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Versif. franç. (pag. 337). L'auteur, après avoir cité une page de Voltaire, dans laquelle ces rimes archaïques d'er fermé en er ouvert sont justement condamnées, semond ainsi l'illustre poète : << Quand on a écrit de pareilles choses, c'est une grande inconséquence de tomber dans la faute qu'on a si souvent relevée. Nous avons déjà remarqué que dans Voltaire le poète donne trop souvent un démenti au critique :

Le sort nous accabla du poids des mêmes fers,
Que la tendre amitié nous rendoit plus légers;

La Fortune auprès d'eux d'un vol prompt et léger
Les lauriers dans les mains, fend les plaines de l'air.

On lit dans Rousseau :

Bien le savez, mon ami cher;

Sotte ignorance et jugement léger, etc.

mais cette ancienne rime était permise, et même bien placée dans un épître à Marot, où l'auteur affectait le vieux style. » (Tr. de Versif. franç. pag. 338.)

Evidemment l'auteur du Traité, en écrivant ces lignes, a jugé de la prononciation du XVIIIe siècle par celle d'aujourd'hui. Je me contenterai pour le réfuter, de lui citer deux grammairiens du temps de Voltaire :

<«< Quant aux mots terminés purement par er comme danger, verger, berger, estranger, et les autres qui sont en petit nombre, on s'abstient dans la conversation d'en faire sentir l'r, avec cette exception pourtant qu'on la fait toujours sentir dans les mots enfer, amer et LÉGER où l'e se prononce toujours ouvert, etc. » (Régn. Desmar. p. 49.)

«R s'articule fortement dans les mots amer, ALTIER, LÉGER, hier, etc. » (L. Chamb. p. 34.)

Ainsi Voltaire dans les vers cités par M. Quicherat ne doune point de démenti au critique; Rousseau en faisant rimer cher avec

léger n'affecte point le vieux style, et il faut se garder de semondre et d'accuser nos grands poètes à la légère.

J'ajouterai, pour compléter mes observations, qu'il y avait un cas au XVIIIe siècle, où il était permis de faire rimer un mot en er ouvert avec un autre en er fermé; c'est quand ce dernier placé à la rime était suivi au vers suivant d'un mot commençant par une voyelle. L'er fermé revêtait alors un son ouvert.

Ainsi, dit l'Encyclopédie, dans ces vers de Mme Deshoulières :

Dans vostre sein il cherche à s'abymer;

Vous et lui jusques à la mer

Vous n'estes qu'une même chose;

la rime de mer avec abymer est vicieuse; mais si vous dites en faisant commencer par une voyelle le vers qui suit immédiatement la rime abymer :

Dans vostre sein il cherche à s'abymer,

Et vous et lui jusqu'à la mer, etc.

alors la rime est permise. »

Si l'on connaissait bien la prononciation des deux derniers siècles, l'on verrait que nos écrivains se sont permis en fait de rimes beaucoup moins de licences qu'on ne croit. Cf. Littré, Histre de la L. fr. I,

I, p.
335.

Quant aux mots en oir, qui n'eurent jamais sous Louis XIV le son oar ou oère d'aujourd'hui, mais bien le son fermé ouére, c'est pendant la première moitié du XVIIe siècle que se généralisa l'habitude d'y faire sentir l'r final: « Je ne sais point d'exception à cette règle, dit le P. Chifflet, p. 209, si ce n'est qu'on peut supprimer l'r en mouchoir de col. Mais cette prononciation vient des femmes qui veulent faire les délicates et prononcent en parlant moins de consonnes que les hommes, craignant de s'écorcher la langue. Et il est bon de remarquer que la prononciation des

femmes en toute langue tient de la mollesse de leur sexe, et ne doit point servir de loy au langage des hommes. >>

La double prononciation de la terminaison oir existe toujours en blaisois, ouéere surtout dans les terminaisons verbales avouéere, rcc'vouéere; oué surtout à la syllabe finale des substantifs : in mouchoué, in preussoué p' un mouchoir, un pressoir. (Cf. L. Chamb. p. 22.) ÈRE-OIRE. Dans les terminaisons en ère (blais. éere), oire (bl. ouére-ouéere) I'r dans la campagne blaisoise se prononce généralement comme un z; Ex: père, mère, arrière, lardoire, foire, etc. pron. péeze, méeze, arriéeze, lardouéeze, fouéeze, etc. (V. Go Bibl. des Noels, p. 305.)

