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LXV

Chambre des députés. - Séance du 14 mars 1835.–

Après la reconstitution du cabinet sous la présidence du duc de Broglie, M. Mauguin lui adressa de nouvelles interpellations sur les causes qui l'avaient tenu, pendant trois semaines, en état de dissolution, et sur les maximes qui avaient présidé à sa réorganisation.

M. GUIZOT, ministre de l'instruction publique.-M. le président, je demande la parole.

Messieurs, je remercie l'honorable préopinant de la gravité et de la précision qu'il a apportées dans ce débat; mais je ne puis accepter la forme insolite qu'il a voulu lui donner.

M. MAUGUIN, de sa place.—Je remarque qu'il n'y a ici rien d'insolite on pose ordinairement des questions verbales; elles s'effacent des esprits; c'est pour qu'elles ne s'effacent pas que je les ai portées par écrit.

M. le Président.-Ce n'est pas pour faire la question que l'orateur me l'a transmise.

M. MAUGUIN.-Nullement.

M. le ministre de l'instruction publique.—Je répète que cette forme est insolite, et que je ne puis l'accepter. Je ne puis prendre et je ne prends point l'engagement... (Interruption à gauche.)

Ces messieurs savent sans doute ce que je veux dire, et quel est l'engagement que je ne veux pas prendre. (Rire approbatif au centre.)

Je répète que je ne puis prendre et que je ne prends pas l'engagement de répondre expressément aux questions que l'honorable préopinant nous adresse. Il pose la question comme il l'entend; il en a le droit. A son tour, le cabinet donnera les explications qui lui paraîtront convenables et utiles; mais il ne s'engage point à donner docilement des réponses à des demandes déterminées, et ces demandes ne peuvent passer par l'organe de M. le président. Un membre de la Chambre adresse des interpellations aux ministres ; il demande des explications; il en a parfaitement le droit. Il peut rédiger ces questions, ces interpellations dans la forme qui lui convient; mais c'est lui seul qui les adresse, c'est lui seul qui parle; M. le président ne saurait intervenir dans ce débat, et le ministre s'explique sur les demandes qui lui paraissent convenables, sans être limité, enfermé dans les interpellations qui lui sont adressées et tenu de les subir telles qu'on les lui adresse.

Voilà les observations que j'ai à soumettre à la Chambre quant à la forme même du débat; j'entre immédiatement dans le fond.

Je ne puis m'empêcher de remercier de nouveau l'orateur de la gravité de ses interpellations, et des limites qu'il leur a lui-même assignées. Il en a écarté tout ce qui pouvait devenir une occasion de scandale; il leur a donné un caractère vraiment politique. Ce sont les causes politiques de la dissolution momentanée et de la recomposition du ministère qu'il nous demande. C'est sur ce point que je m'expliquerai. Il n'est aucun de vous, messieurs, qui ignore que, depuis

la formation de cette Chambre, et très-peu de temps après son élection, un effort tant intérieur qu'extérieur a été tenté pour amener un changement dans la politique suivie depuis quatre ans. C'est là le fait dominant de notre situation depuis six mois, je dirai même depuis l'été dernier. Rappelezvous tous les incidents qui sont survenus depuis cette époque; vous verrez que c'est là le fait caractéristique de notre situation. Je n'en fais un reproche à personne. Ceux qui ont demandé et recherché par tous les moyens possibles, par la discussion au dedans et au dehors de cette Chambre, un changement de système, croient, sans aucun doute, qu'une politique toute nouvelle et différente serait meilleure que celle qui a été suivie jusqu'à présent. Ils en ont le droit ; je ne m'en étonne pas, je caractérise seulement le fait, et je dis que c'est, depuis l'été dernier, le fait dominant de notre situation.

Eh bien! quelles étaient, dans cette situation, les règles de notre conduite? Qu'avions-nous à faire, nous qui soutenions depuis quatre ans la politique adoptée, nous qui la soutenions et dans les choses et dans les personnes?

Voici les deux règles de conduite qui nous ont constamment gouvernés.

D'abord, la fidélité, une fidélité scrupuleuse à cette même politique qu'on voulait changer, le ferme maintien de ce système qu'on voulait altérer. Il était de notre devoir comme de notre honneur d'y persévérer.

