Images de page
PDF
ePub

M. Puig, mieux informé de notre histoire monumentale que beaucoup d'érudits nos compatriotes, rattache ces églises gothiques catalanes munies de collatéraux à un groupe français où Viollet-le-Duc a signalé un compromis entre l'art du Nord et les formules du Midi terrasses dallées, fenêtres relativement étroites (Dict. d'architecture, t. II, p. 372-373). Il s'agit des trois cathédrales de Clermont, Limoges et Narbonne. C'est par Narbonne, métropole des diocèses catalans, que les églises gothiques de ces diocèses se rattachent à l'architecture française). La cathédrale de Girone fut élevée d'abord; celle de Barcelone vint ensuite; puis, d'autres églises, notamment celle de Castellon d'Ampurias.

Le type éprouva des altérations successives, que M. Puig expose très clairement et que ses dessins rendent saisissantes. La cause initiale dominante de ces changements est l'aplatissement des toitures, notamment audessus des bas-côtés : il en résulta une diminution de la distance verticale entre le niveau de la corniche qui couronne la nef et le niveau de la corniche des bas-côtés. Or, dans cet intervalle prennent place non

(1) On attribue généralement à un maître d'œuvre nommé Henri de Narbonne le projet de la cathédrale de Girone ou plutôt du chevet; la nef, sans bas-côtés, est postérieure. Cette opinion est très vraisemblable; mais elle ne paraît fondée sur aucun document, ainsi que l'a fait observer récemment M. l'abbé Sigal (Contribution à l'histoire de la cathédrale Saint-Just de Narbonne, Extrait du Bulletin de la commission archeologique de Narbonne; in-8, 145 p.; Toulouse, 1922) : l'architecte s'appelait Henri, c'est tout ce qu'on sait de lui. Vers 1320, Henri était mort: il fut remplacé à la tête du chantier de Girone par le maitre d'œuvre de Narbonne, « Jacobus de Favarii [s] ..

seulement les verrières, mais encore les arcs-boutants et la galerie du triforium; tous ces organes se rapetissent et s'atrophient.

D'autre part, la multiplicité des bénéfices conduisit à faire des chapelles latérales plus nombreuses, par conséquent plus resserrées et, par conséquent encore, plus basses. Au lieu qu'à Narbonne les chapelles sont aussi hautes sous voûtes que les collatéraux, à Girone et dans les églises qui en sont dérivées, entre le toit de la chapelle et celui du bas-côté est logée une fenêtre.

Pour qui lit cette étude, toute l'évolution dont il s'agit se ramène à deux ou trois faits essentiels. Il faut voir juste en ces matières, il faut aussi voir de haut pour attribuer à chacun des éléments du problème sa valeur exacte et pour éviter les théories trop systématiques. M. Puig, architecte et historien, a su mélanger dans une juste proportion les raisons techniques et les considérations générales. Il a, dans ces quelques pages, écrit avec talent un chapitre de cette histoire magnifique qui a pour objet l'expansion de l'art français dans la chrétienté. J.-A. BRUTAILS.

GUERNES DE PONT-SAINTE-MAXENCE. La vie de Saint Thomas, le martyr. Poème historique du xII° siècle (11721174), publié par E. WALBERG. Un vol. in-8°, CLXXX et 385 p. Lund, Gleerup, 1922 (Acta regia societatis humaniorum litterarum Lundensis, V).

L'archevêque de Canterbury, Thomas Becket, assassiné en 1170 à l'instigation du roi d'Angleterre Henri II, après avoir été son chancelier et être entré en conflit avec lui au sujet des libertés de l'Église, est une des figures

