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il se détermina à rester à Rome & y continuer ses conférences; fa chambre fe trouvant trop petite pour contenir toute l'assemblée, il obtint des députés ou administrateurs de l'églife de S. Jérôme un lieu ample & fpacieux au-deffus de leur églife, qui, ayant été jusqu'alors inutile, fut accommodé en forme d'oratoire, où les exercices furent transférés en 1558; que le nombre des affiftans augmentant de jour en jour, le faint fondateur s'affocia pour faire les conférences Taruggi & Modio qui n'étoient encore que laïques; il y joignit quelque temps après Succio & Baronius, Auteur célebre des Annales Eccléfiaftiques.

Outre les conférences & les autres exercices qui fe pratiquoient dans cet oratoire, il ordonna qu'il feroit ouvert tous les foirs à fix heures en été & à cinq en hiver; que le dimanche, le mardi, le jeudi & le famedi on feroit une oraifon mentale, après laquelle on réciteroit les litanies de la fainte Vierge, & que les autres jours de la semaine on prendroit la difcipline. Quelque temps après il changea fa premiere méthode. En attendant que fes confreres fuffent affemblés, il faifoit faire une lecture fpirituelle par quelques-uns de ceux qui étoient arrivés des premiers. Čelui qui préfidoit interrogeoit deux ou trois des affiftans fur cette lecture, enfuite il faifoit une récapitulation de tout ce qui avoit été dit, & concluoit toujours par quelques réflexions, qui portoient les auditeurs à l'amour de Dieu, au mépris du monde & à la pratique des vertus. On s'inftruifoit auffi de l'Hiftoire Eccléfiaftique, & l'affemblée fe terminoit des prieres & des hymnes qu'on chantoit à la gloire de Dieu. Le faint fondateur alloit enfuite vifiter plufieurs églifes, fuivi par un grand nombre de fes difciples, qui y affiftoient aux offices tant de nuit que de jour avec une piété & une dévotion admirables. Il en avoit choifi trente ou quarante entre tous les autres; il les diftribua en trois bandes, pour aller aux hôpitaux affifter les malades ; & certains jours de l'année, fur-tout pendant les jours de Carnaval, il affembloit le plus de monde qu'il lui étoit poffible pour aller vifiter les fept églises, afin d'arracher au démon une partie des conquêtes qu'il avoit coutume de faire dans ces temps de folie & de libertinage.

par

Cette

Cette dévotion se pratique encore tous les ans à Rome le jour du jeudi gras, & on y obferve le même ordre que le faint y avoit établi. Il s'y trouve quelquefois jusques à quatre ou cinq mille perfonnes, auxquelles on donne à manger mais avec la même frugalité dont ufoit le faint fondateur à l'égard de ceux qui l'accompagnoient dans ce faint pélerinage; on leur donne à chacun un pain, une tranche ou deux de fauciffon, qu'on appelle en Italien mortatella, un oeuf, un morceau de fromage, & environ une chopine de vin. Ceci fe fait dans une vigne, c'eft-à-dire dans un grand jardin, où l'on trouve tout difpofé: ainfi en y arrivant on n'a qu'à s'affeoir fur l'herbe chacun dans son canton car chaque état & condition a le fien féparé des autres par de petites barrières faites exprès, les religieux, de quelque ordre qu'ils foient ont le leur près de celui des cardinaux, enfuite vient celui des féculiers, & ainfi des autres. Pendant ce repas, qui dure environ une demi-heure, on donne à toute l'affemblée le plaifir de la mufique, qui eft placée au milieu de toutes les barricades, en forte qu'on entend les voix de tous côtés enfuite un enfant de huit à dix ans fait un petit difcours fur le fujet de cette dévotion, & tout le monde fe lève pour continuer ce pélerinage qui ne finit que fur les quatre ou cinq

heures du foir.

