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Je dis donc que de même qu'à mon avis il y a honte pour un parti à abjurer ce qui a fait non-seulement son honneur, mais sa force, de même il y aurait honte pour nous à le suivre dans cette voie. Ni vous, ni nous, messieurs, n'en serons réduits là; vous penserez comme nous, et quoi qu'on en dise, que ce n'est là que de la politique révolutionnaire, anarchique, politique de destruction, de démolition.

Eh bien! les temps de démolition sont passés ; les moyens de démolition ne sont plus de saison. Ce que nous voulons aujourd'hui, c'est affermir, consolider, construire définitivement la monarchie constitutionnelle que la France voulait en 1789, qu'elle a définitivement conquise en 1830. Depuis 1830 jusqu'à aujourd'hui, nous avons surmonté tous les obstacles que nous ont opposés les violences des partis. Si le temps des violences est passé, comme on le dit généralement aujourd'hui, si à sa place est venu le temps des mensonges, nous triompherons, je l'espère, des mensonges comme nous avons triomphé des violences; et nous resterons dans cette politique libérale et modérée qui est la politique de la Charte, et cette politique ira se développant, et portera de jour en jour des fruits nouveaux. (Marques prolongées d'approbation.)

LXI

- Chambre des députés.-Séance du 5 décembre 1834.

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J'ai raconté dans mes Mémoires les incidents des diverses crises ministérielles survenues dans le dernier semestre de 1834, à la suite des élections générales et des premiers débats de la Chambre nouvelle. Quand sa session se rouvrit, en décembre 1834, ces crises donnèrent lieu à de longues explications auxquelles je pris part dans les séances des 5 et 6 décembre, en répondant à MM. Teste et Dupin aîné.

M. GUIZOT, ministre de l'instruction publique. Certainement, messieurs, s'il y a jamais eu une question de bonne foi, c'est celle qui occupe en ce moment la Chambre. Je l'aborderai donc avec une entière bonne foi, avec une entière liberté, et sans crainte d'offenser la Chambre, ni même aucun de ses membres.

Quand l'adresse fut proposée et discutée dans cette Cham

1 Mémoires, t. III, p. 265-272.

T. II.

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bre, au mois d'août dernier, vous vous rappelez, messieurs, l'incident qui s'éleva sur le sens, ou plutôt sur la portée d'un des paragraphes de cette adresse, du paragraphe auquel on paraissait attacher le plus d'importance. Je ne le relirai à la Chambre, mais je demande la permission de remettre sous ses yeux la petite discussion qui s'éleva en ce moment. A propos de la phrase suivante :

pas

« C'est surtout par le choix d'agents fidèles et éclairés qu'il rendra au pouvoir cet ascendant moral qui est sa première force, et qu'a malheureusement altéré dans l'esprit des populations tant d'instabilité dans les hommes et dans les choses. >>

L'un des membres de la Chambre demanda que cette phrase fût modifiée, et proposa de substituer le mot conservera à celui de rendra.

Sur cet amendement, le rapporteur de la commission s'exprima en ces termes :

« L'honorable membre n'a pas suffisamment compris la pensée de la commission au nom de laquelle je ne m'exprime pas, car je n'en ai pas le droit; mais il y a un fait reconnu par tout le monde, c'est que, non pas le gouvernement, mais le pouvoir en général a perdu, par suite des événements, des émeutes, de toutes les agitations dont nous avons été les témoins, a perdu un peu de cet ascendant moral, je dirai plus, de cette considération dont il a besoin pour opérer le bien. J'en appelle à tous les fonctionnaires publics. Ne se plaignent-ils pas de ne point jouir, dans leurs départements, dans les postes qu'ils occupent, de cette confiance à laquelle ils ont droit? Ainsi, en déclarant que les mesures proposées par la Chambre rendront au pouvoir l'ascendant dont il a besoin, je pense que votre commission de l'adresse a exprimé une idée toute gouvernementale. >>

A ces paroles, messieurs, je répondis pour appuyer l'observation de l'honorable rapporteur de la commission :