les plus attachantes du temps. Les vicissitudes de sa vie, la violence de son caractère, l'horreur de sa fin nous émeuvent aujourd'hui encore, quelle impression n'ont-elles pas dû produire sur les contemporains! Aussi, au lendemain de sa mort, Thomas Becket estil considéré comme un héros et un martyr, et sa vie est-elle écrite de divers côtés dans un moment d'exaltation peu favorable au respect de la vérité, mais éminemment propice à l'inspiration poétique. On connaît trois biographies en vers français composées sous le coup du retentissement de la mort de l'archevêque et de la pénitence publique que le roi d'Angleterre vint faire devant son tombeau. La plus importante, par son étendue et sa valeur littéraire, est due à un clerc vagant du nom de Guernes, originaire de Pont-Sainte-Maxence; il l'écrivit à Canterbury même, entre 1172 et 1174, comme hôte de l'abbaye de la Trinité, et il la récita plusieurs fois aux pèlerins qui accouraient au tombeau du martyr. Dans un tel milieu, Guernes ne disposait pas seulement de toutes les informations écrites ou orales sur son sujet, il partageait les émotions des témoins de la mort dramatique de Becket. Aussi le poème historique qu'il a écrit, précis et documenté (jusqu'à contenir des traductions de pièces d'archives). est-il en même temps animé d'un souffle ardent, entraîné par un courant d'admiration profonde pour le héros et de haine pour ses ennemis, sentiments qui éclatent surtout dans des dialogues admirables par la concision et la force de l'expression.

Deux des six manuscrits de ce poème avaient déjà été publiés, celui de Wolfenbüttel, par Bekker, en 1838, celui de Paris, en 1859, par Hippeau.

Paul Meyer devait donner une édition critique dans les Materials for the history of Thomas Becket parus dans la collection dite du Maître des rôles. Il mourut avant d'avoir réalisé ce travail pour l'avancement duquel il comptait sur la collaboration de M. Walberg. Celui-ci est seul à nous le donner, et il le dédie pieusement à la mémoire du savant disparu.

Dans l'introduction, sont étudiés les problèmes posés par le poème, dont plusieurs avaient déjà fait l'objet de dissertations particulières. Par une comparaison minutieuse, dont le détail nous est sobrement exposé, M. Walberg établit que Guernes a utilisé les biographies latines d'Edouard Grimm (1172) et de Guillaume de Canterbury (1173-1174) et qu'il a servi de source à celle de Robert de Pontigny (1176-1177). La langue du poème écrit en écrit en 6180 alexandrins réunis en strophes monorimes de cinq vers est celle de l'Ile-de-France avec quelques caractères empruntés au milieu anglo-normand dans lequel vécut l'auteur. Le texte choisi comme base de l'édition est celui du manuscrit de Wolfenbüttel. Des notes nombreuses et un glossaire, sinon mécaniquement complet, du moins très riche et ne laissant de côté rien qui soit digne d'intérêt terminent le volume.

Fondée sur une information des plus étendues, conduite avec une méthode parfaite, dont le présent livre n'est pas le premier exemple de la part de M. Walberg, solide, élégante dans sa présentation et jusque dans son exécution matérielle, l'édition est digne de la belle œuvre dont elle nous donne le texte définitif. C. BRUNEL.

G. CONSTANT. La légation du cardinal Morone près l'empereur et le concile de Trente, avril-décembre 1563. Un volume in-8° de Lxv-614 p. Paris, Champion, 1922.

Le volume de M. Constant est un recueil de documents d'archives concernant les derniers mois et la conclusion du Concile de Trente. Giovanni Morone, qui a été l'ouvrier de cette conclusion difficile, est un des diplomates les plus habiles de la curie. Il débute sous Clément VII, en 1529, par une mission auprès de François Ier. Sous Paul III, il est à deux reprises nonce auprès de l'empereur. En 1542, Paul II le désigne pour présider le concile qui va se réunir à Trente. Le concile est différé et Morone employé à d'autres missions, par Paul III, par Jules III. A l'avènement de Paul IV, il est arrêté et enfermé au château Saint-Ange, l'Inquisition ouvre contre lui un procès, qui. sous ce pontificat de dure réaction, aurait pu mal finir: la mort de Paul IV lui rendit la liberté, et l'avènement de Pie IV la confiance du Saint-Siège. On était à la fin de 1559 deux ans plus tard, Morone présidait le concile de Trente.

M. Constant enrichit d'une contribution considérable le dossier de l'histoire des derniers mois du concile. Il ne s'est pas attaché à reconstituer la suite des tractations. Il se borne à publier les lettres de Morone ou les lettres et pièces se rapportant à l'action de Morone. Mais toute cette documentation, abondante, est bien éclairée par des notes plus abondantes encore, d'une admirable information.

