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Item, je donne à mon barbier

Qui se nomme Colin Galerne (1),
Près voysin d'Angelot l'Herbier
Un gros glasson... Prins où ? en Marne,
Affin qu'a son aise s`yverne,

De l'estomac le tienne près,

Si l'yver ainsi se gouverne,

Trop n'aura chault l'esté d'après.

(Gr. Testam. CXLIV.)

Cette ballade lui envoie

Qui se finist toute par R (2).
Qui la portera, que j'y voie?

Ce sera Pernet de la Barre.
(Gr. Testam. LXXXIII.)
Item et au mont de Montmartre,
Qui est un lieu moult ancien,

Je lui donne et adjoincts le tertre
Qu'on dit de Mont Valérien.

(Gr. Testam. CXXXVII.)

Ne craignez pas de lire parde, galarne, hyvarne, arre, etc. comme prononcent encore aujourd'hui nos paysans blaisois. Sinon je vous renvoie à la lettre de François 1er à Mr de Montmorency: « Le cerf nous a menés jusqu'au tartre de Dumigny. » (Gén. Variat. p. 291.)

Je pourrais citer de nombreux exemples puisés dans les écrivains du XVI siècle, mais est-ce bien utile, et n'ai-je pas surabondam

ment démontré ce que je m'étais proposé de prouver, à savoir que

dans le dialecte bourguignon, généralement imité en cela par le dialecte de l'Ile-de-France, tout e, suivi de deux consonnes dont la première est un r, se prononce a?

Je ne puis me dispenser cependant de reproduire un passage

(1) Virez la piaute en galarne. » (Cri des mariniers de la Loire.)

(2) En anglais, R se prononce encore aujourd'hui ar, comme en ces vers de Villon.

d'Henri Estienne qui jettéra, je l'espère, plus de jour sur cette question « L'e masculin a un autre son encore qui tient à la fois de l'e et surtout de l'a; on le trouve surtout avant m, comme femme, temps ou tems, et avant n, comme dent, prudent, prudence, etc. Le vulgaire prononce tams, prudant, santance, et s'excuse sur les poètes, qui font rimer constans et temps. C'est une faute; il faut donner à chaque lettre le son qui lui est propre; on évite ainsi les équivoques d'embler (enlever) et d'ambler (aller l'amble). Nous nous faisons parfois un jeu de ces ambiguités ; ainsi : << Pourquoi dit-on la vérité dans le vin? Parce qu'il est de serment. » Ici l'e de serment se prononce un peu comme l'a de façon qu'on puisse hésiter entre serment (jusjurandum) et serment (sarmentum). »

Ainsi dans la seconde moitié du XVIe siècle, a et e placés devant m ou n et aussi r, comme on peut le voir d'après l'anecdote finale, renouvelée de Louis XI, avaient, du moins aux yeux des grammairiens et des puristes en fait de prononciation, un son différent. Lequel, sinon que a avait ce son indécis entre a et o, dont j'ai parlé au chapitre de l'a, et qui est souvent noté au, comme j'en ai cité des exemples, par les écrivains du moyen âge, et par Palsgrave, et que e, devant les mêmes lettres, sonnait comme notre a d'aujourd'hui ?

Quoiqu'il en soit, dès le commencement du XVIe siècle, une réaction se produisit contre l'influence bourguignonne de l'a, non seulement dans les mots ou l'e était suivi de deux consonnes dont la première était un r, mais encore dans une foule d'autres, même dans ceux où la lettre a existait dans l'orthographe dès l'origine de la langue. J'en trouve la preuve dans plusieurs auteurs, entr'autres dans Geoffroi Tory, dans Palsgrave, dans H. Estienne. N'avonsnous pas vu, p. 74, que les dames de Paris, d'après le témoignage de G. Tory, disaient mon méry, Péris, péier?

Cette réaction durait encore en 1578: « Les courtisans, dit H. Estienne, contrefaiseurs de petite bouche, et les femmes qui croi

raient déroger à leur noblesse en prononçant l'a le remplacent par e, et disent catherre et cataplesme pour catharre et cataplasme. »

Faut-il attribuer ce retour du son e à l'influence des courtisans et des femmes, ou bien à cette loi qui veut que la juste mesure dans le langage comme dans le reste résulte de l'équilibre et de la neutralisation l'un par l'autre des excès contraires? Les femmes et les courtisans ne furent, à mes yeux, que des exécuteurs inconscients de cette loi; mais la loi n'en existe pas moins, et il est à remarquer que les langues de l'antiquité et des temps modernes les plus belles et les plus répandues ont toutes dû leur perfection à la lutte plus ou moins longue, et à la fusion définitive de leurs différents dialectes en un seul et même idiôme ('). Du reste, mon but dans ce travail n'est point de remonter jusqu'aux causes; je me borne à constater des faits. Or, ce qui me paraît démontré et évident, c'est que dès le commencement du règne de François Ier et même auparavant, il se produit dans la prononciation de l'e, surtout dans les mots où cette voyelle est suivie de deux consonnes dont la première est un r, une confusion, résultat naturel de la lutte entre les deux sons, confusion qui nous embarrasse d'autant plus pour déterminer alors la véritable prononciation de l'e, qu'elle embarrassait déjà les contemporains.

