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Sublet est dérivé du verbe sibilare, siffler, en dial. blaisois subler. (')

Je pourrais citer beaucoup d'autres substantifs aujourd'hui disparus du français, (seu, mitan, besson, etc.) mais il faut savoir se borner.

§ II. Outre les noms que je viens de citer, il en est d'autres qui sont évidemment un legs de la langue primitive, mais dont je ne pense pas qu'on retrouve la trace dans les auteurs. J'en citerai seulement deux comme exemples:

1° CARNE AQUOIRE.

C'est un monstre aquatique dont on fait peur aux enfants, pour les empêcher d'aller au bord de

l'eau.

« N’va pa on bôrd deu reu ; la carne aquouëre eul mang rẻ. »

L'étymologie est évidemment: Carnem aquariam.

2o CLOCU. C'est le dernier enfant de la famille, qui claudit culum. Il est extraordinaire que dans aucun des fabliaux que j'ai lus, je n'aie rencontré ce mot grivois, qui sent son terroir gaulois d'une lieue. (*)

3° CABRESELLE (faire la), pron. câberselle.

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Signifie faire la cabriole; vient du latin capri saltus.

§ III. Il est à remarquer que les langues du 3me degré, comme le grec moderne, fils du grec ancien, lequel est issu de l'arien, comme les langues néo-latines, formées du latin, issu lui-même également de l'arien, ont une tendance à passer d'une forme simple à une forme allongée, du substantif positif au substantif diminutif en conservant à ce dernier la signification du positif. Ainsi, αἴξ, αἰγός, ὄφις, ὄφεως en passant par les intermédiaires αιγίδιον, ὀφίδιον sont devenus en grec moderne rò yidt, Tò pídi; ainsi castrum, rana,

(1) Cf. Le Péd. joué, II, 3, p. 49.

(2) Je le rencontre au dernier moment dans Cyrano de Berg. le Péd. joué, II, 3, p. 49. - Ajoutez caligdlos, caripéte dans les phrases faire la caripéte, porter à caligálos, expressions auxquelles je soupçonne une origine grecque.

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ætas, fons, mons en passant par castellum, ranuncula, ætaticum, fontana, montana, sont devenus en roman chastel, grenoille, cage, fontaine, montaigne. De même un certain nombre de mots, usités. sous la forme simple en roman, ont pris de bonne heure et conservé dans le même sens la forme diminutive. Voir dans les pages précédentes le simple ru qui a depuis cédé le pas à ruisseau; citons encore gars-gås devenu garçon; bers, berceau; corb, corbeau; su (seue), sureau; fuerre (feurre), fourreau (La Desputoison du Vin et de l'Iaue); chape, chapeau; heuse, houseaux; sente, sentier, etc. D'autrefois, le roman allongeait les mots simples à l'aide des terminaisons en ment, ier, eur, aison, ance qu'il avait à son service et dont il fit le même usage que la basse latinité des terminaisons en aticus, a, um; anus, a, um, etc. C'est ainsi qu'avec les formes primitives oubli, despute, bal, soulas, etc., il créa les mots oubliance, desputoison, balerie, soulagement, parmi lesquels ce dernier seul nous est resté. Le dialecte blaisois a conservé quelques-unes des formes simples et primitives, et entr'autres ru, gás, bers, seue, sente, etc.

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SUBSTANTIFS FORMÉS PAR LE PAYSAN LUI-MÊME.

§ I. La langue est fixée pour les gens lettrés; elle ne l'est pas pour le paysan. Aussi, toutes les fois que son idiome traditionnel ne rend pas bien sa pensée, ne se gêne-t-il pas pour créer de nouvelles expressions. « V'là in biau s'mé, » s'écriera-t-il en présence d'un beau champ bien ensemencé; « Queu boustifailleux! queu bouffe-la-balle! » en voyant manger un glouton; est-il témoin d'une dispute où des paroles on en vient aux coups de poing « Bon! côre eune batterie! » dira-t-il.

Ces trois exemples indiquent les trois manières différentes dont procède le paysan pour former ses substantifs. Tantôt en effet, il prend un participe comme semé, planté et par l'adjonction de l'article ou d'un déterminatif, il en fait un nom, un semé, quel planțé,

Cf. avec le latin cultum, inceptum, satum, etc. « Mangez-en, c'est de mon cueilli. (Mr Perrinelle, propre à La Flèche, en m'offrant du melon dans un dîner.)

