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féminin se prononcent ordinairement par un e ouvert, comme un François, une Françoise, un Anglois, une Angloise, quoyque dans les vers ou dans un discours public ils reçoivent la prononciation de la règle générale, » qui était que la diphthongue oi sonnait ouè. Et c'était non seulement les noms de nation, qui se prononçaient ainsi, mais encore un certain nombre d'autres mots, comme l'atteste le passage suivant : « Généralement l'o et l'y, l'o et l'i, assemblez dans une mesme syllabe se prononcent comme une diphthongue, où l'on entend en même temps le son d'un o, et celui d'un è ouvert. Mais l'usage ordinaire de la prononciation excepte de cette règle les verbes croire, croistre, connoistre, paroistre, nettoyer et leurs dérivés; droit adjectif, froid et roide avec tous leurs dérivés; les trois personnes singulières du verbe estre au subjonctif, je sois, tu sois, il soit, et la personne plurielle du mesme temps, ils soient; et enfin la dernière syllabe de tous les imparfaits des verbes dans les personnes singulières, comme j'estois, je serois, etc. et dans les troisièmes personnes plurielles, comme ils estoient, ils seroient, etc. où l'e et l'n perdent leur son. » (p. 45.)

Eh bien! tous ces mots, adjectifs ou substantifs rimant avec des imparfaits en oit, et qui vous offusquent comme fausses rimes, lisez-les conformément aux règles que je viens de citer, drette, adrette, frède, étrette, à la Normande, ou drouéte, adròuéte, frouéde, étroéte, à la Bourguignonne, et de fausses rimes, il n'y en a plus. Maladroit-maladret ou maladrouet rime avec perdroit-perdrouet; endroit-endret ou endrouet avec surprendroit-surprendret ou surprendrouet; froid-fred ou froued avec observoit-observet ou observouet. Souvent même dans la plupart des éditions antérieures à 1660, et aussi dans quelques éditions postérieures, l'orthographe de ces mots se trouve d'accord avec la prononciation. J'ai déjà cité l'exemple suivant de J. de Montlyard, poète du XVI siècle :

Eschappé du filet qui d'une attache estrette

Les tenoyt enserrez, chascun fait sa retraite,

En voici de nouveaux puisés dans les auteurs même du XVII siècle :

Sur un sceptre d'ivoire il repose sa drette
Qui donne à son maintien une beauté secrète.
(S'-Garde, Ch. Martel, ch. IV.)

Une tête de barbe avec l'étoile nette,
L'encolure d'un cygne, effilée et bien drette.
(Molière, les Fâcheux, acte II. sc. 7.)
Damoiselle belette au corps long et fluet
Entra dans un grenier par un trou fort étreit.
(Lafontaine, III, 17, éd. de 1678.)
Voyez-vous ces cases etrétes?

Je me suis proposé d'en faire vos retraites.
(Id. III. 8, éd. de 1678.)

L'édition de 1668 écrit étraites : « Peut-être prononçait-on ainsi, »> met en note M. Walkenaer. S'il avait ouvert Richelet, il eut effacé peut-être. « Etroit, étroite, dit Richelet, prononcez étret, étrette. » Evidemment, si l'on veut appliquer à la langue du XVII siècle la prononciation actuelle, drouate, é trouate, la rime sera fausse. Mais si vous vous refusez absolument à lire drète, étrète, prononcez drouète, étrouète et la rime y sera encore; et c'est ainsi, c'est-à-dire en ouè que je lirais ces deux vers de Racine, lesquels on a accusés d'être faux de rime (').

Tenez, voilà le cas qu'on fait de votre exploit. (explouet.)

Comment, c'est un exploit que ma fille lisoit. (lisait ou lisouet.)

Je n'hésiterais pas à dire lisouet, comme on prononçait encore au Palais à cette époque. Les Plaideurs sont de 1668; or voici ce que je lis dans une grammaire imprimée pour la première fois en 1659 et dont la dixième et dernière édition fut publiée en 1697: « Plusieurs grammairiens sont trop rigoureux en leurs censures,

(1) Traité de Versif. fr., p. 348,

condamnant trop hardiment l'une des prononciations de deux qui sont également bonnes, ou du moins toutes deux recevables. Par exemple, il est plus doux et plus commun entre les bien disans de prononcer: Je parlais. Toutefois ce n'est pas une faute de dire: Je parlois, puisqu'à Paris, dans le barreau, et dans les chaires des prédicateurs, il y a beaucoup de langues éloquentes qui ne refuyent pas cette prononciation. » (L. Chifflet, p. 178. Cf. p. 200.)

Nos grands poètes se sont toujours montrés sur la rime d'un scrupule et d'une sévérité beaucoup plus grands qu'on ne le croit généralement.

Racine, pour ne citer qu'un exemple, était à cet égard d'une rigueur inouïe. Il avait mis dans la première édition d'Andromaque :

Lassé de ses trompeurs attraits,

Au lieu de l'enlever, Seigneur, je la fuirais.
(Acte III, sc. 1.)

