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pour les matières civiles, a fait table rase et construit un édifice tout nouveau.

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Je reprends et je discute chacune de ces deux rai

sons:

1° La loi pénale doit être appliquée à la lettre. Cette première raison, si elle était fondée, dépasserait de beaucoup les conséquences que Boitard en a déduites. Non seulement elle écarterait l'étude des précédents, mais elle exclurait tout commentaire et tout enseignement; Boitard faisait plus qu'ébranler sa chaire, il la sapait par sa base. Si la loi pénale dit tout, et dit tout clairement, si elle est parfaitement comprise sans secours, à quoi bon un professeur qui l'interprète et en expose les principes? Ouvrez et lisez vos codes, voilà toute votre tâche, Messieurs; elle sera, si non amusante, au moins facile. Mais malheureusement pour vous, votre tâche est plus lourde que ne l'a crù Boitard: vous aurez à m'écouter.... Le cours de Droit pénal n'est pas un cours de luxe, et l'excellent livre de Boitard n'est pas une superfluité.

Gardez-vous de croire, en effet, que le Droit pénal exclut toute interprétation. Sans doute il ne comporte pas d'interprétation extensive; mais il admet, mais il appelle l'interprétation explicative, l'interprétation à l'aide de laquelle on découvre le vrai sens, la pensée exacte, la portée de ses dispositions: Omnis interpretatio vel declarat, vel extendit, vel restringit. Or, justement parce qu'en cette matière les erreurs d'interprétation sont plus graves qu'en aucune autre, il importe de ne point répudier les ressources dont

usent les jurisconsultes sur les autres partics du Droit.

2o La seconde raison de Boitard, pour dédaigner le secours des précédents, c'est que le Droit pénal n'est pas un Droit traditionnel, c'est que le nôtre surtout est exclusivement le fils de la Révolution de 1789.

Cette seconde raison repose sur une erreur de fait. Sans doute, les lois pénales portent toujours l'empreinte du système politique contemporain de leur rédaction, et nos lois pénales actuelles sont marquées au coin des idées dont l'avénement date de 1789.

Mais s'il y a dans les lois pénales des éléments qui changent, se transforment, en traversant les âges et les révolutions politiques, il en est d'autres qui sont durables, permanents, qui survivent à toutes les vicissitudes des temps, et ces derniers éléments sont le fond de toute législation pénale.

la

Nous avons vu, en effet, que toute législation pénale résout explicitement trois questions: question des faits et omissions punissables,-la question des pénalités,-la question des moyens pour découvrir les faits et omissions et pour en punir les au

teurs.

Eh bien! sur la première question, la conscience humaine, la conscience des gouvernants et des gouvernés ne s'est jamais radicalement trompée, parce qu'il s'agit, au fond, de la distinction impérissable du bien et du mal, et du danger du mal; sans doute, la conscience humaine a pu subir l'entraînement de préjugés, se laisser aller au courant de certaines opi

nions fausses et, par suite, déclarer punissables des faits socialement et même moralement innocents; mais ces erreurs accidentelles, dues à l'état des mœurs et des esprits, n'ont jamais constitué qu'une exception.

Sur la seconde question, les erreurs ont été plus nombreuses et plus graves; des pénalités excessives ont trop souvent trouvé place dans la législation.

Ce n'est guère que sur la troisième question que les changements politiques ont exercé une action tout à la fois brusque et prépondérante.

La Révolution de 1789, spécialement, n'a pas tout renversé en matière pénale; on pourrait même dire qu'elle n'a rien construit tout à fait à neuf. Même dans l'institution et l'organisation des juridictions pénales, elle a beaucoup emprunté aux siècles antérieurs, et nos lois actuelles de procédure n'ont été qu'une heureuse et transactionnelle alliance entre le système d'instruction publique qui avait prévalu jusqu'au XVI siècle et le système d'instruction inquisitoriale et secrète, qui avait dominé depuis le XVI° siècle jusqu'à la Révolution.

Quant aux lois de fond, le cercle des prohibitions a été restreint et la sphère de la liberté humaine élargie. Les pénalités ont été adoucies, mais les incriminations qui ne sont pas une affaire de circonstance, celles qui reposent sur les nécessités de toute société, subsistent aujourd'hui comme dans le passé, et par conséquent l'étude de leurs conditions, de leurs éléments a le plus grand caractère d'utilité.

Il y a dans notre procédure pénale actuelle une foule de règles qui ne peuvent être bien saisies qu'en les rapprochant des règles dont elles dérivent, ou qu'elles remplacent, ou qu'elles modifient seule

ment.

Si l'histoire des pénalités anciennes a moins d'importance juridique, elle a un grand intérêt philosophique, et elle est d'ailleurs un puissant auxiliaire pour distinguer ce qui est variable, accidentel, contingent, de ce qui est essentiel et indépendant des circonstances de fait et d'époque.

Au reste, si Boitard a contesté l'importance des études historiques pour l'intelligence et l'application pratique de nos lois pénales, deux savants criminalistes, dans les ouvrages desquels je puiserai souvent des inspirations, MM. Faustin-Hélie et Ortolan, ont prouvé, par le plus décisif des arguments, par l'application de la méthode qu'ils recommandent, la valeur des secours que peut fournir l'histoire.

M. Faustin-Hélie notamment, dans l'introduction de son Traité d'instruction criminelle, a élévé l'un des plus beaux et des plus utiles monuments de la science contemporaine.

C'est donc à la double lumière de la philosophie et de l'histoire que j'essaierai d'éclairer ce cours. Cette méthode ne me permet pas d'aborder directement et immédiatement les textes du Code pénal et du Code d'instruction criminelle.

Ce n'est pas que je veuille entreprendre l'histoire complète et détaillée de toutes les solutions qu'ont

reçues en France les quatre questions que soulève toute législation pénale. Ce travail demanderait trop de temps, et l'étude qui ne doit être pour nous qu'un moyen deviendrait le but. Je ne veux pas sacrifier le principal à l'accessoire.

Mes prolégomènes se borneront à l'examen des trois questions suivantes :

1° Qu'est-ce que le Droit pénal, et comment se liet-il aux autres parties du Droit? N'a-t-il pas le même principe qu'elles ?

2° Quelles ont été les sources successives de la législation pénale en France, c'est-à-dire quels ont été les monuments législatifs ou autres qui l'ont traduite?

3° Quels ont été les principes, les idées qui ont animé ces diverses sources? Sous ces trois questions j'essaierai de grouper toutes les notions, y compris les indications bibliographiques nécessaires pour suivre fructueusement l'explication des textes de nos Codes.

Ces prolégomènes vous sembleront longs peutêtre, mais ils seront pour vous, pour l'avenir de vos études juridiques, d'une grande utilité. Je n'épargnerai ni soins ni fatigues pour les rendre exacts et en corriger l'aridité.

Je vous demande, à titre de collaboration, une attention patiente et je serais presque tenté de dire sympathique; je veux que les liens qui m'unissaient à vos devanciers revivent entre nous.

Sur la philosophie du Droit pénal, je vous invite

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