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Bien que l'auteur du Traité de Versif. franç. ne prétende pas en propres termes que oi soit antérieur a ai, comme forme d'écriture, il est impossible de nier qu'il le considère comme antérieur pour la prononciation. « Nos plus anciens textes, dit-il, (') présentent presque toujours ei à la place de oi, » et plus loin: (2) « Primitivement oy avait le son de ay. »

Il est vrai qu'un grand nombre d'anciens textes, par exemple, la Chanson de Roland, la Chronique des ducs de Normandie, le Roman de Rou, présentent presque toujours ei à la place de oi. Mais il ne suffit pas de citer des textes anciens; il faut citer des textes de provenance diverse, et tous ceux que l'auteur met en avant sont Normands. Or il n'est pas douteux et personne ne conteste que la Normandie ait professé et témoigne encore de nos jours pour le son ei un culte tout particulier. Je trouve dans Burguy (I. p. 25.) une réponse qui me semble péremptoire aux opinions du savant philologue : « D'où nous vient, dit-il, la diphthongue oi inconnue aux autres langues romanes? L'attribuera-t-on à l'influence celto-belge? Oi répond en effet au gallois wy qui s'emploie également pour e long et æ latin, que nous traduisons par oi; de plus la diphthongue oi a été prédominante au nord de la France, au sud de la Belgique, et un peu plus tard dans la Bourgogne proprement dite, contrées habitées par les Celtes Belges. Je crois néanmoins qu'il ne faut pas chercher une origine étrangère à la diphthongue oi; elle est aussi organique que les autres. Je n'accorde pas, comme on le fait ordinairement, une plus haute ancienneté à l'ei qu'à l'oi, en ce sens que ei aurait été d'abord employé pour oi, où l'on trouve aujourd'hui ce dernier. Ni le chant d'Eula

(1) Id. p. 340.

(2) Id. p. 346.

lie, ni le fragment de Valenciennes, etc. ne nous permettent de tirer une telle conclusion, parce qu'on ignore par qui et où ont été écrits les manuscrits qui nous sont parvenus. Les monuments postérieurs, chartes, romans, nous montrent partout l'oi et l'ei en parfait accord avec la vocalisation de la province à laquelle ces monumens doivent être rapportés. »

J'ajouterai que deux des plus anciens monuments de la langue française, le Livre des Rois et le Livre de Job, le premier en dialecte Normand, le second en dialecte Bourguignon, tous deux écrits dans la seconde moitié du XIIe siècle, confirment l'opinion du grammairien. Dans l'un, c'est l'ei, dans l'autre, l'oi qui domine. Fallot ne s'y est pas trompé : « Le langage Normand, dit-il, écrivait en ei ou simplement en e la syllabe oi française, substituant ainsi des formes grêles et tenues aux syllabes pleines et sonores des autres dialectes.» (G. Fallot, Rech. p. 25.) On peut voir dans le Traité de Versif. fr. de nombreux exemples d'orthographe et de prononciation normandes; en voici un de prononciation bourguignonne tout aussi ancien :

« Quar la cremmors, cui je cremmoi, moi est venue, et ce que je redotoi, moi est chaüt. (M. s. J. p. 471.)

Je pourrais en citer mille autres pris, et dans le Livre de Job, écrit, comme je l'ai dit, dans la seconde moitié du XIIe siècle, et dans les sermons de S'-Bernard, dont la copie, qui date du XIIIe siècle, a été faite très scrupuleusement, au témoignage de M. Leroux de Lincy, sur une du XII.

Pourquoi n'abriterai-je pas mon opinion sous l'autorité du savant Est. Pasquier, qui écrivait à Ramus: « Nous avons une diphthongue oy qui est née avec nous, ou qui par une possession immémoriale s'est tournée en nature, diphthongue dès pieça reconnue estre nostre par les estrangers, etc. »

Il me semble suffisamment démontré que l'oi bourguignon est aussi ancien que l'ei normand.

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OI--OY ne s'est jamais au moyen âge prononcé AI-EI.

D'après l'auteur du Traité de Versif. fr., la bivocale oi aurait sonné ai jusque vers la première moitié du XVIe siècle. Qu'est-ce qui le prouve? Quoi! parce que vous trouvez bourgeois, croix, courtois rimant avec je fais dans Christine de Pisan; Seine et royne, aise et poyse, sait et cessoit dans Villon; hayes et monnoies, paresse et nostre paroisse dans Coquillart; françoise, courtoise, framboise, Amboise, rimant avec aise dans Cretin; roide et reméde dans Marot, tous auteurs qui n'étaient pas Normands, vous en concluez qu'on prononçait bourgeais, craix, courtais, frambaise, Ambaise, etc., pendant tout le moyen âge! (p. 343 et 344.) Et un éditeur d'un Recueil de Farces, Sotties et Moralités du XVe siècle, adoptant les mêmes idées, n'a pas hésité, à propos de ces vers du nouveau Patelin :

De même vous fais assavoir
Qu'il y a deux ou trois bourgeoises

De mesme qui seront bien ayses, etc.

