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conditions, il n'est aucun homme sensé qui ne l'accepte avec empressement; mais tant que ces conditions ne sont pas remplies, tant qu'il reste de vives inquiétudes pour l'ordre public, pour le repos des honnêtes gens et de la société, l'amnistie ne serait qu'un acte de faiblesse; elle n'atteindrait pas le but de conciliation dont vous parlez, elle produirait des effets tout contraires; elle ne serait pas opportune, elle serait nuisible. C'est dans ce sens et seulement dans ce sens, que nous l'avons repoussée. (Mouvements prolongés d'assentiment.)

LXIII

- Chambre des députés.-Séance du 2 janvier 1835.—

La discussion du projet de loi relatif au crédit extraordinaire de 360,000 francs, demandé par le gouvernement, pour la construction d'une salle des séances judiciaires de la cour des pairs, se prolongea du 29 décembre 1834 au 4 janvier 1835, et fut aussi ardente que longue. Toutes les grandes questions politiques du temps, le caractère de la révolution de 1830, la politique qui prévalait depuis le cabinet de M. Casimir Périer, l'amnistie réclamée pour les insurgés d'avril 1834, y furent reproduites et vivement débattues. Dans la séance du 2 janvier 1835, je repris trois fois la parole en réponse à MM. Mauguin, Berryer, Charamaule et Odilon Barrot.

M. GUIZOT, ministre de l'instruction publique.—Je demande pardon à la Chambre de prolonger encore un moment cette

discussion. Peut-être aurais-je hésité à prendre la parole si l'honorable préopinant qui descend de cette tribune n'y avait renouvelé contre la politique du ministère un reproche qu'il a déjà plusieurs fois fait retentir ici, et dont avant-hier on a entretenu la Chambre. Ce reproche, que la Chambre me permette de le dire, il m'appartient d'y répondre. On accuse la politique du ministère d'être la reproduction de la Restauration, de tendre vers l'esprit de la Restauration, et ce qu'on appelle l'organisation aristocratique de la France. Messieurs depuis quelque temps on a beaucoup parlé ici de conciliation, d'une politique étrangère au passé, et qui s'occuperait exclusivement de l'avenir. Ce que vous venez d'entendre me paraît une singulière contradiction avec les dispositions qu'on annonce. (Très-bien! très-bien!)

Je ne m'en plains pas, je ne le regrette pas, j'accepte le débat sur le passé comme sur le présent.

M. CHARAMAULE.-Je demande la parole.

M. le ministre de l'instruction publique.-Que la Chambre ne s'en alarme pas; je ne la retiendrai pas longtemps, et je n'y porterai ni passion ni amertume. Il est vrai, messieurs, plusieurs d'entre nous, et moi en particulier, puisqu'on me fait l'honneur de me désigner, nous avons pris quelque temps part à la politique, nous avons rempli des fonctions publiques sous la Restauration. Je ne pense pas que ce soit à ce simple fait que le reproche s'adresse; je ne pense pas qu'on veuille renouveler ici ce principe de l'émigration, qui condamnait à la nullité des citoyens durant de longues années pendant lesquelles cependant le pays avait un gouvernement régulier qu'il reconnaissait et auquel il obéissait. C'est sans doute au caractère de notre conduite, de notre politique, de notre influence sous la Restauration que le reproche s'adresse.

Eh bien! messieurs, vous avez entendu avant-hier un honorable et très-éloquent orateur, dont je regrette en ce moment l'absence, vous l'avez entendu dire que, pendant les quinze années de la Restauration, c'était son parti, ses amis, qui avaient constamment pris en main la cause des libertés

publiques, qui avaient défendu la France contre les violences, contre l'esprit de réaction et de persécution, qui avaient sans cesse réclamé, pour elle, les institutions que lui promettait la Charte.

