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CHAPITRE X.

De la prononciation de la diphthongue OU.

RÈGLE. La diphthongue ou sonne o dans un certain nombre de mots, Ex.: tourment, poumon, nourrir, etc., prononcez: torment, pomon, norir, etc.

Très usitée dans ces mots et dans quelques autres, ainsi que dans leurs composés, cette prononciation est rare néanmoins dans les autres mots où se rencontre la diphthongue ou. Elle date du XVIe siècle, et surtout de cette période d'indécision, qui s'étend de 1550 à 1580, où parmi les grammairiens les uns plaidant pour la voyelle o, les autres pour la diphthongue ou, les deux prononciations règnent de concert, jusqu'à ce que l'une ait été adoptée et imposée par la langue littéraire, tandis que l'autre persiste dans le peuple. Cette prononciation d'ou en o dans quelques mots est une des conséquences de cette bifurcation.

« Qui t'accordera, s'écrie Peletier, en s'adressant à Meigret, qu'il faille prononcer par o simple ces mots bone, comode, conu, come, home, honeur, pour bonne, commode, connu, etc.? et qui pis est, qu'on doive prononcer troup, noutres, couté, clous, nous anciens par diphthongue ou, au lieu de trop, notres, côté, clos, nos anciens par o simple? Au contraire, à qui as-tu entendu dire coleur, doleur par le même o simple que tu appelles o ouvert? C'est le vice de certains pays, comme de la Gaule Narbonnoise, Lionnoise, et de quelques endroits de l'Aquitaine, où ils disent: Le haut bot, un huis overt, du vin roge, au contraire un mout, une chouse, des pourreaux. N'épousons point si hardiment la prolation de nos pays. J'ai eu souvent occasion de hanter les courtisans; je

n'en ai jamais ouï un qui prononçast les mots, ainsi que je les escris. » Et Mr Livet, auquel j'emprunte cette citation, ajoute : << Mais Meigret ne demeurait-il pas aussi à Paris, au bout du PetitPont? Ne témoigne-t-il pas dans sa préface du Menteur qu'il était assidu à la cour? Auquel croire ? »>

L'embarras en effet serait grand, s'il n'existait des règles à l'aide desquelles il est facile de résoudre ces difficultés. Aux yeux de Peletier, Meigret était coupable de prononcer bone, comode, honeur, etc., comme nous le faisons aujourd'hui, car il violait une règle généralement acceptée, et que j'ai déjà formulée plus haut, à savoir que tout o suivi dans la même syllabe d'un nou d'un m se prononce ou. C'est en vertu de cette règle que l'on a d'abord prononcé avec un son nasal, indiqué par l'n, mounstrer, mounstier (d'abord monestier), counvent, puis moustrer, moustier, couvent: ()

Si nommeray le mot tout oultre,

Bien fait qui sa folie monstre.

(Rom. de la R. vs. 5955; voir aussi vs. 9370.)

Qui ce brevet recouellera,

Garde se bien, qu'il ne le moustre,

Ou de le dire tout en oultre,

Fors a tous ceux qu'il trouvera.

(Vers cités par M. E. J. B. R. Intermédiaire du 10 août 1866, col. 463.)

Enfin par une de ces inconséquences que l'on rencontre dans toutes les langues, l'n au commencement du XVIIe siècle se fixa définitivement dans montrer, tandis qu'il disparaissait à jamais de moutier et de couvent. Nous disons, contrairement à l'ancienne prononciation, le parc Monceaux, (") et en nous y conformant, Pont-à-Mous

(1) Cf. κατὰ τὴν μούστραν suivant la montre, l'échantillon. (Trad. grecq. de la cour du Vi· comte dans les assises de Jérusalem, art. 37.) (2) Le peuple dit encore Mousseaux,

son (Pons ad Montionem). Celle-ci s'est conservée. dans il couste (auj. coûte); celle-là, dans le terme de pratique, il conste, tous deux issus du même mot latin. Enfin Constantia est devenu dans la bouche du peuple la ville de Coutances; comme nom de baptême, c'est Constance qui s'est conservé.

