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l'usage avait consacrée avant que l'Académie reconnut les deux formes Je paye, et je paie. Pourquoi cette faveur accordée au verbe payer quand elle interdit de prononcer j'esséye, il effréyera tu étéyes? Ne serait-ce pas pour parler à la fois comme Molière qui a dit:

Mais elle bat ses gens et ne les paye pas. (Misanthrope.)

Si de quelque retour tu payeras ma peine. (Malad. Imagin.)

et comme Racine qui écrit dans Britannicus:

Et tout autre que lui me pairoit de sa vie...?

C'est cette double prononciation du son ai, signalée par Geoffroy Tory, pa-ier et pé-ier, qui me paraît expliquer la double forme que l'on rencontre souvent aux XVe et XVIe siècles dans les substantifs qui n'en ont plus qu'une aujourd'hui: travail et traveil, marvaille et merveille, soulail et souleil, consail et conseil, etc.

De ceste feste me lassay,

Car joye triste cueur traveille,
Et hors de la presse passay.

Si m'assis dessoubz une treille

Drue de feuilles a merveille.

(Al. Chartier, la Belle Dame sans mercy. Voir aussi

le Lay de Plaisance du même auteur.)

Mais, se faire veut, après bon conseil,

A les garder doit mettre son traveil. (Ch. d'Orl. p. 17.)

On dit non-seulement dans le dialecte blaisois que j'éye, que tu éyes, mais encore à la troisième personne qu'il éye pour qu'il ait, comme on dit que je soye, que tu soyes, qu'il soye (pron. que je souéille; on dit aussi que je séie) pour que je sois, etc. C'est ainsi que parlait Corneille : (')

J'ai vu mourir Pompée et ne l'ai point suivi
Et bien que le moyen m'en aye été ravi,

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Qu'une pitié cruelle à mes douleurs profondes

M'aye ôté le secours et du fer et des ondes, etc.
(Pompée, acte III, sc. 4.)

« Cet aye à la troisième personne, dit Voltaire est un solécisme très commun. » Que de gens qui, sans être ni Corneille, ni blaisois, le commettent encore aujourd'hui !

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REMARQUE IV. Dans le verbe baiser, ai se prononce comme un i et s comme ch; Ex.: Viens m'bicher, p'tit gås. Dans le Maine et l'Anjou on dit biser. C'est le seul exemple de la transformation de ai en i que je connaisse, mais on n'en sera pas surpris, si l'on veut bien se souvenir que l'e, qui en mainte circonstance dans la langue du moyen-âge se confond avec ai, (meson-maison) subissait fréquemment une métamorphose semblable: Alixandre, cyens, je me desrigle, médicins, etc. La réciproque, comme nous l'avons vu, se produit également. (Voir pour plus de détails 1re partie, chap. 3, règl. I, p. 24, et 1re partie, ch. 2, règl. II. remarq. 2, p. 18.)

NOTA: Nain, parrain forment leur féminin, comme s'ils étaient terminés en in: Nine, marrine. Voir Cotgrave et Nicot aux mots parrin, marrine. (') Ménage écrit parrein dans un endroit (p. 291) et parrain dans l'autre (p. 180). Parrin et parrein sont plus conformes à l'étymologie patrinus, les finales en ain correspondant surtout aux terminaisons latines en anus.

Parrin forme naturellement dans le dialecte blaisois parrinage.

CHAPITRE II.

De la prononciation de la diphthongue AU.

RÉGLE. Au se prononce ou, comme dans autre, faute, cause, vaurien, se vautrer et quelquefois dans les terminaisons en

(1) Dans Nicot, il faut pour trouver marrines chercher parrins, pag. 462, éd. de 1606, en haut de la col. 2: PARRINS et MARRINES; advocatio initialis, etc.

aux, aut, ot, eaux comme chevaux, echeveaux, sabots, crapaud, etc., pron. oûte, foûte, coûse, voûrien, se voûtrer, chevoux, ech'voux et eg'voux, crapoue et carpoue, etc.

1° C'était une règle, dont l'on trouve des traces dans la première moitié du XIIIe siècle, et peut-être date-t-elle de plus loin, que la diphthongue au au commencement des mots sonnât ou. Le premier grammairien qui l'ait formulée est Palsgrave, p. 14.

« Au sonne en français comme en anglais dans ces mots : a dawe, α mawe, an hawe. Exception: Quand un mot français commence par la diphthongue au, comme en ces mots aulcun, aultre, aussi, (1) aux, aucteur, et autres semblables, on y donne a l'a initial le son de l'o. » Ex.: Ceux qui commander souloient par autorité.

