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Car si j'ai voyagé, ce n'est que dans la carte,
Et je n'allai jamais de Paris à Montmarte.
(Du Lorens, sat. IX.)
Aurois-je pas mauvaise grace
De prendre marte pour renard.
(Le lit d'hostelerie.) (1)

Ça serait malhounéete,

Si j'alliouns en saligau

Visiter noute měete.

(Gde Bibl. des Noels, p. 306.)

Esplingues que je rencontre pour la dernière fois dans GaultierGarguille, «Un cent d'esplingues, » est devenu par métathèse épingle en français, et par suppression de l'l, épingue, en blaisois.

Tartre comme bouticle a perdu sa liquide: tarte, boutique. Je trouve encore au XVII siècle dans la Fleur des chansons (p. 198):

L'autre jour ma femme fit

Une tartre de fromage (*)

De même pour arbalètre, et tourtre, et fisicle, auj. physique. Canons, ars et arbalestres

Trop doubtoint avoir nouveaulx mestres.

(Liv. du bon Jeh. p. 516.)

Ne de lui (du fromage), talent ne me prend,

Car fisicle le me défend.

(R. du Renart. vs. 7315.)

(1) Cette pièce se trouve dans un manuscrit du XVIIe siècle en ma possession. Quiche

rat en son Dictre fr.-lat. admet martre et marte.

(2) V. Gaultier-Garguille LIII. note, éd. Delahays.

Voir encore Mist. du S. d'Orl. vs. 17886, Chartres, certes; vs. 19300, étendre, rendent; vs. 11289, lectres, faites; vs. 9872, lectres, secrètes; vs. 12575, Euvertre. Voir aussi Liv. du bon Jehan, pag. 431, autre, faute.

On supprimait même le son de l'r au milieu des mots et l'on disait, comme aujourd'hui en blaisois, un abre (arbre), du mabre (marbre), ou pour parler plus correctement, abe, mabe.

Son bruyt, son loz, sa vertu, sa louange
Sont renommez en Puille et en Calabre.

Il fait trembler France comme feuille en l'arbre.

(Ch. hist. I, 394.)

CHAPITRE III.

De la prononciation de la liquide R.

On peut poser en règle générale que dans le dialecte blaisois l'r ne sonne pas à la fin des mots, mais comme il y a quelques distinctions à faire et quelques exceptions à signaler, je diviserai cette question pour mieux l'éclairer, et je traiterai successivement des syllabes finales ar, er, ir, or-our, ur-eur.

AR. Dans cette terminaison l'r sonne presque toujours et l'a, comme je l'ai dit ailleurs, s'y prononce de ce son voisin de l'o, que je n'ai pu mieux indiquer par signes, qu'en le notant a..

J'ai lieu de croire qu'autrefois l'r ne sonnait pas plus dans cette terminaison que dans les autres, et j'ai entendu souvent des vieilles gens de la campagne qui ne l'y prononçaient point, ou qui le faisaient sonner d'une manière à peine sensible, de manière à lui donner l'apparence d'une légère aspiration. Aujourd'hui cette

prononciation tend à disparaître; on ne l'observe plus guère que dans brouillard, qui sonne brouillâ ou brouillã.. Soulard est devenu soulaud.

L'r au moyen âge avait le privilège de rendre brève la voyelle précédente. Ce n'est guère que vers la fin du XVI siècle qu'on donna à l'a dans cette circonstance un son complètement ouvert. Du reste, il paraît à peu près certain que dans ces terminaisons l'r final ne sonnoit pas.

Des gens d'armes de toutes parts...

Je voy que nous ne croissons pas.
(M. du S. d'Orl. vs. 5745.)

Le vaillant sire de Villars...

Toute la charge haut et bas. (Id. vs. 5800.)
O quelle foy d'un tyran apostat

Qui faisoit tant le doux et papelard.

(Lincy, Ch. hist. II. 445.)

Leur tranchant coutelas

Feront rougir et taindre

Au sang de ces pillards. (Id. II. 430.)

