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L'un des projets de loi présentés par le gouvernement à la Chambre des députés, le 4 août 1835, après l'attentat de Fieschi, était relatif au mode de procéder du jury en matière criminelle. Le rapport en fut fait, le 11 août, par M. Parant, député de la Moselle. La discussion dura du 14 au 20 août, et le projet de loi fut adopté par 224 voix contre 149. Je pris la parole les 17 et 20 août, en réponse à MM. Arago, Roger du Loiret et Gauguier.

M. Guizor, ministre de l'instruction publique.-Messieurs, c'est sur la position de la question et l'ordre de la délibéra– tion que j'ai quelques mots à dire à la Chambre. Tout le monde ici a l'intention de voter en parfaite connaissance de cause. Il est donc indispensable de bien établir où nous en

sommes.

Il y a trois systèmes en présence, comme le disait tout à l'heure votre honorable président : le système de la majorité de huit contre quatre, le système de la majorité de sept contre cinq, et le système de cette même majorité de sept contre cinq avec l'adjonction de la cour. Quand nous avons proposé le système de la majorité de sept contre cinq, nous avons pensé que, dans l'état actuel des esprits et des faits, ce système offrait à l'ordre social d'une part, à l'accusé de l'autre, des garanties suffisantes, et qu'en même temps il conservait à l'institution du jury toute son énergie. C'est encore, je dois le dire, l'opinion du gouvernement. Un assez grand nombre de personnes paraissent croire que l'adjonction de la cour à la majorité de sept contre cinq donne une garantie de plus à l'accusé. Nous ne croyons pas, pour notre compte, que cette garantic soit nécessaire..... Si la Chambre me permettait de rentrer dans la discussion..... (Oui! oui! Parlez! parlez!) j'essayerais de le montrer en posant la question fondamentale de la manière la plus simple. Je n'ai pas l'intention de combattre les divers arguments présentés contre tel ou tel système.

M. THIL.--Combattez-les, au contraire, cela nous éclairera. M. le ministre de l'instruction publique.—Je répète que je n'ai pas l'intention de les combattre; je ne veux toucher qu'au nœud de la question.

Messieurs, je trouve quelque chose d'étrange à nous entendre reprocher ici l'instabilité de nos lois. Mais, en vérité, à qui ce reproche s'adresse-t-il? Est-ce à nous, gouvernement? Mais nous ne sommes pour rien dans l'instabilité dont on nous accuse. Est-ce nous, est-ce le gouvernement, sont-ce ses amis, ses partisans qui ont amené les faits, les désordres desquels cette instabilité provient? Permettez-moi de vous le dire s'il n'y avait que nous, que nos amis, ou plutôt s'il n'y avait que des hommes animés des mêmes sentiments que nous, là France pourrait jouir sans trouble, sans instabilité, de toutes les libertés qu'elle peut posséder..... (Vive interruption à gauche.)

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M. LAFFITTE.-Votre France n'est pas la nôtre; c'est celle de 1815.

M. le ministre de l'instruction publique.—Je prie les honorables membres qui m'interrompent de me laisser continuer ; je n'accepte pas une discussion qui se passe en colloques et en conversations continuelles.....

M. ARAGO.-Je suis bien aise que vous le reconnaissiez..... M. le ministre de l'instruction publique.-Je n'interromps jamais.

M. ARAGO.-Je ne vous accuse pas d'interrompre, mais je suis bien aise que vous reconnaissiez cela.

M. le ministre de l'instruction publique.-Je n'ai jamais fait à cette tribune l'apologie des interruptions. Il est dans mes habitudes de respecter complétement la liberté de ceux qui parlent, et d'user complétement de la mienne..... (C'est vrai! c'est vrai!)

M. le président.-Tout le monde a eu des torts.

M. le ministre de l'instruction publique. -Je prie M. le président de ne pas me comprendre dans ces mots : tout le monde. (On rit.)

Je reprends, messieurs, et je dis que si, hors de cette enceinte, il n'y avait, pour se mêler des affaires de la France, que des hommes animés des mêmes sentiments que nous, les libertés de la France, quelque étendues qu'elles soient, ne seraient jamais en question. Ce n'est pas nous, messieurs, ce sont les hommes qui font de ces libertés des instruments de désordre, des causes d'affaiblissement pour la sécurité des citoyens, ce sont ceux-là qu'il faut venir accuser de l'instabilité des lois, et non pas nous qui sommes chargés de porter remède aux maux qui éclatent, non pas nous qui sommes chargés de réprimer les désordres, et qui ne pouvons pas, sous notre responsabilité, accepter l'insuffisance des lois quand elle est évidente.

