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par la coutume rédigée, et fournir à la Révolution le suprême moyen de libérer définitivement la propriété roturière.

Je m'en voudrais de terminer sans avoir signalé l'excellente revue passée, au chapitre 1, des Sources du droit parisien. C'est bien certainement la meilleure que nous ayons des textes juridiques qui ont précédé la rédaction officielle de 1510 et des opérations qui aboutirent à cette rédaction, puis à la réformation de 1580, opérée sous l'influence des travaux de du Moulin. Les pages si précises et si documentées consacrées à Jacques d'Ableiges, à ses sources et au classement de ses manuscrits, permettent d'espérer que l'auteur nous donnera un jour l'édition critique si désirable du Grand Coutumier de France, que le regretté Guilhiermoz n'a pas fournie après en avoir formé le dessein, et dont M. Giffard et lui semblent seuls, par leurs publications antérieures, désignés pour mener à bien l'entreprise.

Quand j'aurai dit enfin que ce volume est écrit en une langue à la fois ferme et souple, d'où l'exacte propriété des termes n'a pas banni l'élégante distinction ni la cadence mesurée d'une phrase équilibrée, le lecteur sera peut-être convaincu que l'érudition française et l'histoire du droit coutumier viennent de s'enrichir d'un beau et bon livre, qui épuise son sujet et pourrait être qualifié de définitif, si ce terme ne paraissait dérisoire dans la bouche de l'homme, toujours prêt à en abuser.

ROGER GRAND.

VARIÉTÉS.

DEUX RECUEILS DE DESSINS

DE LOUIS II BOULOGNE ET DE BOUCHARDON, CONSERVÉS A LA BIBLIOTHÈQUE DE L'INSTITUT“. L'extraordinaire floraison de médailles et de jetons, qui s'est épanouie principalement sous les règnes de Louis XIV et de Louis XV, ne laisse pas de nous étonner. Assurément la vitalité de la médaille moderne a regagné

(1) Lu à l'Académie des Inscriptions et des Belles-Lettres, dans la séance du 23 novembre 1923.

des forces depuis que Chaplain et Roty ont rénové un art glacé par les ans ; mais l'Etat paraît s'intéresser de moins en moins à des manifestations artistiques, semblables à celles dont les monarques des xvi et xvII° siècles ne se lassaient pas de suivre le développement méthodique et régulier.

On sait que tout événement de quelque importance, bataille, traité, ambassade, construction de monument, création d'école, et bien d'autres faits des annales journalières de l'ancien régime, se trouvaient perpétués dans des archives métalliques, dont l'existence, à côté d'autres archives, plus fragiles et conservées souvent à un seul exemplaire, n'était pas méprisable. Si les deux catégories de documents ne s'accordent pas toujours, on ne saurait s'en étonner beaucoup; c'est d'ailleurs le rôle éternel de l'Histoire de chercher à concilier la diversité de vues des chroniqueurs ou les contradictions de certains documents. On peut avancer cependant que, dans la majeure partie des cas, il y a une concordance satisfaisante et que l'image et l'inscription fournies par la médaille constituent un complément utile. Quant à l'intérêt de séries de ce genre pour l'histoire de l'Art, c'est, je crois, un sujet qu'il est superflu de développer.

Plusieurs auteurs ont cru pouvoir écrire l'histoire de deux longs règnes, en réunissant sinon toutes, du moins de nombreuses médailles, qui rappellent presque tous les événements. Le P. Claude-François Menestrier, qui publia, en 1689, son Histoire du roy Louis le Grand par les Médailles, eut à défendre la propriété de l'idée que revendiquaient les membres de la Petite Académie. Sans insister sur cette question de priorité, rappelons que l'Académie royale des Médailles et des Inscriptions publia en 1702 les médailles de Louis XIV avec des explications historiques. Une édition, complétée jusqu'en 1723), fut éditée par les soins du duc d'Antin. Nicolas Godonnesche (3) et Fleurimont donnèrent ensuite des recueils très artistiques du même genre pour le règne de Louis XV.

Comment s'élaboraient les projets de ces monuments métalliques, si variés et si nombreux?

L'histoire de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a déjà fait

(1) La préface, qui manque à la plupart des exemplaires, indique les collaborateurs de cet ouvrage, commencé en 1694.

(2) Elle était surtout l'œuvre de Gros de Boze.