;

Un fi faint exercice ne put être à l'abri de la médisance & de la calomnie. Il s'éleva de faux bruits dans la ville contre le faint. On accufa ceux qui le fuivoient dans la vifite des fept églifes, de n'y aller que pour contenter leur gourmandife, & vivre graffement des mets exquis qu'on leur donnoit en abondance: on en murmuroit hautement, & les plaintes en furent portées au vicaire du pape. Philippe fut déféré à fon tribunal, comme un homme ambitieux, qui introduifoit des nouveautés, & tenoit des affemblées dangereuses contre la foi. Ce prélat prévenu contre lui, le fit venir en fa présence, & après l'avoir traité fort rudement, il lui interdit le confeffional, lui défendit de prêcher fans permiffion, & le menaça de le mettre en prifon s'il menoit davantage des compagnons avec lui, & s'il tenoit avec eux des affemblées. Le faint, qui n'avoit rien à fe reprocher, répondit en véritable enfant de l'Eglife, c'est-à-dire avec Tome VIII

C

beaucoup d'humilité & de foumiffion, à celui qui tenoit la place du vicaire de J. C., qu'ayant commencé cet ouvrage par obéiffance, il le quitteroit de même ; mais qu'il n'avoit eu d'autre intention que celle de travailler pour la gloire de Dieu & le falut des ames. Le prélat qui devoit être édifié · d'une fi grande foumiffion à fes ordres, n'en conçut au contraire que du mépris pour lui & le chaffa de fa présence. Ce fut pour notre faint un contre-temps qui persuada à plufieurs perfonnes, & même à des eccléfiaftiques qui demeuroient avec lui, qu'il n'étoit qu'un ambitieux, & dès ce temps-là il les eut pour adverfaires.

Dieu qui humilie quelquefois fes faints pour faire paroître feur gloire avec plus d'éclat, ne laiffa pas long-temps fon ferviteur dans cette épreuve, car ayant fait connoître sa fainteté, on lui permit de continuer fes exercices: ce changement augmenta beaucoup le nombre de fes difciples, & le remit dans un fi haut degré de réputation, que les Florentins qui étoient habitués à Rome, ayant fait bâtir une église dans cette ville, fous le titre de S. Jean-Baptifte, en 1564 pour ceux de leur nation, le prièrent de vouloir bien la deffervir. Le faint fit difficulté d'accepter cet emploi; ce qui obligea les Florentins d'avoir recours à l'autorité du pape Pie IV. Le pape ayant ordonné à Philippe de fe charger de cette églife, notre faint fit p endre les ordres facrés à quelques-uns de fes difciples, qui furent Baronius, Fideli & Bordin, que le pape Clément VIII choifit pour fon confeffeur, & qui fut archevêque d'Avignon.

Ces zélés difciples furent les trois premiers qui allerent demeurer à l'églife des Florentins; ils furent bientôt fuivis par Taruggi & Velli, qui devint premier fupérieur de la congrégation après S. Philippe de Neri; c'eft proprement à ce temps-là que l'on doit rapporter l'établiffement de cette congrégation, qui prit le nom de l'Oratoire, à caufe de l'oratoire que le faint fondateur avoit dreffé à S. Jérome de la Charité, où il demeura encore quelque temps, pendant lequel fes difciples de l'églife des Florentins alloient le trouver trois fois le jour. Le matin ils fe confeffoient à lui, & s'en retournoient chez eux. Après le dìné ils alloient à l'oratoire pour y entendre le fermon, ou prêcher à leur tour; d'où ils

alloient enfuite chanter les vèpres à leur églife, & retournoient encore à l'oratoire pour affifter aux autres exercices, fans que les ardeurs du foleil en été, ni les rigueurs du froid, ou le mauvais temps en hiver les en empêchaffent. Ils étoient dans une fi parfaite union, qu'ils diftribuerent entre eux les offices de la maifon, qu'ils faifoient tour à tour, trois fois la femaine, ou pour un temps plus confidérable: ils fervoient à table, avoient foin des provifions, & faifoient la cuifine : ils le tenoient à fi grand honneur, que Baronius étant à la cuisine, & fouhaitant de demeurer toujours dans cet état d'humiliation, écrivit fur la cheminée en gros caracteres, Baronius, cuifinier perpétuel. Souvent les grands feigneurs & les gens de lettres qui recherchoient la conversation de ce grand homme, le trouvoient avec un tablier autour de lui, écurant les chaudrons & lavant la vaiffelle. Germain Fideli, frere de celui dont nous avons parlé, & Octave Paravicini, éleve de Baronius, & que fon mérité éleva auffi dans la fuite au cardinalat, faifoient la lecture au réfectoire, & chacun à fon tour avoit foin de balayer l'église tous les famedis, de parer l'autel, de préparer tout ce qui étoit néceffaire pour le dimanche, pendant lequel & les jours de fêtes ceux qui étoient prêtres s'employoient à entendre les confeffions & à annoncer la parole de Dieu.