à mettre en note: « Cette rime prouve qu'on prononçait alors bourgeaises, comme on prononce maintenant françaises. »

Je m'inscris en faux contre ces assertions. C'est absolument comme si, à propos de ces vers d'un poète moderne :

Adieu, pleurez-moy sans me plaindre;

Je meurs en tout espoir, et sur de vous rejoindre.

(V. de Laprade, Pernette.) (')

un commentateur venait dire à son public dans 400 ans d'ici : « Cette rime prouve qu'en l'an de grâce 1868 on prononçait rejaindre, de même qu'aujourd'hui en 2268 nous prononçons plain

dre. »

(1) Cf. ibid. saintes, jointes; et Cl. Marot, Ps. LXVI. B. joindre, estreindre; LXVIII. B. jointes, sainctes.

J'ai prouvé par des citations authentiques que oi-oué remontait aux plus anciens temps de notre langue, et j'ai appuyé mon sentiment d'une manière irréfutable, si je ne m'abuse, des opinions de Burguy et de Fallot, qui sont aussi celles de M. Leroux de Lincy. Je vais lui donner une nouvelle force à l'aide des assertions même de l'auteur que je combats.

« On n'a jamais prononcé gloire, mémoire, dit-il (p. 353.), avec le son ai, glaire, mémaire. » Je me demande alors comment le savant bibliothécaire lirait les vers suivans:

Anneaux, robes, IX ou dix paires.
Ce morceau cy m'est trop aigret.
Moult se passe tost vainne gloire ;
Femme en ses saulx meurt à regret.

(Ds Mac. des femmes.)

Lira-t-il à la moderne père, gloare? Il n'y a plus de rime; il n'y pas même d'assonance. Dira-t-il poires? Impossible, puisqu'il a déclaré (p. 343) que « pendant le XVe siècle, oi continue à se prononcer ai. » Glaire? mais « on n'a jamais, écrit-il avec raison, prononcé gloire avec le son ai, glaire. » Qu'il lise avec la prononciation bourguignonne oué ou ouè, peu m'importe, et la rime y est: Anneaux, robes, IX ou dix paires...

Moult se passe tot vainne glouère. (')

Et tout est expliqué, toutes les difficultés sont levées. Pourquoi voyons-nous si souvent la dipthongue oi notée oe, non pas seulement au XVIe siècle, mais dès le XIII, sinon parce que, excepté dans le dialecte normand, on la prononçait ainsi ? Ex. :

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auroit; (Lettr. de Rois, vol. I. p. 133. a. 1260.)

Aussi ces beaux dorez tressouers,

Et ces riches dorez fermouers. (Rom. de la R. vs. 9730.)

(1) Cf. Cl. Marot, Ps. CIX. B. gloire, taire; LXIII, B; gloire, sanctuaire.

Alors il n'y a plus de fausses rimes; on peut affirmer qu'il n'y en eut que très rarement, qu'il n'y en eut peut-être même jamais à une époque où l'on était préoccupé de rimer, non aux yeux, mais à l'oreille. Je fais rime avec courtois, prononcé courtouais; Scine avec roueine; aise avec pouaise, scet avec cessouet; bourgeouaise dans le nouveau Pathelin avec aise, etc. Et faut-il s'étonner maintenant que Sibilet ait autorisé les poètes à faire rimer estre avec cognoistre prononcé connöuestre? (')

Ainsi oi n'a point sonné ei pendant le moyen âge. Oi-oué était la diphthongue picarde et bourguignonne et par suite française, comme ei fut la diphthongue normande.

§ III. Qu'il est faux d'affirmer d'une manière générale que la rime en CI, plus rare dans les grands poètes du XVIIe siècle, fut alors certainement vicieuse.

Il ne peut, dit l'auteur du Traité de Versif. fr. (p. 347.), y avoir aucun doute à cet égard; c'est une erreur de croire que ces rimes étaient bonnes du temps de Boileau et de Racine. » C'est ce que je vais examiner.

res,

Je ne parlerai pas de la rime de françois avec lois, fois, exploits, bourgeois, si commune dans tous les poètes, même les plus sévèdu XVIIe siècle. Tout le monde sait, et Régnier-Desmarais nous l'apprend dans sa grammaire (p. 42 et suiv.), que l'on disait Français dans le langage commun et François, dans un langage plus relevé. Je le cite ici textuellement, afin que l'on comprenne bien qu'au XVII° siècle il y avait deux prononciations distinctes de la diphthongue oi, même dans le même mot : « Il y a des mots de nation dont la dernière syllabe au masculin, et la pénultième au

(1) V. Traité de Versif. fr.,
p. 345.

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