C'est dans le mystère du siège d'Orléans que j'ai surpris pour la première fois les traces de cette prononciation:

A nom Dieu, qu'il ne vous desplaise,

Se n'est-il pas, je le sçay bien,

Celui qui est assis en chaise.

(Vs. 1015.)

Chaise pour chaire. Chaere, chaire, de cathedra, était en effet primitivement le mot français.

Glacidas, vous avez bien dit :
Par une planche bonne et seure
Retrairons petit à petit

Nos gens pour la chose douteuse.
François viendront de grant aleuze
Et de grant puissance sur nous
Pui en l'eaue parfonde et creuse
Seront noyez léans trestous.

(Id. vs. 12487.)

Dame Jehanne, vous conduisons

Ou y vous plaisa a aller.

(Id. vs. 11991.)

Ung chascun meshuy se repouse

Et puis demain nous penserons

De tout point les vilains enclorre.
(Id. vs. 5180.)

Ainsi l'on voit que l'auteur de ce mystère transformait parfois I'r en s non seulement dans les terminaisons en aire, mais encore dans celles en cure et en orre-oure, et même dans des terminaisons ou l'r n'était pas suivi d'un e muet, comme dans conduisons pour conduirons, et surtout dans plaisa pour plaira, que l'on rencontre écrit par un s en dix ou douze passages de ce mystère.

Aujourd'hui, dans le dialecte blaisois, l'emploi des pour r se rencontre le plus souvent dans les terminaisons en ere, aire, oire, eure et ire, rarement dans celles en oure, jamais dans celles en rons, rez, ra. Il semble que la situation de l'e muet après l'r soit aujourd'hui chez nous la condition indispensable de la métamorphose de l'r en s. Ainsi nos paysans disent ordinairement eune pouéeze meuze pour une poire meure, écrize ou simplement crize pour écrire, rarement couze, enclouze pour encore, enclorre, jamais conduisons et plaisa pour conduirons et plaira.

Palsgrave signale cette prononciation comme étant de son temps très-commune à Paris : « They of Paris sounde somtyme r like z, sayeng Pazys for Parys, pazisien, chaise, mazy, etc, for parisien, chaire, mary, etc. » (P. 34.)

A la suite de Palsgrave, presque tous les grammairiens du XVI siècle ont également signalé cette prononciation. Il régna même un instant un véritable chassé-croisé entre les r et les s se remplaçant les uns les autres en des mots dont ils étaient en possession dès l'origine de la langue. On ne disait plus Jesus Maria, mais Jérus Masia, etc. Marot s'est agréablement moqué de cette manie dans son Epistre du Beau Fy de Pazy dont voici quelques vers:

Madame, je vour ayme tant,
Mais ne le dicte pas pourtan;
Les musailles ont der ozeilles...

Car je vour ayme, ce me semble,
Si for que ne vou l'ore dize,
Et vou l'ay bien voulu escrize,
Affin de paslé de plu loing.

Pensé que j'avoy bien beroing
De deveni si amouzeu.

O que je sesoy bien heuzeu, etc.

Voir dans Marot la fin de l'Epitre et la Réponse de la Dame.

La prononciation d's en r ne fut qu'une mode, une manie passagère. Elle dura ce que durent les roses, et tomba d'elle-même, comme celle des Incroyables du Directoire. Elle laissa peu de traces dans la langue; je ne puis citer que mademoirelle que l'on rencontre encore au XVIIe siècle dans le langage populaire et rustique (Voir le Pédant joué, acte II, sc. 2), et dans le dialecte blaisois rabat, avec ses composés rabâter, rabateux, (') pour sabbat; sabbatter, c'est-à-dire, faire du sabbat; sabbateux, euse, celui ou celle qui fait du sabbat.

La prononciation d'r en s avait dans la langue des racines plus profondes, et j'en surprends encore des traces dans ce couplet d'une vieille chanson de la fin du XVIe siècle :

Compagnons, je vous asseure
Que joindrons les Navarrois ;
Quand j'aurons passé la Meuze,
Nous ferons de ces François
Notre vouloir, etc.

(Ch. hist. II, 420. )

Notre langue d'aujourd'hui en conserve encore des témoignages vivants. D'autres avant moi ont signalé le mot chaire, qui conserva

(1) Il existe encore dans le val de la Loire, sur la paroisse de Courbouzon, à gauche du chemin qui va de Mer au pont de Muides, à peu de distance dans les champs, une maison hantée que l'on appelle la maison des Rabáteux. V. Ch. Nisard, Curios. p. 274, et Est. Pasq. II, 80. A.

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