Parmi tant de sujets qui sont touchés dans le livre de M. Constant, on remarquera ce qui est dit du canon que l'on avait préparé sur la primauté

SAVANTS.

du pape. En 1563 (24 avril), l'empereur Ferdinand propose quatorze articles à la délibération de ses théologiens à Innsbruck, articles dont le huitième est: Quid tenendum de illo difficili articulo: Utrum papa sit supra concilium an concilium supra рарат? Les Allemands, par fidélité aux conciles de Bâle et de Constance, tenaient pour la souveraineté du concile. Les Français y tenaient tout autant, Sorbonne en tête. M. Constant nous donne, retrouvé par lui au Staatsarchiv de Vienne, un mémoire du cardinal de Lorraine (29 avril 1563) sur le titre de pastor ecclesiae universalis revendiqué pour le pape, mémoire qui réfute point par point une note du nonce à la cour impériale, Delfino : le mémoire est d'un vif intérêt, et la réfutation des arguments (quelques-uns pitoyables) de Delfino est fort solide, encore que le cardinal de Lorraine reconnaisse loyalement que « la nation gallicane a toujours reconnu la primauté du Siège apostolique de Rome, l'a toujours défendue, lui a toujours témoigné l'obéissance qu'elle lui devait ». Mais, pour lui, primauté du Siège apostolique s'accorde avec souveraineté du concile.

le

La discussion vint dans la congrégation particulière du concile, 11 juin. On discuta sur le canon proposé, le canon V, De sacramento ordinis, relatif à l'autorité des évêques et du papc. La rédaction suggérée par le cardinal de Lorraine n'ayant pas été acceptée, on proposa une rédaction nouvelle acceptée par Lorraine et par les Espagnols, et que les légats ne repoussaient pas, à quelques retouches près. Mais on s'aperçut vite qu'il était impossible, « à moins d'user de paroles équivoques et ambiguës », d'accorder les divergences « des Pères

6

au

divisés en trois factions, l'italienne, l'espagnole, et la française ». Il y eut une violente altercation entre le cardinal de Lorraine et le très ultramontain archevêque d'Otrante (Pierre | Antoine di Capua): le cardinal défendit la supériorité du concile sur le pape proclamée à Constance et à Bâle, et l'archevêque lui répondit avec l'assurance d'un homme qui se savait appuyé par les légats. Le 19 juin cependant, les légats annoncent cardinal Borromée qu'on a trouvé une formule de conciliation, à laquelle se rallie Lorraine avec les Espagnols, sinon l'archevêque d'Otrante et son groupe d'Italiens. Le 3 juillet, le pape Pie IV félicite Lorraine de son bon vouloir. Mais la formule ne rallia pas la majorité des Pères. Alors Lorraine conseilla d'omettre totalement les points en litige, et Pie IV accepta cette solution, pour ne pas compromettre l'issue du concile. C'est dans ces conditions que le concile de Trente n'a rien dit de l'autorité comparée du pape et des évêques.

Les documents publiés et annotés par M. Constant apportent là des informations précieuses pour l'histoire du gallicanisme.

Pierre BATIFFOL.

CH. HIRSCHAUER. La politique de Saint Pie V en France (1566-1572). Un vol. in-8°, vш, 96 p. et 107 de documents et tables. (Bibliothèque des Ecoles d'Athènes et de Rome, fascic. 120.), Paris, de Boccard 1922.

Après une introduction, où il étudie les directions générales de la politique de Pie V, M. Hirschauer expose l'état actuel de la bibliographie et des sources. Il aborde alors la politique particulière du pape en France,

fondée essentielle ment sur la défense du catholicisme : il ne suffit pas que les souverains professent l'orthodoxie ils doivent l'imposer à leurs sujets; c'est d'ailleurs pour eux une question d'intérêt personnel, car autrement, ils perdront «< ou leur trône ou la religion ».

Or, le moyen le plus efficace de parer au danger, plus redoutable que jamais à l'avènement du Pontife en 1566, c'est l'application immédiate et intégrale des décrets du Concile de Trente, qui viennent d'être proclamés en 1564. C'est aussi l'emploi de la force contre les hérétiques, puisqu'ils mettent en péril « le trône et la religion ».

