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l'a trop dit, aux juridictions ecclésiastiques, mais bien au Droit romain qui l'avait lui-même emprunté au Droit Attique. Il importe qu'aucun coupable n'échappe à la vengeance sociale: tout est sacrifié à ce but.

L'idée que la royauté est chargée de la vengeance divine et est dépositaire du Droit de glaive, explique les usurpations du pouvoir humain sur la justice de Dieu; elle explique comment la loi sociale a atteint directement et en sou nom de purs faits de conscience, et entrepris de son chef, avec la pénalité pour instrument, une œuvre de prosélytisme. Sans doute, et bien antérieurement, le blasphême, la magie, le sortilége avaient été l'objet d'incriminations et de répressions. Mais c'est que les faits, les actes, punis sous ces qualifications, constituaient des atteintes extérieures à la religion, partie intégrante des lois de l'Etat, et apportaient un trouble à l'ordre social (1).

Sans doute aussi l'hérésie, c'est-à-dire la profession d'une foi en dehors de la foi consacrée par l'autorité catholique, avait été frappée par la justice séculière, et elle avait même été classée parmi les cas royaux ; mais l'intervention du pouvoir politique se bornait à appliquer une peine sociale au trouble social résultant des faits que la juridiction ecclésiastique déclarait, d'après le Droit canonique, constitutifs du crime d'hérésie. Le pouvoir politique n'assumait pas sur

(1) Voir les Capitulaires et l'Ordonnance de saint Louis, de 1264.

lui la responsabilité d'attacher le caractère d'hérésie punissable à telle ou telle infraction aux devoirs religieux. Il laissait cette tâche à l'Eglise et se chargeait seulement de suppléer à l'insuffisance des peines spirituelles (1).

La définition des délits, en matière de foi, cût semblé un empiètement du pouvoir temporel sur le pouvoir spirituel, et la liberté de conscience y gagnait, parce que l'Eglise plus éclairée et plus libérale subordonnait l'existence du délit à des conditions de publicité, de scandale et d'opiniâtreté. Les juridictions ecclésiastiques offraient plus de garanties que toute autre juridiction.

Si les Juifs avaient été souvent proscrits, expulsés du royaume, ce n'était pas comme non-catholiques, mais comme convaincus, en vertu de quelque présomption générale qui les atteignait collectivement, d'usure, d'empoisonnement et d'autres crimes. D'ailleurs, jusqu'au décret du 27 septembre 13 novembre 1791, les Juifs avaient toujours été considérés comme étrangers et placés comme tels en dehors de nos lois.

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La législation contre les protestants, dans quelquesunes de ses dispositions au moins, cette législation heureusement exceptionnelle, est trop empreinte de l'idée que la royauté est la représentation de Dieu.

Que la royauté pût, dans le principe, proscrire,

(4) Beaumanoir, Cout. de Beauvoisis, des Courts d'Eglise, art. 2.-Tome I, p. 157; édit. Beugnot.

comme un trouble social, toute manifestation extérieure, toute entreprise contre la foi nationale, c'est ce qu'il n'est pas permis de contester; si, en effet, le droit d'admettre ou de ne pas admettre la profession publique d'un culte est encore au XIXe siècle reconnu à l'Etat, à plus forte raison ce droit existait-il à une époque où l'unité catholique dominait la société tout entière. Mais le droit n'allait pas jusqu'à violenter les consciences à l'aide de la pénalité. La royauté, qui personnifiait déjà l'unité politique, semblait vouloir personnifier l'unité religieuse.

Les deux idées de vengeance publique et de vengeance divine combinées, se fortifiant l'une par l'autre, expliquent comment l'intensité de certaines peines a été portée jusqu'au luxe de la cruauté: la vengeance et l'expiation ne pouvaient jamais aller trop loin.

Le désir préventif et l'idée d'intimidation expliquent comment, pour certaines incriminations, pour celles de lèse-majesté et de parricide, par exemple, la peine était appliquée même à des insensés et à des fous dont la folie remontait aux faits poursuivis ; - comment, en matière d'accusation de lèse-majesté, des peines étaient appliquées à des enfants innocents du crime de leur père;-comment, non-seulement en matière de lèse-majesté et de duel, certaines poursuites se faisaient et les peines s'appliquaient contre la mémoire du défunt et même contre son cadavre : - il ne s'agissait pas de punir, mais de faire des exemples. C'était la pratique de cette pensée de Quintilien:

a Omnis pœna non tam pertinet AD DELICTUM quam AD

« EXEMPLUM. »

Ces trois idées que nous signalons ne sont pas seulement dans les faits législatifs; elles sont formulées. par la science contemporaine.

DOMAT, dans son Traité des Lois, a paraphrasé, en parlant du prince, le texte : « Non sine causa gla«dium portat; Dei enim minister est, vindex in « iram ei qui malum agit. Et comme c'est Dieu « même qu'ils (les princes) représentent dans le rang « qui les élève au-dessus des autres, il veut qu'ils ⚫ soient considérés comme tenant sa place dans leurs « fonctions et c'est par cette raison qu'il appelle lui« même des dieux, ceux à qui il communique le a droit de gouverner les hommes et de les juger, « parce que c'est un droit qui n'est naturel qu'à « lui.

« C'est pour l'exercice de cette puissance que Dieu << met dans les mains de ceux qui tiennent la pre«<mière place dans le gouvenement, l'autorité sou<< veraine et les divers droits accessoires pour main<< tenir l'ordre dans la société, suivant les lois qu'il << y a établies.

« C'est pour cet ordre qu'il leur donne le droit de « faire les lois et les réglements nécessaires pour le « bien public, selon les tems et selon les lieux, et « la puissance d'imposer des peines aux crimes (1). ›

(1) Traité des Lois, publié en 1689, chap. IX, no 7.

ARGOU, dans son Institution au Droit français, livre III, chap. xxxvш, dit :

« La vengeance est défendue aux hommes et il n'y « a que le Roi qui la puisse exercer par ses officiers, « en vertu du pouvoir qu'il tient de Dieu. »

JOUSSE, dans son Traité de la justice criminelle, voit surtout dans les peines un moyen de défense; il dit dans sa préface :

« Le premier objet des lois en établissant ces peines « et qui regarde tous les criminels en général, à la « réserve de ceux qui sont condamnés au dernier supplice, est de corriger les coupables que l'on punit, afin qu'ils s'attendent à de nouvelles peines « s'ils retombent dans de nouveaux crimes.

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«Le second, qui ne regarde que les grands crimes « et ceux qui sont punis du dernier supplice, est de « mettre ceux qui en sont coupables hors d'état de «< commettre de nouveaux troubles dans la société, <«<en les punissant de mort ou d'une autre peine capitale.

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« Et le troisième qui est commun à toutes sortes « de peines et de supplices, est l'Exemple, afin de <«< contenir, par la vue et la crainte des peines exer«cées sur des coupables, ceux qui ne sont pas rete«nus par d'autres motifs et qui ne s'abstiennent de « faire le mal que par crainte (1). »

Ainsi la pensée d'amendement n'était encore qu'un moyen préventif.

(1) JOUSSE, Justice Criminelle, 1771, PRÉFACE, p. 3.

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