Une preuve, à mon avis, entre celles que j'ai déjà émises, que la règle de l'e suivi de deux consonnes dont la première est un ra perdu de son empire, c'est que Palsgrave ne la signale pas; et, en l'absence de règles le langage étant livré à l'arbitraire, on trouve à cette époque de transition presque toujours deux formes pour des mots où autrefois dans le dialecte Bourguignon ou dans celui de l'Ile-de-France l'a seul régnait. Ainsi on dit marque et merque et même merche; chescun et chascun, etc. Ex.:

I marvayle, je me merveille.

(Palsgr. p. 633.)

(1) Cf. Xenoph. de rep. Atheniens. 2.8.

I marvayle, je me marvaille.

(Id. p. 83.)

Toutes mes choses sont merquées or merchées de ceste merque or merche. (ld. p. 633.)

Marke or bounde, marque, borne.

(Id. p. 243.)

Marke or token, marque, signe, ensigne.

(Id. id.)

Die ung chescun ce que dire vouldra. (Epitaphe de Gill. du Guez, 1535.) The masculine singular chascun, plurel chascuns. (Palsgr. p. 82.) L'aguzzar des Italiens est forgé sur notre aguzer ou aiguizer. (H. Est. Précell. p. 311. Cf. p. 199, arain, airain.) (')

Cette diversité de prononciation est attestée par Pasquier. Qu'on lise la lettre qu'il adresse à Ramus à ce sujet, et l'on concevra facilement la confusion qui régnait alors, en voyant des hommes tels que Ramus, Pelletier, Meigret, Pasquier différer d'avis sur la prononciation. Néanmoins l'e gagnait tous les jours du terrain, non sans lutte. Des grammairiens avaient paru, les deux Estienne, Cl. de S' Lien, Théod. de Bèze, qui essayaient de mettre de l'ordre dans le chaos. Fidèle à l'étymologie grecque, H. Estienne combattait pour l'a en défendant catharre et cataplasme; ennemi de la prononciation bourguignonne, partout ailleurs il rompait des lances en faveur de la prédominance de l'e: « Quelles pensions-nous, ditil, qu'estoient les oreilles d'alors (du XVe siècle), qui portoient patiemment mon frère Piarre, mon frère Robart, la place Maubart? Et toustefois, notre Villon, un des plus éloquens du temps, parle ainsi. » Et comme l'a cherchait à reprendre pied à la cour, en s'y introduisant à la faveur de la diphthongue oi, il gourmande les courtisans et s'écrie avec indignation :

N'estes-vous pas de bien grands fous...

De dire pour trois mois troas moas,

(1) Voir aussi Ch. Bourd. p. 74, escarlette-costelette, et deux vers après : escarlatte-latte.

Pour je fais, vais, je foas, je voas?
A la fin vous direz la guarre,

Place Maubart, maître Piarre.

Ronsard, comme la plupart des poètes de la seconde partie du XVIe siècle, donna des gages aux deux prononciations. Ainsi, je lis les vers suivants à la Bourguignonne; ce sont les deux premiers quatrains d'un sonnet :

Cette fleur de vertu, pour qui cent mille larmes
Je verse nuict et jour sans m'en pouvoir souler,
Peut bien sa destinée à ce Grec esgaler

A ce fils de Thetis, à l'autre fleur des armes.

Le ciel malin borna ses jours de peu de termes
Il eut la courte vie ailée à s'en aller,

Mais son nom qui a faict tant de bouches parler
Lui sert contre la mort de pilliers et de termes.
(Sonnet à Hélène, LXX.)

Au contraire je lirai avec M. Quicherat les deux vers suivants à la Normande :

Comme Amphion tira les gros quartiers de pierre
Pour emmurer sa ville au son de sa guiterre.

(Rons. cité dans Tr. de Versif. fr. p. 362.)

Quant à ceux-ci, comment les lirez-vous?

L'humide nuict, qui de son voile enferme
L'œil et le soin des hommes qu'elle cherme.
(Franciade, ch. III. 1.)

Ronsard les lisait-il lui-même selon la vieille et forte prononciation de Villon, ou bien, en écrivant cherme, a-t-il fait une concession aux oreilles délicates des dames qui se déclaraient pour catherre, et cataplesme? Jusqu'à preuve contraire, me fondant sur les termes du sonnet que je viens de citer, et sur ces vers de Villon dont la prononciation en a nous est affirmée par Marot:

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