ne tarda pas à prendre de l'extension, qu'il s'incorpora à la coutume générale des Francs, et qu'au moins scus la deuxième race, il occupa la principale place, pour ne pas dire une place presque exclusive, dans la procédure (3).

On peut faire deux objections pourtant :

(1) Esprit des Lois, liv. XXVIII, chap. xiv.

(2) Histoire du Droit civil de Rome et du Droit français. tome III, p. 230.

(3) Esprit des Lois, liv. XXVIII, chap. XVIII.-M. de Lezardière. Théorie des lois politiques de la monarchie française, partie III, livre III, chap. XVI, tome II, p. 102, et aux Preuves des chap. xv et xvi du même tome, p. 506-513.

1o Le duel judiciaire était le moyen de preuve le plus accrédité, non seulement en matière criminelle, mais en matière civile, et dès lors on ne saurait, de son adoption, légitimement conclure qu'une seule chose, à savoir: que du V° au XI° siècle, les intéressés étaient les principaux artisans de la justice qu'ils demandaient, et que la force jouait un grand rôle dans cette justice.

2. A partir du règne de Charlemagne au moins, comme l'établissent et un capitulaire de 789 et un capitulaire de Louis-le-Pieux de 819, la répression, même pour les délits qui, à cette époque, n'étaient considérés que comme privés, pouvait avoir lieu d'office, non pas sans doute à la requête d'un magistrat créé ad hoc, mais à la requête du dépositaire du Droit de justice, du chef de la juridiction; ce qui semble indiquer qu'un intérêt en dehors de l'intérêt de la partie lésée servait de base à l'accusation (1).

-Réponse :

De quoi s'agit-il ? De déterminer entre ces deux idées à savoir, la vengeance individuelle qui assurait incontestablement la répression avant que le principe des compositions fût admis comme obligatoire, et la vengeance publique qui a dominé plus tard, laquelle a prévalu du Ve au XI siècle.

(1) On peut voir en sens contraire une dissertation très curieuse dans le Droit public de la France, éclaircie par les monuments de l'antiquité, de Bouquet, avocat au Parlement, t. I, p. 130-165.

L'idée de vengeance était, avant, pendant et après l'époque que nous étudions, le fondement de la pénalité. Eh bien, établir que du Ve au XI° siècle, une place large, prépondérante était faite à l'élément personnel et à la force individuelle, n'est-ce pas établir que l'intérêt de l'offensé avait le pas sur tout autre intérêt et que la vengeance individuelle était limitée, régularisée, affranchie de ses excès plutôt que supprimée ?

D'ailleurs,et Montesquieu en a fait la remarque (1),-le duel judiciaire est une preuve qui appartenait originairement et exclusivement à la procédure pénale. La procédure civile l'a empruntée et a fini par se la rendre commune.

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J'ajoute que lorsque plus tard le duel judiciaire succombera, sous les efforts persévérants de l'Eglise, il se renfermera dans les matières criminelles, ne servira plus que pour l'application de quelques graves pénalités (2).

Or si le duel judiciaire a été avant tout et pardessus tout, un instrument répressif, comment ne fournirait-il pas quelque révélation sur la pensée qui présidait à la répression ?

Quant à la seconde objection, je ne conteste pas que du V au XIe siècle, à l'idée de vengeance individuelle, ne soient venus se joindre des éléments étrangers et notamment le désir de profiter des amendes,

(1) Esp. des Lois, liv. XXVIII, ch. XVIII.

(2) Ordonnance de 1306.

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