La question, la vraie question se réduit donc à ceci : Dans l'état actuel des faits, dans l'état actuel des esprits, avec les

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tentatives chaque jour renouvelées qui menacent l'ordre social, qui attaquent publiquement, ouvertement, patemment, en s'en faisant gloire, l'ordre établi, dans un pareil état des esprits et des faits, les garanties judiciaires de l'ordre social, les garanties de la stabilité, les garanties de la sécurité de tous sont-elles suffisantes, particulièrement en ce qui concerne le jury?

C'est là l'unique question. Eh bien ! il est vrai qu'en 1834, quand on a fait la loi du 4 mars, tout le monde a pensé, et moi comme les autres, tout le monde a pensé que le pays était assez tranquille, l'ordre assez fort pour qu'on pût donner à l'accusé, dans les procès criminels, la garantie d'une voix de plus. Cela est vrai, nous l'avons pensé; les Chambres et le roi l'ont ainsi décidé le 4 mars 1831; mais aujourd'hui, après tout ce qui est survenu... Messieurs, je ne veux accuser personne, je ne veux rappeler aucun fait particulier; mais, en vérité, je pourrais me borner, comme le faisait tout à l'heure l'honorable M. Hébert, à faire un appel à l'expérience et à la conscience de tout le monde. N'est-il pas vrai qu'il s'est élevé en France un cri, je ne veux pas dire, je ne dis pas universel, mais un cri très-répandu, un cri mille fois répété, sur la faiblesse d'un grand nombre de décisions en matière criminelle. (Interruption à gauche.)

Messieurs, vous êles parfaitement les maîtres de penser que l'on a eu tort, que cette plainte est mal fondée ; mais je dis qu'en effet la plainte s'est élevée, et il y a sur les bancs de cette Chambre assez d'hommes qui l'ont entendue pour que je ne craigne pas d'être démenti dans mon assertion.

Nous sommes donc aujourd'hui en présence de faits différents, et sous l'empire d'impressions différentes de ce qui était en 1831.

On nous reproche de faire des lois sous l'empire de ces impressions; on dit que nous voulons exploiter les circonstances, que nous profitons d'événements déplorables pour enlever au pays, lambeaux par lambeaux, toutes ses libertés. (A gauche. Oui! Oui!) Messieurs, je vous dirai toute ma

pensée ce n'est pas hier pour la première fois que nous avons pensé que des mesures analogues à celles que nous vous avons présentées pourraient devenir nécessaires; ce n'est pas d'aujourd'hui que j'en ai, pour mon compte, entrevu la convenance et l'utilité. Mais c'est le droit et l'honneur des pays libres de ne recevoir des lois que lorsque tout le monde, la majorité s'entend, est convaincu de leur nécessité ; il y a là un mal sans doute, mais un mal inévitable, et qui est infiniment surpassé par le bien de la liberté. Oui, c'est le droit des pays libres que la nécessité ne soit pas prévenue par la sagesse même des gouvernements; c'est le droit des pays libres que la sagesse du pays ait parlé.

Eh bien! c'est vrai, nous avons attendu; il nous est souvent arrivé, et il nous arrivera souvent d'attendre que la nécessité soit venue, évidemment venue. Il y aura, sachezle bien, dans le cours de votre vie politique, dans le cours de la vie politique du pays, il y aura souvent des lois qui viendront trop tard, des lois dont l'absence aura quelque temps laissé souffrir la société. Résignez-vous à cela; soyezen fiers. C'est, je le répète, votre droit, votre privilége, le privilége attaché à notre qualité de pays libre. Mais quand les événements ont éclaté, quand la nécessité a parlé, quand du moins elle a apparu à un grand nombre d'esprits, et qu'elle est devenue matière de discussion publique, quand tout le monde en parle, au spectacle, dans les rues, dans l'intérieur du foyer domestique, quand tout le monde élève les questions que nous traitons ici nous-mêmes, quand tout le monde parle du jury, du mode de procédure, de la presse, vous voudriez que le gouvernement restât inactif? que quand la France crie, les pouvoirs publics gardassent le silence? Vous appelez cela exploiter les circonstances, profiter des événements? Messieurs, c'est notre premier devoir, comme gouvernement, d'agir ainsi; nous serions impardonnables si, quand tout le monde élève la voix, nous nous taisions; si nous ne faisions rien quand tout le monde attend notre action, si nous ne profitions pas, oui, si nous ne profitions pas,

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