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Le Droit canonique compte quatre monuments: 1° Un recueil supplémentaire des décrétales. Il était divisé en cinq livres et s'appelait l'Extra. Grégoire IX l'avait fait rédiger; il date de 1234.

2° Boniface VIII fit ajouter aux cinq livres de la collection grégorienne un sixième livre; on l'appela Sexte. Il fut publié en 1298.

3o Clément V fit recueillir et Jean XXII publia, en 1317, des Décrétales. On les appela Clémentines .

4° Les Extravagantes: cette collection comprend vingt décrétales de Jean XXII et d'autres décrétales, notamment de Sixte IV.

II. Quels principes 'animent les sources du Droit pénal pendant cette période?

A partir du XIIIe siècle, un nouvel esprit s'empreint dans le Droit pénal; il n'exclut pas sans doute d'une manière absolue les idées de vengeance individuelle et de vengeance seigneuriale, mais il les restreint en se faisant une place qu'il agrandit et fortifie sans relâche:

Les crimes, dans l'enclave de quelque seigneurie qu'ils fussent commis, dans l'enclave de la seigneurie royale ou dans l'enclave de la seigneurie des grands vassaux, étaient un trouble, une atteinte à la sécurité générale dont la royauté se constituait gardienne. Ils devaient donc être réprimés au nom de l'intérêt général qu'ils attaquaient; et, puisque les mœurs, les traditions du temps attachaient et ne pouvaient pas ne point attacher l'idée de vengeance à la répression, l'idée de vengeance publique devait bientôt prévaloir.

L'idée de vengeance individuelle s'efface surtout pendant cette période.

Deux faits en sont, pour nous, l'irrécusable témoignage:

Premier fait: La preuve par gage de bataille, de règle générale qu'elle était, devient une exception. Même en matière criminelle, elle cesse d'être admise:

1° dans le cas où le crime est flagrant et notoire. 2o Dans les cas où la preuve de la culpabilité ou de l'innocence peut être facilement obtenue par témoins.

3° Quand il s'agit de ces crimes trop infamants pour laisser à leurs auteurs l'espérance de s'en laver par les armes pour le crime de vol, par exemple (1).

Second fait: Le Droit d'accusation, conféré à la partie lésée, et qui était la principale et ordinaire garantie de la répression avant le XIII° siècle, est subordonné à des conditions pleines de périls pour l'accusateur.

L'accusateur subira, en cas de non condamnation, la peine qu'eût subie l'accusé s'il eût été convaincu (2). C'était tuer le Droit que de le placer sous de pareilles menaces! La poursuite d'office, qui était l'exception, devient le Droit commun: l'intérêt général conquiert tout le terrain que perd l'intérêt individuel.

(1) Ordonnance de Philippe-le-Bel de 1306.

(2) << Si tu veux appeler celui-ci de meurtre, tu seras ouï ; « mais il convient que tu te lies à souffrir telle peine que ton << adversaire souffrirait, s'il en était atteint. » (Ordonnance de saint Louis).

C'est cette révolution dans le Droit de poursuite qui fit grandir pendant cette période l'institution du ministère public, cette institution qui s'est conservée jusqu'à nos jours.

Quelle fut l'origine précise de cette institution? Dut-elle sa naissance aux intérêts purement privés des seigneurs justiciers qui devaient se faire représenter par des procureurs pour leurs causes privées ? Dut-elle sa naissance à un intérêt fiscal que le seigneur justicier, ne voulant ou ne pouvant représenter lui-même, fit représenter par un officier public, son mandataire? Dut-elle sa naissance à un intérêt public, à l'intérêt de la sécurité générale ? C'est une question très débattue entre les historiens du Droit. Ce qui est certain, c'est que le mandataire d'intérêt privé ou d'intérêt public fut bientôt constitué le représentant de l'ordre général près de la juridiction à laquelle il était attaché; qu'il fut le dépositaire de l'action publique; qu'il eut le droit et le devoir de mettre en mouvement cette action, indépendamment de toute initiative des intérêts privés.

Il y eut des procureurs du roi dans toutes les juridictions royales, dans les Parlements, dans les bailliages et les sénéchaussées (1). Il y eut des procureurs

(1) Ordonnance du 25 mars 1302, art. 15. - Ordonnance de juillet 1319, art. 7. Ordon. des 28 décembre 1355, mars 1360, 20 juillet 1367, 22 novembre 1371. Ortolan et Ledau, le ministère public, INTRODUCTION, p. 21 et suiv. Faustin-Hélie, Instruction criminelle, t. Ier, p. 459.-Montesquieu, Esprit des Lois, liv. XXVIII, chap. XXXV.

seigneuriaux dans les justices seigneuriales et des promoteurs dans les cours d'église.

Mais, de ce que l'intérêt individuel n'a plus le premier rôle dans la répression, est-il permis de conclure que c'est l'intérêt général qui prédomine? peut-être la prédominance appartient-elle à l'intérêt seigneurial.

Quatre faits nous semblent témoigner de la prédominance d'un intérêt supérieur à l'intérêt seigneurial:

1° La royauté transforme la cour féodale, qu'elle avait comme suzeraine, en tribunal suprême et régulateur, planant au-dessus de toutes les juridictions des seigneurs et même au-dessus des cours d'église. Elle attribue à ses juridictions un droit souverain de réformation sur toutes les décisions rendues en matière criminelle, de quelque source qu'elles émanent. C'est le principe actif et énergique appelé le principe du ressort. La royauté se constitue ainsi juge d'appel d'une manière générale et absolue de toutes les questions pénales. Elle reprend ainsi possession d'un élément de souveraineté dont la procédure par gage de bataille avait singulièrement favorisé l'usurpation de la part des justices terriennes, puisque le jugement de Dieu excluait tout recours.

2o La royauté, par ses légistes, invente les cas royaux, dont elle réserve la connaissance à ses officiers, à ses baillis, à ses sénéchaux, ou même directement à son Parlement.

Tous les cas royaux, dans l'enclave de quelque seigneurie qu'ils se commettent, sont de la compétence exclusive des juges royaux.

Qu'étaient les cas royaux ?

Les jurisconsultes de la royauté se gardèrent bien d'en donner une définition limitative.

Les cas royaux, c'étaient les crimes qui pouvaient être considérés comme une atteinte aux droits du roi, ou une offense contre son autorité. Voilà une définition élastique et partant commode.

La liste de ces crimes fut d'abord peu nombreuse, puis elle alla s'élargissant; elle subit toutes les vicissitudes de la lutte de la royauté contre la féodalité. Quand la royauté était forte et victorieuse, il n'y avait guère de crime qu'on ne pût faire rentrer dans les cas royaux. C'était, a-t--on dit, faire acte d'usurpation sur les justices seigneuriales; non, c'était ressaisir un des éléments les plus importants de la souveraineté qui s'était fractionnée dans les périodes précédentes.

3°. Les jurisconsultes et les officiers judiciaires de la royauté inventèrent et accréditèrent un autre principe également très fécond: le principe de la pré

vention.

Qu'est-ce que le principe de la prévention ?

C'était un principe en vertu duquel les juridictions royales pouvaient, sous prétexte de retard dans la poursuite par les justices seigneuriales, se saisir, par l'effet de la priorité de leurs diligences, de la répression de crimes dont elles n'étaient pas naturellement juges, et dont la connaissance ne leur était réservée à aucun titre.

La royauté était censée rendre une justice refusée

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