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PASSÉ INDÉFINI: Avez-vous bientôt fini? pour aurez-vous...

PASSÉ DÉFINI: « Tout le changement que l'on a vu en lui durant ce temps là est qu'au lieu qu'il n'avait accoutumé de sortir qu'accompagné de deux cents gardes, il se promena (1) tous les jours suivi seulement de cinq ou six gentilhommes. » (Voiture, Lettre sur la reprise de Corbie, 1636.)

« Les livres des Prænestins nous apprennent que Numérius Suffucius avait été souvent averti en songe... que la peur lui fit tenter l'entreprise... que de la pierre fendue jaillirent des sorts, etc. » (2) (J. V. Leclerc, trad. du de Divinatione.)

« On raconte qu'à l'endroit où s'élève aujourd'hui le temple de la Fortune, le miel avait coulé d'un olivier, que les aruspices consultés répondi– rent que cet événement présageait aux sorts une grande célébrité, que du bois de cet olivier on fit une cassette, où on les enferma, etc. » (3) (Trad. du de Divinatione.)

Evidemment, c'est une raison d'élégance qui dans chacun de ces passages pousse l'écrivain à remplacer le plus-que-parfait, amené naturellement par le mouvement de la phrase, par le passé défini. Pourquoi, par le même motif, ne l'autoriserait-on pas, même dans le récit d'un événement passé le jour même, à faire succéder le passé défini à l'indéfini ?

Il est facile de voir maintenant pourquoi nos paysans se servent du passé indéfini, à l'exclusion de l'autre. Il est simple et n'a rien d'affecté ; il rend à lui seul, pouvant devenir défini par l'adjonction d'un adverbe de temps, toutes les nuances de la pensée, et

(1) Julleville (Le Discours français, Eug. Belin, 1868, p. 117.) donne : « il se promena ; Feugère (Morc. chois. à l'usage des cl. de gram. Delalain, 1854, p. 14): « il s'est promené. »

(2) Numerium Suffucium, Prænestinorum monumenta declarant, somniis crebris, quum juberetur certo in loco silicem cædere, id agere cœpisse ; itaque perfracto saxo sortes erupisse. » (De Div. II. 41.)

(3) Fertur mel fluxisse ex oleâ, in eo loco, quo nunc Fortunæ ædes sita est; aruspices respondisse magnâ nobilitate eas sortes futuras; arcam denique ex ligno oleæ factam, eâque conditas sortes, etc. » (Cicéron, de Div. II. 41.)

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enfin dans la bouche de la population rustique il prête moins aux erreurs et aux pat-à-qu'est-ce.

Je présume que la disparition du passé défini dans le dialecte blaisois ne date guère que de la fin du règne de Louis XIV. Je le trouve dans une chanson et un noël qui me paraissent de cette époque :

Je prends des ribans sans chagrin

Que noute damoiselle

Me baillit en temps un matin, etc.

(La grande Bible des Noëls, p. 306.)

A dîner j'avins des poâs,

J'étins quate, j'en avins troâs;

La mariée licha le pot, etc.

(Chanson du pays blaisois.)

J'ai constaté un fait; le passé défini est entièrement inusité dans la conversation. Peut-être dans leurs chants (je n'en connais point de contemporains), nos paysans l'emploient-ils encore. Dans ce cas, il serait spécialement réservé pour la poésie.

Une conséquence naturelle de la disparition du passé défini est la suppression du passé antérieur défini, comme l'appelle Restaut: « Les prétérits antérieurs, dit ce grammairien, ont entre eux la même différence qui existe entre les deux prétérits dont nous venons de parler, et ils doivent s'employer dans le même sens. Le premier alors peut s'appeler prétérit antérieur défini; le second, prétérit antérieur indéfini. « La campagne blaisoise n'use jamais que de ce dernier: « Quand j'ai éu labouré, j'sis parti; » et non pas; « Quand j'eus labouré, j'sis parti; » et encore moins: « Quand j'eus labouré, je partis. »

§ II. Le dialecte blaisois, au lieu de l'imparfait du subjonctif, se sert ou du subjonctif présent ou plus généralement du conditionnel simple: Je vourée ben qu'vous veinderiez ou que vous veigniez; » et non pas; « « Je voudrais bien que vous vinssiez. »

Je ne saurais, pour mon compte, tout patriotisme de clocher

mis de côté, blâmer le paysan blaisois, d'employer cette tournure par le conditionnel, commune à l'espagnol et à plusieurs langues du nord. « Je sais que la règle est l'arche sainte, dit G. Sand (Impressions et souvenirs), mais je n'ai pas fait de grammaire, j'ai le droit de critique. Par exemple, que pensez-vous de ce subjonctif qui oblige un amoureux à dire en scène : Ah! si j'étais sûr que vous m'aimassiez, que mes paroles vous touchassent, que mes pleurs vous persuadassent, que vous daignassiez m'épouser, que vous vous le proposassicz, que vous vous déclarassiez à vos parents, etc. (') Si cette grammaire était débitée sérieusement sur un théâtre, il y aurait dans la salle un rire inextinguible. Qu'est-ce donc qu'un temps de verbe dont on ne peut se servir, ne fût-ce qu'une fois dans une tirade, sans blesser l'oreille et chasser l'émotion? Ne serait-ce pas assez de le conserver dans les verbes auxiliaires? ne faudrait-il pas le proscrire de l'enseignement pour les autres verbes, comme les gens qui se respectent le bannissent de leur langage et de leur style? Tout le monde entend « je veux qu'ils s'y habituent. » Entendrait-on moins bien « je voudrais qu'ils s'y habituent » que « habituassent? » Ce vœu de G. Sand est comblé depuis long-temps par nos paysans; ils ont banni l'imp. du subj. de leur langage: « J'vourée qu'i s'y habiteuent ou qu'i s'y habiteuraint.» diraient-ils.