Nous l'avons fait, d'abord parce que nous sommes convaincus que ce système a été le meilleur jusqu'à présent, et qu'il est encore le meilleur, malgré les changements survenus dans l'état de la société, malgré la nouvelle face des affaires, et les modifications qu'elle peut amener dans la conduite du pouvoir. Il est bien clair que là où il n'y a plus d'émeute, on ne tire plus de coups de fusil, que là où il n'y a pas de crimes, on ne demande pas de répression. Il est bien clair qu'à mesure que l'état de la société s'adoucit, à mesure que les esprits se calment, la politique, sans abandonner les principes qui lui

ont servi de règle dans des temps difficiles, doit devenir plus facile, plus douce, et qu'en restant toujours la même, elle ne doit pas faire exactement les mêmes choses.

En nous refusant donc à ce changement de système que l'opposition n'a cessé de réclamer, je ne nie pas qu'il n'y ait des modifications à apporter dans la conduite du gouvernement; mais ces modifications laisseront subsister au fond les principes, le système, la politique suivis depuis 1830, parce que, aujourd'hui comme alors, cette politique est la seule qui, à nos yeux, convienne aux besoins du pays.

Vous savez tous, messieurs, quelle est la question dont on a fait, depuis l'été dernier, le pivot de ces efforts continuels pour amener un changement de système; c'est la question de l'amnistie. (Écoutez! écoutez!)

Il n'est personne qui, en regardant à ce qui s'est passé, ne voie que c'est à l'aide de cette question qu'on s'est efforcé d'amener le changement de système qu'on désirait. Eh bien ! à ce sujet, je serai, comme j'ai eu l'honneur de le dire à la dernière séance, de la plus complète sincérité.

Nos premières dispositions n'étaient point défavorables à l'amnistie; on a pu en recueillir çà et là, plus d'une fois, le témoignage; non pas que nous crussions l'amnistie une vraie nécessité politique, non pas que nous la regardassions comme impérieusement commandée par l'état de la société, par le besoin de raffermir l'ordre social, momentanément et profondément troublé; non certainement. Non, nous ne pensions pas, nous n'avons jamais pensé que, depuis la révolution de 1830, il se soit produit en France aucune cause impérieuse d'une grande amnistie; mais nous pensions qu'il pouvait y avoir tel moment où une mesure de douceur, de clémence, de réconciliation était bonne, désirable, et devait être provoquée par le gouvernement luimême.

Nous n'avons pas tardé, messieurs, à nous apercevoir que cette insistance avec laquelle on demandait l'amnistie n'avait effectivement d'autre objet que de changer la politique du

J'ignore donc ce qui peut exciter le rire dans les observations que j'adresse à la Chambre. Le parti dont je parle, le juste-milieu, n'est pas accoutumé à rire, depuis quarante ans, de ce qui se passe en France; il en a beaucoup souffert; c'est ce parti qui a détesté, qui a maudit la domination des factions de tous genres, sous quelque drapeau qu'elles se soient produites (Très-bien! très-bien !); c'est ce parti qui a toujours été, en France, le parti de la justice, de la modération, de l'impartialité; c'est ce parti qui a toujours voulu protéger tout le monde, et qui n'a pas toujours su se protéger lui-même contre les factions qui dévoraient notre pays. Or, depuis quatre ans, messieurs, le juste-milieu a appris à se protéger lui-même, à protéger tout le monde, même les factions les unes contre les autres, à leur assurer à toutes la liberté dont elles n'avaient jamais joui jusque-là et qu'elles n'avaient jamais donnée; car, dans tout le cours de la Révolution, les factions n'ont jamais su que s'opprimer réciproquement et opprimer la nation en même temps; c'est au parti seul du juste-milieu qu'il appartient de défendre tout le monde, et les factions contre elles-mêmes, et la France. contre les factions. (Vif mouvement d'adhésion.)

Eh bien! messieurs, il nous a paru que, de toutes les choses qui nous étaient confiées, la plus importante aujourd'hui, c'était le maintien, le ferme maintien, l'organisation de plus en plus forte et efficace de cet honorable et salutaire parti, seul capable de sauver le pays.

Voilà pourquoi nous avons repoussé l'amnistie: il nous a paru qu'elle portait la désorganisation dans cette opinion; il nous a paru que les hommes modérés, les hommes sages et courageux en même temps, avec lesquels nous agissions depuis longtemps, ne nous seconderaient plus, et se retireraient peut-être, du moins en grand nombre, de la scène politique, si une pareille mesure venait jeter dans leur àme l'inquiétude et le découragement.

C'est par ces motifs, c'est pour rester fidèle à toute notre politique que nous avons repoussé une mesure qui, d'abord,

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