Pron. Seu ki coumaunder souloye par OUTORITÉ. (Palsgr. p. 57.)
Car il ont ou saint grant fianche.

(Li Jus Adam, Buchon, p. 67.)

Que ou mois de may je songoye
Ou temps amoureux plein de joye.

(Rom. de la R. I. p. 3.)

Onque puis n'osa entrer ou pays. (Lett. de Rois, p. 207.)

Ou nom de Dieu...

Vous estes ou milieu de France.

(Mist. du S. d'Orl. vs. 409 et 1048.)

Ou coffre on quist, mais l'argent n'y fut plus.

(Ch. Bourd. p. 76.)

En cest exil ouquel je suis transmis. (Fr. Villon, p. 196.)

2o On confondait au moyen-âge les sons au et ou, comme on fesoit o et ou, non seulement dans la prononciation, mais surtout dans l'orthographe; Ex. :

Ou on m'eust caupé la teste.

(Li Jus Adam, Buchon, p. 67.)

Cires confus saudées et bien loyez. (Jeh. Mol. p. 132.)

(1) Cf. Hug. Capet, vs. 143 et 579,

« On ne s'offensait pas au moyen-âge, dit Génin (Variat. p. 239), d'entendre un poète prononcer dix sous et une minute après, dix saus:

Fet li clerc Quinze sols vous doi...

Li pain, li vin et li pasté

Ont bien couté plus de dix saus,

Tant ont-ils bien eu entre aus. (1)

(Des trois aveugl. de Compiègne). »

Avoeques tel Marion

Ja pastoriaus estre vauroie (voudroie).

(Motets et Pastourelles du XIIIe siècle, Buchon, p. 32.) Fleur de consaulde. (Jeh. Le Maire, Fol. CLXXXIV.) Satur saul (soul.) (J. Dubois, Isagoge.)

dans

3o Il est très difficile de prouver qu'au moyen-âge la prononciation d'au en ou ait existé dans le corps des mots, attendu que ces sortes d'observations, c'est la rime qui sert de criterium. Néanmoins l'affirmative est très probable, pour ne pas dire certaine, premièrement parce qu'on a du se sentir entraîné à donner à au dans le corps des mots le son ou qu'on lui attribuait régulièrement au commencement; secondement, parce que, comme nous l'avons vu, on trouve dans les auteurs un certain nombre de mots, saudées, caupées, pauvre, etc., où les deux diphthongues s'emploient indifféremment l'une pour l'autre :

Lor beaus vis clers e lor cors jenz

Faiseient manger à mastins

E a voutours e a corbins. (Chr. d. d. d. Norm. II. p. 421.)
J'ay veu pouvres gens langourir.

(De Mac. des Femmes, p. 37.)

Le mouvais riche, enflé d'iniquité. (Id. id. p. 47.)

Le pouvre corps.

(Ch. Bourd. p. 82. V. Est. Pasq. II. 57. B.)

(1) Au sonnant ou au commencement des mots, je lirais plutôt dans cet exemple sous,

ous, que saus, aus.

A ces deux preuves je vais en ajouter une troisième.

Nous avons vu que dans ces vers du Mist. du S. d'Orl. (vs. 5779):

Quant au regart de leur puissance

Ne fault accomparer la nostre :
Chacun sçait que la leur passe oultre.
Qu'à nostre bon roy et le vostre
Luy soyt tout ce cas récité;

nostre, vostre se prononçaient noutre, voutre. De plus nous trouvons une confirmation de l'exception formulée par Palsgrave, au sujet de la prononciation de la diphthongue au dans les vers sui

vants :

Chascun y a fait grand labeur

Et tant d'un cousté comme d'autre
Eu ont la moictié de la peur

Et n'y ont riens gaigné du nostre ;

(M. du S. d'Orl. vs. 16027.)

ou autre prononcé outre rime avec notre prononcé noutre. Si maintenant nous rencontrons autre rimant avec un mot ou la diphthongue au ne soit point initiale, nous serons en droit de conclure que l'auteur du mystère où je puise ces exemples, auteur très probablement orléanais, et par conséquent voisin du pays blaisois, donnait a au le son de ou, non seulement au commencement, mais même au milieu des mots. J'en trouve une preuve évidente dans ces vers:

Et suffisant y est sans faulte.

On n'en doit point élire d'autre. (vs. 16698.)

où il paraît certain, d'après les développements que je viens de donner, qu'on doit lire foute et oute (voir au chap. de la prononciation de l'r), comme on prononce encore aujourd'hui dans le dialecte blaisois.

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