«Il est évident que la phrase dont il s'agit ne s'applique qu'à cet ascendant moral qui, par suite de tant d'instabilité

dans les hommes et dans les lois depuis quarante ans, a souvent manqué au pouvoir en général. C'est là le sens que M. le rapporteur vient, avec raison, d'attribuer à la phrase, et, dans ce sens, non-seulement nous n'avons aucune raison de la contester, mais nous y adhérons pleinement. Le fait qu'elle signale est réel et il est bon que la Chambre elle-même le caractérise; c'est le désir du gouvernement aussi bien que celui de la commission et de la Chambre, de voir le pouvoir retrouver cet ascendant moral que souvent il a perdu. »

Sur cette explication du rapporteur de la commission, à laquelle j'avais adhéré, s'éleva immédiatement la réclamation suivante. L'honorable M. Laffitte dit : « Pour ma part, je n'admets pas l'explication, car le sens de la phrase est direct, » et M. Odilon Barrot ajouta : « Nous ne volons pas le commentaire, bien entendu. >>

Déjà donc ce jour-là l'adresse était commentée, et il y avait des commentaires différents, le commentaire de M. le rapporteur, auquel pour mon compte j'avais adhéré, et un autre commentaire des honorables MM. Laffitte et Odilon Barrot, qui ne voulaient pas accepter celui de M. le rappor

teur.

Voilà le fait dans sa simplicité, tel qu'il s'est passé dans cette courte discussion de l'adresse au mois d'août. Eh bien ! messieurs, ce fait s'est développé depuis; l'incertitude, le doute qui avaient paru au premier moment sur quelques phrases de l'adresse, cette incertitude a grandi; les commentaires se sont multipliés; les commentaires extérieurs sont venus se joindre aux commentaires intérieurs, et ils ont répandu sur le sens de l'adresse, sur son intention, sur ce qu'on avait voulu en faire, ils ont répandu, dis-je, une véritable obscurité. Ce n'est pas nous, messieurs, qui avons fait naître cette obscurité; nous avons reçu l'adresse dans le sens naturel et raisonnable à nos yeux que M. le rapporteur lui avait donné. Nous sommes, permettez-moi de le dire, et je n'en aurais pas besoin, nous sommes des hommes

sérieux et sincères qui ne faisons nul cas des réticences, des arrière-pensées, des artifices de langage. Nous prenons les mots, comme les idées, dans leur sens naturel et simple; nous l'avons fait au mois d'août dernier. Cependant il est trèsvrai, messieurs, que déjà ce jour-là, comme vous le voyéz, des doutes s'élevaient, et que nous aurions pu, nous aurions dû, peut-être, provoquer à l'instant même une grande et vive discussion, demander à la Chambre d'éclaircir ces doutes qui n'étaient pas venus de nous, de déterminer le véritable sens de l'adresse, de dire, en un mot, quel en était le vrai commentaire, ce commentaire sur lequel on différait déjà dans le sein de la Chambre à cette époque.

Nous ne l'avons pas fait, nous nous sommes abstenus alors de cette discussion. La Chambre me permettra de lui dire pourquoi. Il nous a été dit alors par bien des membres de cette Chambre, attachés au même système politique que nous, qui l'avaient défendu avec nous, il nous a été dit que la Chambre, à cette époque, était peu disposée à une grande discussion politique; que cette discussion réveillerait des animosités, des passions qui ne demandaient pas mieux que de s'amortir. Il nous a été dit qu'il fallait se montrer doux et conciliants, qu'il fallait éviter tout ce qui pourrait avoir pour résultat de porter quelque scission dans le sein de la majorité, de séparer des hommes qui, depuis quatre ans, dans toutes les grandes questions, avaient voté ensemble. C'est dans cet intérêt de conciliation, c'est pour ne pas demander à la Chambre ce qu'elle ne paraissait croire nécessaire que nous nous sommes abstenus d'élever cette grande discussion; nous avons sacrifié alors ce que, dans un langage que je n'admets pas, on a coutume d'appeler l'intérêt ministériel; nous l'avons sacrifié à cet esprit de conciliation et de modération qui paraissait animer la Chambre. Nous nous en sommes remis à la force des choses, au bon sens de la Chambre, de cette interprétation de l'adresse qui paraissait déjà nécessaire et que nous n'aurions pu demander sans amener la grande discussion dont on avait peur.

pas

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