Fuirais, c'était contraire à l'orthographe usuelle. Tout le siècle de Louis XIV a écrit fuirois, mais fuirois ne rimait pas aux yeux. «< Autrefois, dit Vaugelas, on laissait aux poètes la liberté de rimer les imparfaits qui se prononcent en ais, comme je voulois avec des mots qui se prononcent en ois, comme voix. Présentement ces sortes de rimes ne sont plus permises: Musas colimus severiores. » Que fit Racine? Pour rimer à la fois et à l'oreille et à l'œil, il réforma ainsi son vers:

Lassé de ses trompeurs attraits,

Au lieu de l'enlever, fuyez-la pour jamais.

Et l'on accuserait un poète aussi scrupuleux de rimer à faux! Est-il bien utile maintenant de justifier ces deux vers de Corneille :

Vous me parlez en vain de ce que je connoi;

Je vous ai vu combattre et commander sous moi,

(Le Cid, acte I, sc. 4.)

On disait en 1636 je connais et mieux je connois, comme nous venons de voir que l'on prononçait, même en 1666, il parlait, et il parloit. Ni le Trésor de Nicot, ni le Dictionn. de Richelet, qui signale toujours les prononciations en désaccord avec l'orthographe, ne font mention de la prononciation connaître. Et d'ailleurs la note de Voltaire sur ce vers ne suffit-elle pas : « On prononçait alors connoi, comme on l'écrivait. » (')

§ IV. Qu'au XVIII° siècle, la rime en OIS, telle que l'ont employée nos poètes, n'était pas plus fausse qu'au XVII®.

« On aurait pu croire, dit l'auteur du Traité de Versif. (p. 349), qu'une rime, qui faisait déjà disparate au XVII siècle, ne se serait pas maintenue au XVIII. Cependant, elle y reparaît encore quelquefois. >>

Et il cite François rimant avec exploits, endroit avec écrivoit, froid avec croiroit dans Rousseau, François et lois, anchois et Polonois dans Chaulieu, François (nom de saint) et Charolois dans Voltaire, cloître et connoître dans Gresset.

Le XVIII siècle hérita de la prononciation du XVII, et Francouès, endret ou endrouet, fred ou froued, Polonouès, Charolouès, conservèrent leur droit de cité. Quant à connoître, que l'on prononçait alors connaître, il rime avec cloitre, qui sonnait non pas clouâtre, mais clouêtre. Sibilet ne dit-il pas positivement qu'on peut rimer être avec cognoistre? ()

FRANSOUÈS.

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Oui, l'on prononçait encore ainsi à l'Académie, même en 1733. En voici la preuve : « M. l'abbé R... dit que l'usage approuve presque également qu'on prononce la dernière

(1) Théâtre de P. Corneille avec Commentaires, 3 vol. in-8°, 1764, tom. 1., p. 188, Note.

(2) V. Traité de Versif. fr., p. 345.

silabe du mot François (Gallus), et la première de croire, en fesant entendre en même temps l'o et l'i, ou comme l'è ouvert. Un Suisse me demandait à propos de cet endroit-là, si l'on prononce cro-ïre et Franso-is comme Simoïs, ne voyant pas que le mot même temps désigne là le seul son de l'è ouvert du mot francès, ou français, au cas qu'on ne voulut pas prononcer l'o et l'i, c'est-à-dire francoès. Bien des gens au reste sont surpris d'entendre lire et prononcer fransoais, au lieu de français, dans l'Académie même par de beaus esprits qui n'oseroient prononcer ainsi dans le monde le plus poli en fait de langage.» (Biblioth. des Enf., 1733.)

FRED, ENDRET, CRAITRE. Quant à ces mots, et surtout à craitre, (') que l'on a reproché si sévèrement à Voltaire d'avoir exhumé, ils se sont prononcés ainsi jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.

Oi sounds like ai or é open in verbs ending in oître as connoître, croiTRE, paroître, etc. in monnoic, foible, roide. There are several well bred people in France, who always make this sillable an improper diphthong 1o in droit (right), froid, and other derivatives; 2° in avoine, harnois, étroit, netoyer and noyer (drown), which they pronounce drait, fraid, avaine, etc.» (Porny, 1783.)

Ainsi il est avéré que tandis que droit, froid et leurs composés avaient deux prononciations, l'une en oué, l'autre en ai, croître n'en avait qu'une seule, craître. Voltaire n'a point eu à l'exhumer.

NOMS DE PEUPLE, CHAROLOIS, POLONOIS, ETC. L'abbé de Chaulieu, qui a commis le crime de faire rimer Polonois (2) avec

(1) Voltaire ose encore se servir de la même rime, et pour la faire passer, il exhume l'ancienne prononciation:

Quel parti prendre! où suis-je et que dois-je étre?

Sur quel terrain puis-je espérer de craître?» (Tr. de Versif. fr., p. 351.)

(2) Ne serait-ce pas plutôt Boulonnois que Polonois :

Ce seigneur courtois,

Qui, toujours entouré d'anchois,

D'un grand fromage Boulonnois

Faisait une chaise percée.

(Chaulieu, épître au duc de Nevers, pag. 95, édition d'Amsterdam,

1733.)

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