(1) Un journal de Blois, La France centrale, avait autrefois publié la strophe sui

vante :

Fallait-il que je vous aimasse
Pour que vous me dédaignassiez,
Et qu'à vos pieds je soupirasse
Pour que vous me repoussassiez !
Fallait-il que je vous suivisse,
Pour que vous me condamnassiez,
Et qu'à vos genoux je me misse,

Pour que de mes pleurs vous rissiez !

Monsieur, dit un personnage du Théâtre de la Foire, je voudrais que vous me coupassiez les cheveux. >> Monsieur, répond le perruquier offensé, je les taille et ne les

coupasse pas. >

Je soupçonne que cette confusion entre le conditionnel et l'imp. du subj. date du moyen-âge où l'emploi de ces deux temps n'était pas déterminé comme aujourd'hui. Non pas que j'aie jamais rencontré en aucun auteur cette tournure, allemande en français; car, si l'on trouve souvent l'imp. du subj. usité, là où nous emploierions aujourd'hui le conditionnel, (voir par exemple Og. de Danemarche, vers 612 et 874; Part. de Blois, v. 2617 et 6991; Ch. des Saxons, II, p. 133, et dans Burguy, passim ('), et jusqu'au XVI siècle, dans Montaigne), il est faux de dire que la réciproque soit vraie. Peut-être même le blaisois a-t-il emprunté directement et sans transition dans ces sortes de phrases ce conditionnel au latin, où, comme l'on sait, le conditionnel et l'imp. du subj. revêtent la même forme.

<< Combien y en a-t-il, écrit Vaugelas, qui disent j'ay sentu pour j'ay senty, faisions à l'optatif et au subj. pour fassions! » Or, faisions est encore aujourd'hui un subj. prés. en blaisois; j'en conclus, puisque Vaugelas en signale l'emploi à l'optatif, comme on disait alors, à l'imp. du subj. comme nous dirions aujourd'hui, que des deux tournures que j'ai indiquées, l'une par le subj. prés. dans la proposition subordonnée, l'autre par le conditionnel, le verbe de la proposition principale étant au conditionnel lui-même, la première était très usitée au temps de Vaugelas.

Quant à la seconde, voici ce qu'en dit le P. Chifflet: « Quant à l'usage de l'optatif, les Allemands et les Flamans ont bien de la peine à prendre la coutume d'en user, parce que leur langue n'a

(1) Cf. Li Rom. de la Guerre de Troie ;

Mais je de ce séure fusse
Que io t'amor avoir péusse,
Que fame espouse me presisses
Et que jamais ne me guerpisses
Quant en ta terre retornaisses,
Que tu ici ne me laiasses,

Que m'emportaisses avolc toi...

Ch. Gidel, Et. sur la litt. grecq. mod.

p. 201.)

point d'optatif, hormis le second imparfait : Je dirois, je ferois, etc. Par exemple, ils disent: Je voudrois que vous feriez cela, au lieu de dire que vous fissiez cela, etc. » La conclusion à tirer de ce passage, c'est qu'au XVIIe siècle, cette tournure n'existait que dans la bouche des étrangers. Est-ce à dire que le paysan blaisois ne l'employait pas? non, sans doute; je suis, quant à moi, porté à croire qu'il l'a toujours employée ; j'ajouterai même que je l'ai rencontrée également dans la Touraine, le Maine et l'Anjou ('). Il n'en est pas moins extraordinaire que l'on n'en surprenne aucune trace dans les auteurs à une époque où la conversation et la littérature n'offraient point un style distinct et tranché, comme il arriva plus tard (*).

Un corollaire tout naturel de la suppression de l'imp. du subj. dans notre dialecte, c'est la suppression du plus-que-parfait du subj. et de la seconde forme du conditionnel passé: J'eusse fait. Au lieu de dire : J'eusse voulu qu'il fût venu, nos paysans diront: J'aurais voulu qu'il serait venu. N'est-ce pas la traduction exacte, mais sous une autre forme, de la même pensée exprimée en latin. Voluissem en effet ne correspond-il pas directement à : Que j'eusse voulu, j'eusse voulu, j'aurais voulu; Venissem à que je fusse venu, je fusse venu, je serais venu? Et n'est-il pas probable que dès l'origine et pendant la formation progressive du roman, il se soit produit, entre ces deux formes d'un usage d'abord indéterminé et confus, une distinction devenue peu à peu plus tranchée, une

(1) Elle existe aussi en Normandie. Tirez une ligne de Falaise à Vire, ou plutôt un peu au-dessus de ces deux villes, en suivant le 49° de longitude, au sud c'est le conditionnel qu'on emploie, au nord le prés. du subj. (Renseignement fourni par un érudit normand, M. Coueffin, juge au tribunal de La Flèche.)

(2) Les seules tournures analogues que j'aye rencontrées, c'est dans Régnier :

J'ay peur que tout-à-fait je deviendray rimeur.

Et plus anciennement dans Palsgrave (p. 621): « Si vous vouldriez parler à mon père, le voylà en ce pré. »

Cf. Brantôme, Vies des grands Capitaines, liv. I, p. 11. « Il faut que je les continue, jusqu'à ce que je n'en pourray plus. »

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