(3) Godonnesche, qui était employé à la Monnaie des Médailles, s'était cru

SAVANTS.

autorisé par ses fonctions à publier un recueil dont les qualités artistiques sont bien au-dessus de l'exactitude scientifique. Sa publication souleva des réclamations dont j'espère raconter l'histoire, d'après un document inédit.

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connaître le but que s'était proposé Louis XIV en formant cette Compagnie, d'un petit nombre de lettrés, choisis dans l'Académie française. On sait qu'à l'origine ils s'assemblaient dans la bibliothèque de Colbert et que

celui-ci leur transmettait les ordres du roi.

Les premiers travaux de ce petit cénacle consistèrent à composer, tous les ans, des devises nouvelles pour les jetons du. Trésor royal, des Parties casuelles, des Bâtiments et de la Marine, auxquels on ajouta plus tard les jetons de diverses autres administrations "").

Puis, on entreprit l'histoire par les médailles; mais ce travail fut retardé considérablement par les consultations multiples que Colbert demandait à l'Académie, au sujet de la décoration de Versailles.

Louvois reconstitua la Petite Académie et y fit entrer Racine et Boileau. Presque aussitôt on commença de frapper des médailles de grand module, qui pendant longtemps portèrent le nom de Médailles de la grande Histoire. Sous le contrôleur général de Pontchartrain, la Petite Académie devint l'Académie royale des Inscriptions et Médailles. C'est alors que fut créée la série de médailles, d'un module plus petit et qui devait être la plus nombreuse. Coypel, premier peintre du roi, en dessinait les projets d'après les indications des Académiciens, qui se partageaient les sujets d'étude et revisaient ensemble la description des événements, lorsque ceux-ci devaient être commémorés par les médailles.

Le règlement, donné à l'Académie par le roi, le 16 juillet 1702, sur le plan proposé par l'abbé Bignon, étendit le champ d'action de la Compagnie; mais il eut cette conséquence que l'intime collaboration de tous les Académiciens subit peu à peu des modifications, lorsque ces savants s'attachèrent plus particulièrement à des recherches personnelles dans tous les domaines des sciences historiques. Finalement, la préparation des devises et le choix des sujets incombèrent à un seul homme et c'est de cette période, moins

(1) Ces jetons étaient destinés aux bourses données aux fonctionnaires, à l'occasion du jour de l'an. Sous Louis XV, l'Académie des Inscriptions recevait, du trésorier de chacune de ces administrations, une bourse de ces jetons, en remerciement de la composition des types et légendes.

2) Module de 18 lignes, qui correspond à un diamètre dépassant légèrement om, 040.

(3) Avant Antoine Coypel, Sébastien Leclerc, graveur du roi, fit de nombreux projets de médailles, dont un volume, conservé au British Museum, contient des dessins originaux portant des notes de Louis XIV, de M. de Pontchartrain et de divers membres de la Petite Académie.

(Déjà l'abbé Bignon, neveu de Pontchartrain, assuma plus d'une fois la charge de préparer tout le travail.

connue, de l'histoire de l'Académie que je me propose de tracer aujourd'hui quelques tableaux.

C'est le hasard d'ailleurs qui m'a conduit moi-même à modifier mes connaissances sur ce sujet. L'étude de deux recueils, conservés à la Bibliothèque de l'Institut ", m'a conduit à des remarques, qui apportent, à mon avis, quelque regain d'intérêt à un sujet que quelques érudits pouvaient prétendre connaître assez bien, encore qu'ils ne fussent pas tous d'accord sur certaines interprétations.

Les deux recueils inédits sont composés de 150 projets de médailles et de jetons, ceux-ci les plus nombreux, exécutés les uns aux crayons noir et blanc, rehaussés de lavis, et les autres au crayon de sanguine. Ces projets sont souvent accompagnés d'indications manuscrites, dont la plupart présentent un réel intérêt, puisqu'elles fournissent, pour plus de quatre-vingtdix pièces, le nom du graveur qui fut chargé d'exécuter le coin d'après le modèle fourni. A côté de graveurs relativement peu connus comme Ruck (2) et Mignot, d'autres artistes sont beaucoup plus réputés, comme Jean Le Blanc, François Marteau, Joseph-Charles Rottiers et Charles-Norbert Rottiers, Jean Duvivier et Benjamin Duvivier.

