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mais concédées à certaines conditions, et à charge de devoirs déterminés envers le concédant; enfin les grands officiers publics qui n'avaient qu'un pouvoir d'administration délégué étendaient ou dénaturaient leur titre et se constituaient chacun centre d'autorité: les propriétaires d'alleux dans leurs propriétés primitivement libres; les possesseurs de bénéfices dans le domaine qu'ils affranchissaient du caractère précaire qu'il avait eu, les officiers publics dans le domaine qu'ils s'appropriaient, usurpaient la souveraineté politique, puis ils hiérarchisaient au-dessous d'eux des propriétaires relevant de leur souveraineté territo-riale, patrimoniale et liés, non plus par des relations purement personnelles, mais par des relations réelles dépendant des terres qu'ils possédaient.

La souveraineté, au lieu de dominer principalement les personnes et accessoirement les propriétés, se subordonnait à la propriété et allait en dériver. C'est là la révolution dont le changement de dynastie, en 987, ne fut que l'achèvement, et en quelque sorte la garantie.

Le souverain du duché de France reçut de ses vassaux le titre de roi, et les souverains des six autres duchés, des duchés de Normandie, de Bourgogne, de Bretagne, d'Aquitaine, de Gascogne et de Lorraine; ces souverains qui étaient, sinon des égaux en puissance au souverain du duché de France, au moins des égaux en droit, ne lui contestèrent pas l'usurpation d'un titre dont le maintien leur semblait utile, bien qu'ils lui eussent fait perdre son ancien caractère.

Pour eux, et dans leurs espérances au moins, ce qui devait dominer, dans le roi parvenu, c'était le suzerain, c'est-à-dire le couronnement de l'édifice qu'ils construisaient sur la propriété et non un pouvoir politique dominateur.

Chacun des sept duchés était divisé en un grand nombre de comtés et de vicomtés, lesquels comportaient, sous des appellations très diverses, beaucoup de subdivisions.

Les domaines ecclésiastiques dépendant des évêchés et des abbayes étaient englobés dans ce système, avaient une place dans cette hiérarchie, et leurs possesseurs reconnaissaient des supérieurs féodaux en même temps qu'ils avaient des vassaux.

Les confédérations de bourgeois, appelées communes, étaient elles-mêmes entrées dans ce cadre, sans distinction entre les communes du midi, les communes du centre et les véritables communes, les communes jurées du nord; sans distinction entre les communes qui devaient leur origine aux anciennes municipalités romaines, dont elles se prétendaient les héritières, les communes qui devaient leur origine au libre octroi du seigneur roi ou des autres seigneurs, et les communes qui s'étaient créées elles-mêmes en demandant à l'insurrection des titres que des transactions sous le nom de Chartes avaient couronnés. Ces communes étaient ordinairement vassales d'un seigneur laïque ou ecclésiastique.

Le fractionnement et l'éparpillement de la souveraineté expliquent trois choses:

1° L'absence de sources législatives proprement dites pendant cette période.

2o Le principe que la loi pénale applicable était la loi du domicile de l'auteur du fait incriminé.

3o Le principe en vertu duquel la France a été divisée plus tard en Pays de Droit écrit et en Pays de Coutumes.

1o Le fractionnement et l'éparpillement de la souveraineté expliquent l'absence de sources législatives proprement dites.

La souveraineté était trop voisine, trop rapprochée de ceux sur lesquels elle s'exerçait pour avoir besoin de ces formules écrites sans lesquelles les juridictions, chargées d'appliquer une loi générale, seraient exposées à y être infidèles par ignorance. Il en fut de la justice comme de la souveraineté: elle fut attachée à la propriété. Le législateur, c'était le propriétaire; le justicier, ce fut aussi le propriétaire. La justice c'était la dette de la propriété.

Il y eut une justice attachée à chaque degré de cette hiérarchie des propriétés. Eh bien ! là où il y avait une justice correspondante à chaque petite souveraineté, là où la justice et la souveraineté étaient confondues, il n'y avait pas besoin de loi écrite. La loi, c'était l'usage modifié dans une certaine mesure par la volonté du seigneur justicier.

La loi écrite, non-seulement n'était pas un besoin, mais eût été un obstacle au déploiement de la souveraineté. Pourquoi l'indépendance seigneuriale se serait-elle assujétie, enchaînée elle-même en se

traduisant, en s'immobilisant dans des prescriptions législatives? C'était bien assez pour la souveraineté seigneuriale de respecter ce fond commun d'usages et de traditions qui avaient présidé à l'organisation de la féodalité et à son développement.

On ne songe guère d'ailleurs à rédiger des Coutumes quand elles se forment et quand elles acquièrent naturellement, et en dehors de tout effort artificiel, de la consistance. C'est lorsqu'elles ne sont plus en voie de progrès, lorsqu'abandonnées à elles-mêmes elles perdent de leur force et de leur influence, qu'elles sont d'ordinaire recueillies.

Le plus souvent, l'œuvre de leur rédaction a non seulement pour résultat, mais pour but, de les transformer par l'introduction de modifications et d'améliorations qui ne se seraient pas produites spontané→

ment.

Aussi, n'y a-t-il de sources écrites contemporaines de la période que nous étudions, de sources tout-à-fait indigènes que des chartes communales. C'est dans ces chartes où sont déposés beaucoup de principes de Droit pénal que nous trouvons, entre autres principes, ce principe fondamental que la justice compétente et la loi applicable sont, sauf le cas de délit flagrant, la justice et la loi, non du lieu du délit, mais du domicile de l'auteur du délit, principe contre lequel combattront plus tard, du XIIIe au XVIe siècle, les jurisconsultes de la royauté.

Mais l'expression la plus complète et la plus fidèle du Droit féodal pour les matières pénales comme pour

les autres matières, se trouve, non dans des monuments indigènes, mais dans des monuments étrangers, dans des monuments rédigés à la suite de la conquête de l'Angleterre par les Normands, et de la conquête de Jérusalem par Godefroy de Bouillon.

Il semble que, pour suppléer aux racines qui lui manquaient dans les pays où il voulait s'acclimater, le droit féodal, ainsi transporté en Angleterre et en Orient, avait senti le besoin de s'écrire et de se formuler.

Quoi qu'il en soit, les lois de Guillaume-le-Conquérant out été rédigées, de 1066 à 1087, en français normand, avec une traduction latine, sous le titre de Leis et Custumes.

Les assises de Jérusalem avaient été rédigées de 1099 à 1187. Le Recueil authentique fut perdu lors de la prise de Jérusalem par Saladin. La rédaction de St-Jean-d'Acre, due principalement à Philippe de Navarre et à Jean d'Ibelin, est de 1250 à 1266; mais elle est l'expression de traditions et de pratiques des XIe et XIIe siècles.

Il faut ajouter à ces monuments un monument tout-à-fait étranger: l'ouvrage connu sous le titre de Consuetudines feudorum, ouvrage imprimé à la suite du Corpus juris dans lequel on a recueilli la jurisprudence féodale en Lombardie, de 1158 à 1168.

Il y a cependant des monuments indigènes qui donnent des indications précieuses sur les XI et XII° siècles. Ce sont des collections faites et des travaux exécutés pendant le XIIIe siècle. Ces travaux sont trop

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