C'est par suite de cette prononciation que soldars, d'abord prononcé souda, est devenu au XVIe siècle soldats, tout en nous restant avec une nuance de mépris sous la forme soudards ('). Nous voyons même quelquefois l'r ou disparaître, ou remplacé par un t, et l'écriture se conformer ainsi à la prononciation.

ER-OIR.

Chasse ces noirs brouillats.

(Du Bart. pag. 101,1583. Cf. J. de Montl. p. 54, 344, etc.)

Je réunis ces deux terminaisons dans le même paragraphe, parce que oir se prononçait autrefois et s'écrivait même la plupart du temps der et ouer. L'r y était toujours muet. Ce n'est qu'au XVIe siècle que l'on commence à le faire sonner, et ce n'est

(1) Soldars est encore usité en Anjou.

guère que vers le milieu du XVII que cet usage devient général. Aujourd'hui en français nous prononçons toujours l'r final des terminaisons en oir; nous ne faisons sonner l'r dans celles en er fermé que lorsque le mot suivant commence par une voyelle ; nous dirons par exemple: « tomber (tombé) dans la rivière, » et : « tomber à l'eau (tombéra). » En blaisois l'r ne sonne dans aucun cas: « timbé à l'iau. » De même pour les mots en oir; si quelquesuns y prononcent l'r, la plupart le négligent, et l'on entend dire plus souvent: << Soun mouchoué ée ben biau, que soun mouchouéere ée ben biau.

C'est bien dit, il le faut avoir;
Habiller vous fault en archier.
(M. du S. d'Orl., p. 53.)

Qui gardera mon ouvrouer,
Tandis que je suis à mal aise;

Mes gens ne feront que jouer.

(Ds Mac. des Femmes, p. 32.)

Mais pour gaudir il dit à pleine voix :
Puisqu'il me faut ainsi ma femme avoir.

(Ch. Bourd., p. 101.)

La vieille ne fait que jouer,
T'attendant à l'abreuvoer

Ou elle dresse sa panthière.

(Est. Pasq., II, 985.)

Un terroüer hideux.

(Séb. Roull. 1628, pag. 1.)

Parfois même l'r disparaît complétement dans l'orthographe

comme dans la prononciation.

Ainsi les habitans de ce même terroy

Fourmillent à ce bord d'un regard plein d'effroy.

(Ronsard, Hymnes.)

Pour mien je ne recognoy

Le Terroy

De Mycènes ou de Phthie.

(Joach. du B., p. 37.)

Lisez reconnoué, effroué, terrroué. Ces deux derniers ne sonnent pas autrement dans la bouche du paysan blaisois (').

Il ne me paraît pas avoir existé dans la langue de terminaisons en er ouvert jusqu'à la fin du XVe siècle, où la nouvelle prononciation latine introduite en France réagit sur la prononciation du français lui-même.

Pur itels cops nos ad Charles plus cher ;
A voir escriet Ferez i, chevaler!
(Ch. de Roland, III, 123.

Prononcez ché, chevalé. Ailleurs (id. IV. 220.) mer, aprester, Omer (Homère) riment, ou plutôt sonnent avec antiquitet ; évidemment il faut lire mé, apresté, Omé. Cette prononciation subsista pendant tout le moyen âge et malgré l'innovation dont je viens de signaler la naissance à la fin du XVIe siècle, elle duṛa jusqu'au règne d'Henri IV, et pour quelques mots, comme nous le verrons, jusqu'en plein XVIIIe siècle.

Mais si eust-il volontiers

Esté plus grand de deux tiers.
(Tabourot, p. 65.)

Ronsard fait rimer rocher avec chair, atteler et parler avec l'air, etc., mais peut-être déjà prononçait-il rochair, parlair, attelair, se rangeant ainsi à la prononciation latine des terminaisons en er, Lucifer, Jupiter, qui pendant tout le moyen âge sonnèrent Lucifé, Jupité?

On peut croire qu'alors, comme nous l'avons déjà vu pour plusieurs voyelles et diphthongues, régna une double prononciation. Il est certain par exemple que même dans les substantifs et les

(1) Cependant dans les campagues effroi se prononce plus généralement effrai.

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