Une vie fi fainte, charmant de plus en plus les Florentins, leur fit chercher les moyens de les fixer entiérement au fervice de leur églife: voyant qu'ils ne pouvoient aller trois fois par jour à l'oratoire de S. Jérôme de la Charité fans beaucoup de fatigues, ils prierent S. Philippe de transférer fes exercices chez eux, & lui firent bâtir un oratoire fort ample; il l'accepta en 1574 avec la permiffion du pape Grégoire XIII, y fit fes affemblées, & y continua fes exhortations ordinaires. Comme la congrégation augmentoit de jour en jour, le faint fondateur & fes compagnons jugerent à propos d'avoir une maison à eux, afin qu'étant indépendans ils puffent faire leurs exercices avec plus de liberté. On leur offrit deux églifes qui pouvoient convenir à ces mêmes exercices, & toutes deux dédiées en l'honneur de la fainte Vierge; l'une, fous le titre de Monticelli, & l'autre, fous celui de la Vallicella. Cette derniere étoit

commença

que

pour

plus petite; mais fa fituation au milieu de la ville étoit plus avantageufe, & par conféquent plus du goût du faint fondateur, qui, ne cherchant que l'avantage du prochain, préféroit fa commodité à fa propre fatisfaction. Cependant dans la crainte de fe tromper dans fon choix, il ne voulut rien faire fans avoir confulté le pape, qui lui conseilla de s'arrêter à celle de la Vallicella. Comme cette église étoit paroiffiale, le curé la céda en 1575 moyennant une penfion viagere, & le Saint envoya pour la deffervir Germain Fideli & Jean-Antoine Luccio. Quelque temps après on y jeta les fondemens d'une magnifique églife, où l'on à célébrer les offices divins en 1577; ce fut lors que l'on commença à mettre en pratique les conftitutions le Saint avoit dreffées deux ans auparavant pour fa congrégation, qui fut approuvée la même année par Grégoire XIII; ce pape donna auffi fon confentement pour transférer l'oratoire de l'églife des Florentins à celle de fainte Marie de la Vallicella, qui porte préfentement le nom de la Chiefa Nuova, c'eft-à-dire l'Eglife Neuve. Ce changement donna occafion à S. Philippe de changer la méthode de fes premiers exercices; car au lieu de conférences il y eut tous les jours, excepté le famedi, une lecture fpirituelle fuivie de quatre fermons : ceci se pratique encore aujourd'hui dans la même église avec tant d'édification, qu'un faint prétre, qui pendant fa vie n'avoit jamais manqué d'affifter à ces fermons, voulut, & ordonna par fon teftament, qu'après fa mort fon corps feroit enterré dans cette églife vis-à-vis la chaire du prédicateur, & que l'on mettroit fur fa tombe ces paroles du prophête Ezéchiel: Offa arida audite verbum Domini. Le faint instituteur voulut auffi qu'à la fin des fermons on chantât quelques hymnes & prieres pour les néceffités de l'églife.

Dès que l'églife de fainte Marie de la Vallicella fut en état d'y faire les exercices, & le logement pour la demeure des prêtres achevé, une partie de ceux qui demeuroient à l'églife des Florentins y, allerent auffi demeurer la même année 1779, & élurent pour fupérieur S. Philippe de Nery, qui ne quitta pas pour cela fa demeure à S. Jean des Florentins où il demeura jufqu'en 1583, qu'à la priere de fes

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