Quant à trop, notre, côté, clos, etc., j'ai cité de nombreux exemples de la prononciation d'o en ou dans ces mots jusque dans le milieu et même dans la seconde moitié du XVIe siècle, et il n'est pas inutile de rappeler que quelques-uns d'entre eux, comme chouse, Pentecouste, arrouse, persistèrent jusqu'à la fin de la première moitié du XVIIe siècle. C'est une prononciation, qui, après avoir longtemps fleuri, commença à décliner, lorsque cette pléiade de grammairiens, dont les plus illustres furent les Estienne, organisa la police de la langue, et essaya d'introduire un peu d'ordre et d'unité dans le désordre et la diversité des prononciations provinciales. Mais, ce qu'il ne faut pas oublier, c'est une prononciation qui eût ses règles; je les ai formulées ailleurs, et il serait superflu d'y revenir ici.

Les Gascons, les Provençaux, les Dauphinois préféraient généralement le son o, les Picards le son cu, les Normands et les Bourguignons le son ou. J'ai essayé bien souvent dans le cours de mes études sur l'ancienne langue française de pénétrer les causes qui ont fait que l'o latin s'est transformé dans notre idiome tantôt en o, tantôt en eu, tantôt en ou. Le peuple, la cour, les savants, trois éléments divers et souvent en lutte, ont concouru au choix des sons. Chez le peuple, c'est une affaire d'instinct et de tradition; c'est aussi, je crois, une question de physiologie des organes vocaux, pour laquelle je me déclare incompétent. Le courtisan n'obéit guère qu'au caprice et la mode; chez le grammairien et le savant, chez la plupart d'entr'eux du moins (je ne parle que du XVI et aussi du XVIIe siècle), je ne vois guère que bizarrerie, inconséquence et pédantisme. Pour chacun d'eux, il n'y a qu'une prononciation de bonne, celle qu'ils ont rapportée de leur province.

Le Gascon trove et dévore; le Picard treuve et déveure; le Bourguignon trouve et dévoure; et tous ces mots luttent entr'eux dans la bouche des habitants de l'Ile-de-France, jusqu'à ce que, s'imposant par l'ascendant de leur génie, les grands écrivains rejettent les uns de ces mots, adoptent les autres et à peu d'exceptions près fixent et arrêtent l'orthographe française.

Au XVIIIe siècle le son de la voyelle o et de la diphthongue ou, comme leur domaine réciproque est généralement fixé dans le langage des gens lettrés. Cependant il reste encore même à Paris, comme aujourd'hui dans les campagnes du Blaisois, des traces et des souvenirs de la prononciation vaincue : « On entend, dit l'auteur de la Bibliothèque des enfans (1733), des prédicateurs et des hommes d'esprit qui prononcent des houmes, la ville de Roume. Bien des gens du Daufiné disent mon cosin, ma cosine; on trouve même des Parisiens, qui disent encore norir pour nourrir. » Cf. Tall. des Réaux, III, p. 8.

Nos paysans parlent aujourd'hui comme les Parisiens, les prédicateurs et les hommes d'esprit de 1733.

REMARQUE.

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Nous avons vu que dans le dialecte blaisois, comme dans l'ancienne langue française et même en quelques mots dans la moderne, oi se prononce en o; Ex.: empoigner, pron, empogner.

Cet o dans le langage de nos paysans tantôt se conserve, et tanlôt se transforme en ou; d'où les formes suivantes :

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qui toutes, ou ont été usitées pendant le moyen âge et la renaissance, ou le sont encore aujourd'hui dans les dialectes du bassin

supérieur de la Loire. Ainsi dans le Maine on dit un coissin, (pron. couessin) pour un coussin; dans le Blaisois, pognée ou pougnée; pouériau ou mieux pourriau; l'Académie exclut pourreau, pourriau, mais elle admet poireau et porreau. Nos paysans ont conservé encore et encoure ou avec l'aphérèse 'côre et 'coure, au détriment de encoire, usité au XV° siècle :

La Denrée qui vault mieux encoire...

Dieu vous rende votre mémoire. (Neu Path.)

Et quant à coche, qui sonne coche et couche dans notre dialecte, on ne doutera pas d'après les exemples suivants qu'il se soit prononcé coische et couche:

Il a tantost prins une flesche;

En la corde la mist en coiche.

(R. de la Rose, Tom. I, p. 58.)

Car tout soudain par bien frapper en coche,
Dedens un an il eut sa femme en couche.

(Ch. Bourd. p. 109.)

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