Tantôt à l'aide d'une racine préexistante dans la langue, il forme un substantif en y adaptant une des terminaisons ance, eux, éezon, rie, etc.; Ex.: Batterie, mouézon, cuveux, larmouéyance; il est souvent très difficile de se reconnaître parmi les substantifs ainsi formés; j'ai longtemps cru que corporance, mot très usité, devait son origine à une création populaire relativement récente, quand j'ai découvert ce mot dans le Trésor de Nicot: Le corsage ou corporance: Habitus, corporatura, corporatio (à CORPS.) Tantôt enfin le substantif est composé, comme bouffe la balle, avale-dru, courla-posse, va l'pa, etc. On le voit, le mot principal est un verbe dans toutes ces expressions, comme dans le ronge-maille et le trotte-menu de La Fontaine.

Je signalerai un quatrième mode de formation des substantifs, lequel M. Egger a déjà signalé en français. (1) Je veux parler des substantifs formés des verbes, non par allongement, non par addition d'une terminaison substantive au radical verbal, mais par retranchement au contraire de la terminaison infinitive, et si je puis m'exprimer ainsi, par rétroaction. En français par exemple, étant donné le verbe avancer, avancement en est formé par allongement, avance par diminution. Il en est de même en blaisois, et c'est par une méthode semblable que des verbes devancer, décancher, emmancher, etc., le paysan a créé les substantifs devance. décanche, emmanche, etc. Prendre la devance est la même chose qu'en français prendre les devants, avec cette différence que les devants ne s'emploie que dans cette locution, tandis que la devance peut en former d'autres. S'encancher est proprement se prendre les doigts en fermant une porte; se décancher, c'est se tirer de cette situation douloureuse. Une décanche se dira figuré

(1) Mémoires de l'Académie des Inscript. (XXIV, 2.)

ment d'une échappatoire, d'un moyen plus ou moins adroit de s'excuser, de sortir d'embarras, même d'un mensonge fait pour se justifier. Quant à emmanche, il signifie généralement une mécanique, un instrument, une invention quelconque : » En v'là eune droûle d'emmanche!» et s'emploie aussi métaphoriquement en parlant d'un argument captieux.

DU GENRE DES SUBSTANTIFS.

Dans la vieille langue un grand nombre de substantifs n'avaient pas le même genre qu'aujourd'hui. Voici ceux que l'on employait au XVIe siècle à un genre différent:

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J'en passe un grand nombre comme cimeterre, anagramme, apostème, épitaphe, qui, sous cette forme, sont entièrement inconnus de nos paysans. Outre ceux que je viens de signaler et dont je pourrais citer des exemples, il en est d'autres que je n'ai pas rencontrés pour la plupart dans les auteurs, mais qui sont indiqués par les grammairiens, comme pouvant être des deux genres, ce

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et quelques autres inusités ou peu usités dans le dialecte blai

sois.

De tous les substantifs supra-cités il en est sept ou huit : Age, évangile, espace, exemple, poison, ongle, ouvrage, orage, qui sont constamment du féminin en blaisois. Image est souvent masculin. () Les suivants : Image, rets, pleurs, couple, doute, sont usités tantôt à un genre, tantôt à l'autre. Je ne connais point d'exemple dans l'ancienne langue du genre féminin attribué aux substantifs argent, autel, chaud, éclair (*), froid, hôtel; ils n'en ont jamais d'autre dans la bouche de nos paysans.

1° AGE.

Ronsard, Marot, du Bellay, le cardinal du Perron, Malherbe, Bertaud ont employé ce mot au féminin:

Quand sur l'âge première elle se voit aimée..

(Ronsard, hymmes, II, 5.)

Que d'hommes fortunez en leur âge première

Trompés de l'inconstance à nos ans coutumière, etc.

(Malherbe, les larm. de St Pierre.)

Ménage fut le dernier à donner à ce mot le genre commun,

(1) L'une elle enfloit de monstrueux images. (Franciad. II.)

(2) J'en découvre un dans le Soleil mystique de la sainteté par Nic. Dupont, 1629, p. 127: « Il fait esclater sa gloire comme une esclair. »

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