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s'empêcher de s'écrier dans un accès de mauvaise humeur, en s'adressant aux courtisans:

N'estes-vous pas de bien grands fous

De dire chouse au lieu de chose,

De dire j'ouse au lieu de j'ose?

On peut donc dire sans exagération que le son o (qu'il fut représenté par la voyelle o, dont je viens de parler, ou par la diphthongue au, dont je parlerai plus loin) avait presque complétement disparu de la langue française, et l'on ne s'étonnera pas de voir Palsgrave écrire en 1530:

« Le son de l'o le plus général en France est celui de l'o anglais dans ces mots : a boore, a soore, a coore. » (P. 7.)

A partir de la fin du règne de Charles IX cet usage commença à décliner. On n'en rencontre que peu de traces dans Régnier; on en chercherait vainement dans Malherbe. Néanmoins la cour et surtout le peuple continuèrent à prononcer certains mots à la manière de François Ier et l'on peut suivre à la piste les derniers restes, les restes les plus opiniâtres de cette prononciation jusque vers la fin du XVIIIe siècle.

En 1628, le sieur Auvray, dans une satire ou il critique les mœurs de la noblesse, s'écrie :

Dire chouse pour chose, etc.

Sont les perfectious dont aujourd'hui se couvre

La noblesse françoise, etc.

Ainsi, cette prononciation condamnée par H. Estienne, tombée en désuétude dans les écrits des grands poètes du règne de Henri IV et de Louis XIII avait encore ses partisans à la cour. Nous en ressaisissons la trace en plein siècle de Louis XIV, dans l'écrivain le plus français de l'époque qui écrivit le mieux le français, dans cet admirable Lafontaine qui ne professait pas pour le moyen-âge le dédain superbe et ignorant de Boileau :

Doucement, notre épouse,

Dit le bonhomme. Or sus, monsieur, sortez,

Ça, que je racle un peu de tous côtés

Votre cuvier, et puis que je l'arrouse. (Le Cuvier.)

C'est ici, je crois, le dernier exemple de la voyelle o sonnant ou, que l'on rencontre dans un ouvrage littéraire. Mais si les poètes et les prosateurs ont abandonné cette prononciation, elle règne encore, dans un petit nombre de mots, il est vrai, et au barreau, et dans la chaire, et au sein de quelques salons où la poursuivent impitoyablement les grammairiens :

<< En matière de prononciation, dit le P. Chifflet, dans son Essay d'une parfaite grammaire françoise, dont la première édition parut à Anvers en 1659, la dernière à Paris en 1697, il n'est pas bon de courir après les nouveautés (il appelle cette prononciation une nouveauté!), d'autant qu'il arrive assez souvent qu'elles passent comme un torrent; et venant à déchoir, elles laissent la peine de les désapprendre à ceux qui les ont voulu mettre en crédit. J'ay veu le temps que presque toute la France étoit pleine de chouses; tous ceux qui se piquoient d'être diserts chousoient à chaque période. Et je me souviens qu'en une belle assemblée un certain lisant hautement ces vers:

Jetez-lui des lys et des roses,

Ayant fait de si belles choses;

quand il fut arrivé à choses, il s'arrêta, craignant de faire une rime ridicule; puis n'osant démentir sa nouvelle prononciation, il dit bravement chouses. Mais il n'y eut personne de ceux qui l'entendoient, qui ne baissât la tête, pour rire à son aise, sans lui donner trop de confusion. Enfin la pauvre chouse vint a tel mépris que quelques railleurs disoient que ce n'estoit plus que la femelle d'un chou. » Je laisse à qui de droit la responsabilité du trait d'esprit final. « Chouse, dit ailleurs plus simplement le même auteur, n'est qu'une impertinence; dites chose; » et plus loin : « L'on écrit et l'on prononce Pentecote, et non Pentecoute. »

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Ainsi l'on peut considérer la prononciation de l'o en ou, comme entièrement abolie dès la seconde moitié du XVIIe siècle, mais seulement dans les mots ou l'o n'est pas suivi d'un m ou d'un n. La règle de Palsgrave en effet subsiste toujours, et le lecteur la reconnaîtra, telle que je l'ai citée au cours de ce chapitre dans les lignes suivantes du P. Chifflet: « En omme et onne l'o n'est pas tout-àfait prononcé comme ou, quoiqu'il s'abaisse un peu pour s'unir à I'm et à l'n, mais si après om et on suit une autre consonne que I'm ou l'n, om et on se prononcent comme oun, ou comme en latin umbra, sunt, pungunt. Ex.: Nombre, conférence, ronce, répondre, ronfler, songer, congé, trompeur, quiconque, etc. lisez noumbre, counférence, rounce, etc., etc. De plus aux monosyllabes bon, don, fond, gond, l'on, mon, ton, son, nom, pont, rompt, rond, etc. lisez boun, doun, found, gound, etc. » Y a-t-il beaucoup de personnes, même parmi les plus lettrées, qui croient que Louis XIV prononçât tous ces mots absolument comme le paysan blaisois d'aujourd'hui?