En vérité, messieurs, je regrette, je le répète, que l'honorable orateur ne soit pas ici présent; mais ses paroles n'étaient-elles pas, je vous le demande, un démenti à tous vos souvenirs, à tout ce que vous avez entendu pendant ces quinze années dont on vous entretient? Qu'avons-nous fait, messieurs, à cette époque? Nous avons, mes amis et moi, puisqu'on m'oblige à me mettre en cause, nous avons sincèrement et constamment travaillé, pendant que nous prenions part de près ou de loin au gouvernement, sincèrement travaillé à fonder en France la monarchie constitutionnelle, à réaliser la Charte, à introduire dans le gouvernement la vérité et la sincérité.

Il m'est aisé de rappeler ici quelques faits qui ne laisseraient pas, s'il en était besoin, le moindre doute à la Chambre.

A quelle époque appartiennent les lois qui nous sont restées de ces quinze ans, et qui ont, non pas accompli, mais commencé en France le système du gouvernement représentatif et de la monarchie constitutionnelle? A quelle époque appartient cette loi des élections qui a fondé l'élection directe et qu'on se crut obligé d'attaquer et d'abolir quand on voulut attaquer la France nouvelle? A quelle époque appartient cette loi du recrutement qui a établi le principe de l'égalité dans l'acte le plus général de la vie civile? A quelle époque appartiennent ces lois qui ont réalisé la liberté de la presse, attribué les délits de la presse au jury, et fait sortir cette législation de l'ornière dans laquelle elle s'était jusque-là traînée, réclamant toujours la liberté et toujours incapable de la fonder effectivement? Je pourrais citer d'autres lois; je cite celles-là, parce qu'elles sont restées, parce qu'elles sont devenues le fondement de notre droit constitutionnel. A quelle époque, je le demande, appartiennent ces lois? A l'époque où mes amis et moi nous exercions quelque influence, bien incom

plète et bien souvent contestée, dans les conseils du gouvernement. Certes, messieurs, je puis le dire, cette influence n'a pas été vaine, stérile; elle a produit les lois dont je vous ai parlé.

Elle avait aussi d'autres conséquences. Quoi? On prétend nous faire oublier, quand on parle de persécutions, de réactions, de violences, que c'étaient mes amis et moi qui nous élevions incessamment contre l'esprit violent, réacteur, persécuteur de la majorité de la Chambre de 1815! On prétend faire oublier que c'est pour échapper à cet esprit que mes amis et moi nous avons provoqué, amené l'ordonnance du 5 septembre qui a arraché la France à la tyrannie et aux périls dont cette majorité la menaçait!....... (Très-bien! très-bien!) En vérité, je suis honteux de rappeler ces faits, d'être obligé de les rappeler; ils sont si simples et si notoires que c'est une sorte de honte, je le répète, d'être obligé de les rappeler. A cette époque, notre éloge, à raison de ces faits, de cette conduite, retentissait dans la bouche des partis qui aujourd'hui nous attaquent. Je dis des partis, je devrais dire du parti un seul, un seul parti était alors contre nous. C'est celui qui hier s'attribuait le mérite de la douceur, de la clémence, de la libéralité; ce parti seul nous attaquait alors... (Très-bien! très-bien!)

Et qu'a-t-il fait, je vous le demande, ce parti, quand il est arrivé au pouvoir, quand nos efforts constants pour prévenir le retour de l'ancien régime, pour maintenir les classes nouvellement élevées à la vie politique dans les droits que la Révolution avait conquis, pour réaliser nos institutions constitutionnelles, quand ces efforts, au bout de quelques années, ont été forcés de céder aux intrigues qui s'agitaient, qu'a-t-il fait, ce parti, quand il a eu le pouvoir dans les mains à son tour?

Je ne veux point suivre des exemples que je désapprouve ; je ne veux envenimer aucune passion, mais permettez-moi de citer quelques lois, quelques mesures qui appartiennent à l'époque et au parti que l'on a vantés.

T. II.

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