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Le grand queique foi

An masque ai mencu se promeune. (La Monnoie, I. 6.)

La transformation du son ei en a existe surtout en Sologne. C'était également un usage particulier au dialecte roman: « Comme le dialecte dorien, dit Henri Estienne, le dialecte roman, c'est-àdire celui des frontières de France et le patois de la Savoie remplacent volontiers les sons e, ai, par le son a, disant cla, clar, man, fan, pan, fare, etc. pour clef, clair, main, faim, pain, faire, etc. Cet a du roman est plus voisin de l'étymologie qui paraît mieux dans pare, mare, deman, etc. que dans père, mère, etc. »

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4° Ei se prononce ée dans reine: La réene.

(V. 2o part., ch. I., p. 65.)

2o Ei se prononce a ou i à volonté dans enseigne, peigne et leurs composés, prononcez: Ensagne, pagne, ou ensigne, pigne. Teigne sonne toujours tigne.

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La transformation d'ei en i est un résultat de la confusion qui a existé au XVIe siècle entre les sons i et ei. (Voir 4" partie, chap. III, p. 24 et 23.) J'en ai déjà cité quelques exemples à propos de la prononciation de la voyelle i; en voici un autre ; c'est un sonnet de Nicolas Ellain :

Or viens un peu, je te prie, Lucine.
Dame Junon, viens un peu soulager
Ceste douleur qui ne fait qu'engréger
De ceste pauvre accouchante la peine.
Viens soulager sa douleur inhumaine ;
Viens, viens, Junon, ses tranchés alléger;
Viens la livrer, Lucine, de danger,

Et adoulcir le tourment qui la mine, etc.

Du reste les anciens auteurs français depuis l'origine de la langue nous présentent une foule d'exemples de ces changements d'é en i et réciproquement. (Voir 1 part., chap. II et III, p. 48 et 24.) En voici deux nouveaux :

Et le tint en grant désépline. (M. de Fr., I. 268.)
Moult hai li rois yresie

Fauseté et ypocrezie. (Phil. Mouskes, vs. 3078.)

Je ne trouve point dans mes notes d'exemples du mot enseigne, où la diphthongue ei soit remplacée par i. Je suis sûr que je finirai par en découvrir, car l'analogie indique que cette prononciation a du exister. En revanche, j'en rencontre beaucoup pour le mot peigne et ses composés, presque constamment écrits aux XV et XVIe siècles pigne, pigner, etc. C'est là l'orthographe de Villon, d'Am. Jamyn, de Rabelais, de Montaigne, de du Bartas, de Ronsard. On peut remonter plus haut :

Elle estoit gresle et alignée,

N'estoit fardée, ne pignée. (Rom. de la R., I. p. 35.)
Tiens-toy bien net; tes cheveux pigne;

Mais ne te farde, ne te guigne. (Rom. de la R., I. p. 74.)

Mais qui peut assurer, la voyelle i sonnant ei en mainte rencontre, que pigne ne se prononçat pas peigne? Ainsi voici dans Villon vigne, engigne, ligne, pigne, trépigne et bigne rimant ensemble. (Voir Ballade et oraison, pag. 134.) Rien ne me prouve que l'on ne prononçât pas alors veigne, leigne, trépeigne comme aujourd'hui encore dans le dialecte blaisois; peigne comme en français; beigne qui a disparu de la langue, en y laissant son diminutif beignet; et enfin engeigne, qui signifie prendre au piège, tromper, comme en ces vers de Lafontaine. (Liv. IV. Fabl. II.)

Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui

Qui souvent s'engeigne soi-même.

Je crois donc, jusqu'à preuve contraire, qu'au milieu de l'anarchie qui régna dans le langage au XVIe siècle, anarchie dont on peut faire remonter l'origine et les causes jusqu'à la fin du XIV, les deux prononciations enseigner et ensigner, peigner et pigner, teigne et tigne, etc., ont régné de concert, jusqu'à ce qu'enfin l'une des deux l'ait emporté.

Ainsi dans ces vers:

J'é apperceu

De Talebot droit son enseigne,
Qui porte un espagneau velu

Et ung petit gars qui le peigne.

(M. du S. d'Orl., vs. 19738.)

je lis enseigne et peigne, parce que j'ai remarqué que si i souvent ei dans la vieille langue, comme le prouvent les exemples cités plus haut, jamais la diphthongue ei, non suivie d'une voyelle, n'a sonné i.