Cette prononciation fit son entrée toutes voiles dehors dans le XVIIIe siècle. On peut dire qu'elle s'y maintint pendant toute la première moitié : « Bien des gens, dit l'auteur de la Biblioth. des Enf. (p. 158.1733.) prononcent en oun la nazale on des mots pont, ton, son, qu'ils prononcent pount, toun, soun. » Et ailleurs : « On entend des prédicateurs et des personnes d'esprit qui prononcent des houmes, la ville de Roume, au lieu de dire des hommes, la ville de Rome; la dernière prononciation n'est-elle pas la meilleure?» (p. 442.) Certainement, pour que le grammairien n'osât pas se prononcer d'une manière plus affirmative, il fallait que l'influence du son ou fut encore bien puissante et bien répandue. Ici nous perdons complètement sa trace. Ni Wailly (4754), ni Restaut (1764), ni Fauleau (1781), ni aucun autre ne lui accordent même un souvenir. C'en est fait de lui, et il se confine désormais dans ces couches inférieures de la société ou le linguiste va le découvrir et l'étudier, mais où le grammairien ne se risque pas.

Il nous reste néanmoins encore des traces de cette prononciation dans couvent pour convent, moutier pour moustier, Coutances pour Constance, soubresaut pour sombresault. (V. Palsgr. pag. 179.)

REMARQUE. Cette transformation du son o en ou n'est point particulière à la langue française. Nous la rencontrons en un certain nombre de langues, notamment en grec, en latin, et en italien.

En grec, Goûμat, dont le substantif est λóos, hous, attique pour πλεύσομαι; νοῦσος, μοῦνος, ionien pour νόσος, μόνος; τυψοῦμαι, dorien pour τύψομαι; ὄνομα, ὄύλυμπος, ionien pour ὄνομα, ὄλυμπος. (Cf. évi et Révai avec monstier-moutier, monstrer-moustrer, etc.)

Quant au latin, ceux qui pratiquent les vieux auteurs savent qu'il n'est pas rare d'y rencontrer les mots et orthographe suivants : Consol primos; aurom captom; poplom pour populum (Inscript. de Duilius); molta, (') endo, sepolta, tumoltu, aivom pour ævum, (Ennius); volgi, demisso voltu (Salluste). Pline assure, dit Priscien, liv. I, fol. IIII, qu'il y avait un certain nombre de cités italiennes, qui ignoraient l'usage de l'o et se servaient à sa place de l'u-ou; et il cite les Ombriens et les Toscans. « Les anciens Romains, ajoute-t-il, (3) changeaient souvent le son o dans la syllabe radicale, disant huminem-houminem, funtcs-fountes pour hominem, fontes, et même quelquefois dans la syllabe finale :

Angustoque fretu rapidum mare dividit undis.

(Lucrèce, liv. I.)

Nec Tityon volucres ineunt Acherunte jacentem. (Id. III.)

Plus tard cette prononciation devint le partage des paysans (quæ tamen a junioribus repudiata sunt, quasi rustico more dicta), et

(1) Cf. Q. Enn. Annal. lib. I. vs. 59, 91, 144; Fragm. lib. 11, vs. 3, lib. VII, vs. 36. (Corpus poet. Londini, 1713, 2 vol in-fol. p. 1458.) Vide et Quintil. I. 6.; Mar. Victorin. (Grammat. lat. auct. antiq. Hanoviæ, 1605), col. 2456; Gruter, Corp. Inser. Ind. gramm. O pro u; Egger, serm. lat. vetust. reliq.; A. Schleich. Indog. Chrest.

(2) Cf. Prisc. liv. I. fol. IIII: « Romanorum vetustissimi loco ejus (u) o posuisse inveniuntur poblicum, polchrum, colpam, hercole, et maxime digamma antecedente hoc faciebant, ut servos pro servus, vulgos pro vulgus, davos pro davus. Vide et Vossium, de arte gramm. I. 12.

c'est sans doute du langage vulgaire et rustique des Romains qu'elle a passé dans le nôtre, où, comme nous venons de le voir, elle s'est maintenue jusqu'au milieu du XVIIIe siècle.

En italien, trois dialectes, le Corse, le Sarde, le Sicilien, débris, eux aussi, en grande partie du moins, du latin rustique, remplaçent constamment le son o par le son u-ou. En voici un exemple tiré des Muse Siciliane, tome II, pag. 100:

E focu, e focu chistu et amuri amuri
Chillu, chi lu nutrisci et lu fomenta
Chi dibattendu l'al de tutt'huri

A damnu miu la xhiuscia, e l'alimenta.
(Mariano Drago.)

Qui ne sait qu'en anglais o se prononce tantôt ou comme dans together, tantôt eu comme dans emperor? Dans un prochain chapitre nous verrons le rapport étroit qui unit les deux sons ou et eu. Ce que je viens de dire suffit pour démontrer que cet assourdissement de l'o en ou n'est point un fait particulier au français.

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RÈGLE II. O est muet très souvent dans commune, commerce, et leurs composés, et dans commode; toujours dans les composés de ce dernier, commodité, incommoder, accommoder, raccommoder, ou l'o de la préposition formative com ne se fait pas sentir; pron. qu’meune, qu'modité, inq'mouder, rag'mouder. De même pour commencer et commander:

Et si tout est quemun. (J. Bodel, Buchon, p. 97.)

Et si promet à Dieu, le père espirital,

Que s'il puet escaper de chel estour mortal,

Que pour l'amour de li fera 1 hospital

Ou il hébergera tous pauvres quemunal.

(Gauffrey, vs. 3075.)

Que par le conseil du Kemun

Ot en chascun dix connestables.

(R. de Jud. Machabée, cité par Fauch. Orig. des Dign.

p. 65.)

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