Du fait des mentions inscrites en marge des dessins de projets, qui ont presque tous été réalisés, le catalogue des œuvres connues de ces graveurs se trouve considérablement augmenté. Si, en effet, on trouve maints jetons où le droit, marqué le plus souvent d'un buste du roi ou de quelque autre personnage, laisse voir les initiales du graveur, il en est rarement de même pour le revers3), et il faut se garder de conclure que les deux côtés appartiennent au même artiste. Dans des cas très nombreux, on trouve associés des coins dûs à deux graveurs différents. Par économie de temps et d'argent, il convenait d'employer des coins qui avaient déjà servi : le nombre des têtes était par conséquent restreint. Si nos connaissances sont accrues notablement, puisque nous n'ignorons plus maintenant les graveurs de nombreux petits monuments dont les revers étaient muets le plus souvent, il faut toutefois examiner les sujets de ces revers en prenant garde que les graveurs n'ont fait que traduire les projets dessinés par des artistes plus

(1) Ils m'avaient été signalés spécialement par MM. Dehérain et Tremblot, qui préparent le catalogue des manuscrits de l'Institut.

(2) Le nom de cet artiste norvégien était orthographié de plusieurs manières.

(3) Il y a évidemment des exceptions; je puis citer par exemple un jeton du Trésor royal, pour 1737, qui porte, au revers, les initiales D. V., qui sont celles du graveur Jean Duvivier; un jeton de la Maison de la Reine, daté de 1741, etc.

célèbres. En effet, j'ai rappelé plus haut qu'Antoine Coypel avait dessiné les sujets des premières médailles de l'histoire métallique de Louis XIV. II continua sans doute jusqu'à sa mort (1722), et, en 1726, c'est sûrement Louis II Boulogne, qui remplit les fonctions de dessinateur de l'Académie. Louis II Boulogne ne traçait guère que des esquisses, assurément de bon style, mais qui laissaient aux graveurs une latitude d'interprétation. Un groupe de vingt-quatre projets de médailles et de jetons, conservés au Musée du Louvre, a permis aux rédacteurs du catalogue des dessins de ce musée de reconnaître le travail de plusieurs mains et de conclure que les esquisses aux crayons noir et blanc sur papier bleuté sont certainement de la main de Louis II Boulogne. On admettra que cet artiste a fait souvent préparer des projets de médailles et jetons par des élèves dont il retouchait quelquefois les œuvres.

Ces remarques valent pour la plus grande partie du recueil 1366 de la Bibliothèque de l'Institut, dont beaucoup de projets, tracés aux crayons noir et blanc, souvent sur papier bleuté, appartiennent en effet, presque tous, à la période pendant laquelle Louis II Boulogne fut le dessinateur en titre de l'Académie des Inscriptions.

Lorsqu'il mourut en octobre 1733, le paysagiste Jean Chaufourrier13, qui lui succéda, joua sûrement un rôle très effacé pendant deux années. Il semble que les dessins de jetons, exécutés de décembre 1733 à décembre 1735, ne soient pas tous de la même main. Plusieurs de ces projets, assez faibles d'ailleurs, motivèrent des observations, écrites en marge, et Chaufourrier, chargé en 1735, d'enseigner la perspective, abandonna évidemment les fonctions de dessinateur de l'Académie. C'est ici que je dois transcrire un passage de l'histoire de l'Académie, d'après l'édition de 1740. Lorsque le comte de Maurepas, petit-fils du Chancelier de Pontchartrain, eut pris place à l'Académie des Inscriptions, comme académicien honoraire :

«La première marque de son attention fut de substituer au simple dessinateur que l'Académie avoit eu depuis la mort de M. de Boullongne, premier peintre du Roi, un autre dessinateur, et l'un des plus excellens de l'Europe.

(4) C'est la date à laquelle furent exécutés les premiers dessins du recueil 1366 de la Bibliothèque de l'Institut. Et pour cette année-là précisément, nous savons que la dépense des jetons de la Maison du Roi montait à 75 000 livres (Mémoires du maréchal, duc de Richelieu, 1790, t. IV,

p. 159). On voit l'importance de ces. jetons fabriqués pour le jour de l'an. (2) Ces dessins sont relatifs à des événements de 1722 à 1733.

(3) Sa nomination fut annoncée à l'Académie par une lettre du duc d'Antin à Gros de Boze (26 nov. 1733).

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