Au contraire, en ces vers cités par H. Estienne :

Femme trop piteuse

Fait souvent fille tigneuse,

je lis tigneuse, comme il est écrit, et non teigneuse, comme nous prononçons aujourd'hui, parce que, tigne et teigne étant également usités (') alors, il a choisi l'orthographe et la prononciation qu'il préférait. Ennemi des nouveautés et des caprices de la mode, méthodique, H. Estienne me paraît un guide sûr pour la prononciation des voyelles et des diphthongues. Y a-t-il deux formes pour un même mot, il les signale à l'occasion, mais il indique celle qui lui paraît de meilleur aloi : « Dicitur Brebis sive Berbis, sed Brebis magis receptum est. » (Gloss. Avertissement au lecteur, pag. 3, lignes 17 et 18.)

Ce fut le XVIIe siècle qui contribua à mettre de l'ordre dans ce chaos; les Précieuses et les grands écrivains fixèrent l'orthographe et la prononciation, et enfin l'Académie. Mais il ne faut pas s'étonner que les vieilles formes, condamnées alors, soient demeurées dans la bouche de nos paysans qui ne lisent point les grands écrivains, qui ne connaissent guère l'Académie, et qui n'ont jamais entendu parler des Précieuses.

(1) Ils l'étaient encore au XVIIe siècle. Voir Danet, Magnum Dictionn. latin. et gallic. au mot tinca, et Nicot à TE et à TI.

Quant au blaisois ensagner, ou l'a est mouillé comme dans notre mot campagne, on en trouve de nombreux exemples :

Il li ensengeront un cercle.

(Saint-Grégoire. Cf. Roquef. à Ensengnement.)
Li leus volst les siens enssengnier. (M. de Fr.)
Que pour paour li sires prangne

De son serf et subjit l'ensaingne. (Eust. Desch.)

Robert Estienne ne signale que la forme enginer; le Dictionn. abrégé de Trévoux renferme à la fois engeigner et enginer. L'orthographe d'engin, écrit autrefois engein, a sans doute contribué à la double prononciation du verbe. Ménage note de plus la forme enganer (Cf. avec l'Italien ingannato, et Buchon, p. 101, engaigne.)

Mal enganés et malement surpris.

(Guill. au court nez. Ménag. a engigner.)

Engeigner, enginer, ou engigner, enganer correspondraient ainsi à la triple prononciation:

Enseigner, ensigner, ensagner;

Peigner, pigner, pagner, etc.

CHAPITRE V.

De la prononciation de la diphthongue EU.

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RÈGLE UNIQUE. Eu se prononce généralement comme en français; Ex.: lieu, peu, eu, prononcez lieu, peu, eu, et non u. (Pour la prononciation de eu dans eur, voir IV partie, ch. III.)

La prononciation de eu étant la même dans le dialecte blaisois qu'en français, il n'y a que le participe eu du verbe avoir, qui puisse être ici l'objet d'une discussion.

La prononciation en est très diverse; on dit évu, éü, eu, u, c'està-dire que le dialecte blaisois reproduit les différentes prononciations, que ce mot a revêtues depuis les origines de la langue jusqu'à la fin du XVIe siècle et même jusqu'au premier tiers du XVII. Aucune contestation ne peut s'élever au sujet des diérèses évu, éü. Un seul point est contesté, et ici j'ai le regret de ne pas me trouver d'accord avec le savant auteur du Traité de Versification française (p. 354), (') c'est qu'on ait jamais prononcé le participe eu comme il est écrit.

La question prend immédiatement un caractère général, car il saute aux yeux que les évolutions suivies par le participe eu deviendront pour un esprit non prévenu applicables à tous les participes aujourd'hui terminés en u. Si je prouve que à évu et éï, prononcés probablement d'abord évou et éou, éveu et écu, a succédé eu, de même que ce dernier a été remplacé par u, j'aurai prouvé implicitement qu'on a dit d'abord conné-u, pé-u, sé-u, prononcés conné-eu, pé-eu, sé-eu, puis conneu, peu, seu, en dernier lieu connu, pu, su et de même pour tous les autres participes de terminaison identique.

M. Génin, et d'autres après lui, a très bien prouvé l'existence des diérèses évu, éü. (Variat. p. 114, 143 et suiv.) Les exemples en sont innombrables, et l'on peut suivre la trace d'éru jusqu'à la fin du XVe siècle, d'éu jusqu'au XVII. C'est à mes yeux une question jugée et sur laquelle il n'y a point à revenir.

Reste la forme eu, prononcée eu, dont on a contesté la pronon

ciation.

« Baïf, dit l'auteur du Traité de Versif. franç. (p. 356), qui tenta d'introduire une nouvelle orthographe, destinée à noter exactement la prononciation, écrivait j'usse au lieu de j'eusse. » Et

(1) Traité de Versific. franç. où sont exposées les variations successives des règles de notre poésie, et les fonctions de l'accent tonique dans les vers français par L. Quicherat, agrégé de l'Université, bibliothéc. à la Biblioth. Ste Geneviève, 2e édition, Paris, Hachette, 1850.

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