Voici maintenant le rôle du pape en France, tel que le suit M. Hirschauer. Le gros effort consistait à amener Catherine à rompre délibérément avec les Huguenots et à se rapprocher de Philippe II, de façon à former avec le pape et l'empereur un grand parti catholique européen. Le souverain pontife n'y réussit jamais qu'à moitié. et momentanément, la reine mère aussi bien que son fils appliquant une politique, où se mêlaient étrangement une pensée parfois sincère de conciliation et des habitudes de tergiversation, de sorte que les guerres aussi bien que les traités ne terminaient rien. Surprise de Meaux en 1567; deuxième guerre en 1568; troisième en 1569-1570, suspendue plutôt que terminée par le traité de SaintGermain; puis rapprochement avec les protestants, projets d'intervention en Flandre, de mariage de Marguerite de Valois avec le futur Henri IV, voilà les principaux événements jusqu'à la mort de Pie V, le 1er mai 1572, à la veille presque de la Saint-Barthélemy.

Le pape ne cessa pas d'intervenir. Presque immédiatement après son élection, il envoie comme nonce Michel de La Torre, pour agir sur Catherine de Médicis publication du Concordat (qu'il n'obtient pas), poursuites contre les hérétiques, entente avec Philippe II. Après l'affaire de Meaux en 1567, c'est . le gouvernement royal lui-même qui cherche l'appui du souverain pontife, jusqu'au moment où la paix de Longjumeau le ramène à la tolérance officielle et apparente.

Une nouvelle phase s'ouvre avec le remplacement de La Torre par Frangipani. Ce personnage actif, éclairé, avisé, va intervenir énergiquement dans toutes les affaires. Pour n'en prendre qu'un exemple chez M Hirschauer, la bulle qu'il apporte autorisant la vente de biens ecclésiastiques jusqu'à concurrence de 150 000 livres de revenus encourage le gouvernement royal à reprendre la guerre en 1569. Le pape envoie même 4 500 gens de pied et 1500 cavaliers, qui combattent à Moncontour (3 octobre 1569). Mais ni cette victoire, ni les protestations du pape n'empêchent la signature de la paix à SaintGermain, le 8 août 1570. Tout était à relaire.

Pourtant Pie V n'abandonnait pas la lutte, où Frangipani suivait avec habileté ses instructions appel aux prédicateurs, à la compagnie de Jésus. pour défendre la cause de la foi, lutte contre le gallicanisme, efforts pour entraver le mariage de Marguerite avec le jeune Henri et pour obtenir que Charles IX soutienne Marie Stuart, voilà une partie de l'action diplomatique, de 1570 à 1572, où collabore avec Frangipani un nonce extraordinaire, Bramante, qui proteste une fois de plus contre la paix de Saint-Ger

main et ne craint pas de traiter très durement la reine elle-même et ses conseillers les plus intimes. La corde était trop tendue : « J'ai grand peur, disait Catherine, que ce bon homme de pape à la fin trouble toute la chrétienté. »

Alors paraît pour un moment Charles IX, qui veut agir indépendamment de sa mère et essaie de la conciliation avec les protestants. C'est le grand moment de Coligny et du projet de mariage navarrais. M. Hirschauer montre la gravité de la question et la persistance intransigeante de Pie V à refuser toute dispense. Il mourut avant que tout fût décidé irrévocablement (mai 1572).

On ne peut naturellement s'empêcher de songer au drame de la SaintBarthélemy si prochain, et M. Hirschauer se demande si « Pie V y eut quelque part ».

Le problème de la Saint-Barthélemy reste toujours discuté. Il semble toutefois certain que, si le massacre ne fut pas combiné longtemps à l'avance, la pensée en existait déjà chez plus d'un représentant des pouvoirs laïques Ou ecclésiastiques. M. Hirschauer cite un texte important de novembre 1570. Il s'agit d'une conversation entre l'archevêque de Sens et Bramante. L'archevêque dit : «Che il Ré ha humore con far carezze a qualch'uni di questi ugonotti confidenti dello Admiraglio et alli altri, per captiverseli et per denari et altre gratie fargli ammazzare lo Admiraglio et altri capi... (Cf. p. 61, 62, n. 2 ct la note 3 tout entière).

Ainsi on voit par M. Hirschauer combien l'intervention de Pie V fut active, constante, intolérante; il a mis pour la première fois en lumière ce fait considérable de notre histoire au

« PrécédentContinuer »