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Qoçaïr Amra n'est pas seul de son espèce; un monument en ruines, découvert par une des expéditions archéologiques de l'Université de Princeton, lui est tout à fait semblable: c'est Ḥammâm eç-Çarakh, qui n'est pas très loin du premier; comme son nom l'indique, c'est encore un bain, « bâti lui aussi presque en plein désert » (p. 112); les deux plans sont d'une ressemblance frappante. Ils ont des voûtes en berceau, tandis qu'il eût été facile de trouver dans la Harra toute proche de belles et grandes dalles de basalte pour servir de couverture et de plafond plat. Il y a là l'indice d'un perfectionnement qui paraît bien avoir été introduit par les architectes syriens de l'époque oméyyade.

Un graffite arabe tracé sur les murs du château de Kharânè donne la date du 27 dhou'l-qa 'da 92 (septembre 711); cette construction remonte, en conséquence, au début du vII° siècle, mais il se peut qu'elle ait succédé à un monument plus ancien, car les quelques lettres grecques relevées en deux endroits semblent prouver le remploi de matériaux déjà utilisés. L'aspect de ce monument, entièrement différent du premier, montre que c'était une forteresse qui a pu être utilisée à l'occasion comme demeure d'un prince, comme lieu de refuge au cas de ces troubles si fréquents à cette époque.

Quant à Touba, c'est à Mechatta qu'il ressemble le plus : soubassements en pierres de taille et le reste en briques, même plan des chambres, voûtes à arc brisé et bâties par tranches, joints entre les briques faits en passant le doigt sur le mortier encore frais, portes surmontées de deux arceaux, air de famille entre les

sculptures ornemanistes. Comme on ne croit plus guère que Mechatta soit l'œuvre de Chosroès II Parwiz, et que l'on hésite entre les Ghassanides de Syrie, les Lakhmides de Hira et les Oméyyades, l'attribution de Toûba reste aussi incertaine que celle de son prototype.

Nous féliciterons très sincèrement

les courageux pionniers d'avoir mené à bien, malgré toutes les traverses, l'œuvre entreprise leur exploration jette des jours nouveaux sur des points controversés de l'archéologie syrienne aux vi et VIIIe siècles de notre ère. CL. HUART.

WLADIMIR FRENKEL. Pompei; nuova guida. In-12, Torre del Greco, Librairie Bernard-Frenkel.

M. DELLA CORTE. I nuovi scavi; Pompéi, chez l'auteur, 1924.

Les deux brochures dont les titres figurent ci-dessus sont d'un caractère bien différent. La première n'est qu'un guide à l'usage des visiteurs. sans aucune prétention, sinon d'être très exactement documenté, ce qui est un mérite pour des ouvrages de cette sorte. La partie la plus intéressante pour qui feuillette le volume dans son cabinet de travail est celle qui a trait aux nouvelles fouilles, autour desquelles on a fait la réclame tapageuse que l'on sait et, aussi, la conspiration du silence. Les résultats n'en sont encore connus que par bribes; il faudra bien qu'un jour ou l'autre elles soient publiées dans leur ensemble.

Nil durare potest tempore perpetuo dit un graffite qui provient justement. du quartier nouvellement déblayé.

Le travail de M. Della Corte est précisément consacré à ces nuovi scavi; mais c'est d'un point de vue tout par

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ticulier qu'il les examine. Avant tout, il se préoccupe d'établir qui étaient les habitants de chacune des demeures mises au jour, et cela, surtout, en interrogeant les graffites inscrits sur les murs des maisons, « les habitants étant les personnages dont les noms se lisent, à côté de vœux et d'appels électoraux, tracés sur les parois extérieures des édifices. » M. Della Corte a, en effet, trouvé cette méthode ingénieuse d'identifier les habitations pompéiennes; dans une série d'études curieuses « Case ed abitanti a Pompei » dont ce fascicule est le complément, il a pu déjà restituer à environ 500 pompéiens authentiques leurs maisons, leurs boutiques, leurs établissements industriels.

La nouvelle brochure contient quatre-vingt-dix numéros, qui, chacun, répondent à une inscription dont l'auteur a tiré un renseignement relatif à son sujet. C'est une étude précieuse pour qui s'intéresse à Pompéi et aux antiquités romaines privées, en général. Quand M. Della Corte aura, ainsi qu'il l'annonce, réuni en un volume tous ses articles sur les Case ed abitanti, dispersés aujourd'hui dans des revues qu'il est permis de ne pas posséder dans sa bibliothèque, il aura rendu à ses confrères, moins documentés que lui, un service signalé.

R. CAGNAT.

PAUL MONCEAUX. Histoire de la littérature latine chrétienne. 1 vol. in12, 176 pages, collection Payot, Paris, 1924.

Ce livre de proportions modestes, qui vient s'ajouter aux nombreux volumes déjà parus de la collection Payot, est un modèle du genre il se classe au tout premier rang des

ouvrages par lesquels s'est affirmé avec un éclat particulier, depuis la guerre, le génie vulgarisateur de la science française. En 176 pages in-12, l'éminent auteur de l'Histoire littéraire de l'Afrique chrétienne nous offre un tableau complet de la littérature latine chrétienne tableau qui est, dans le détail, d'une précision parfaite et d'une irréprochable exactitude, et qui, en même temps, est riche de vues d'ensemble, d'aperçus suggestifs, de jugements pénétrants. Une information des plus sûres, qu'on sent appuyée sur une connaissance directe et approfondie des textes; un résumé alerte, qui sait être substantiel sans être compact; un style simple et élégant, aussi heureux quand il s'agit de conter la vie agitée d'un Jérôme ou d'un Augustin que quand il faut définir en quelques traits leur génie : voilà ce qu'on trouve dans cet ouvrage d'une haute qualité. Une excellente bibliographie, sobre, mais où tout le nécessaire a sa place, complète l'exposé.

Il convient d'insister particulièrement sur le plan du livre; il est original et des plus significatifs : par une combinaison à la fois très simple et très ingénieuse du classement chronologique et de la répartition géographique, M. Monceaux introduit l'ordre et la clarté dans un ensemble des plus complexes, il nous fait saisir à merveille les parentés des œuvres, leurs différences et le sens historique de leur enchaînement. Il divise son sujet en trois grandes parties: Avant la paix de l'Eglise. Le siècle d'Augustin (313-430). Au milieu des Barbares (ve-VIIe siècles). Les circonstances historiques donnent une physionomie propre à la production littéraire de chacune de ces périodes : c'est ainsi qu'au temps des persé

cutions les relations de martyres et les ouvrages apologétiques dominent, tandis qu'après la paix de l'Église on remarque surtout, dans l'immense variété des œuvres, celles qu'inspire la nécessité de combattre les hérésies et de fixer le dogme. A l'intérieur de ces divisions chronologiques, les auteurs sont groupés par pays: Rome et l'Italie, la Gaule, l'Espagne, l'Afrique. Cette répartition géographique met en évidence l'idée maîtresse du livre à savoir que le génie propre des pays divers auxquels ont appartenu les écrivains chrétiens marque leur œuvre d'un caractère particulier. «< Tertullien, Cyprien, Arnobe, Optat et les Donatistes, Augustin même, seraient dépaysés hors d'Afrique. Ambroise et Jérôme, Boèce et Cassiodore, malgré les différences individuelles, sont également des Italiens; Léon le Grand et Grégoire le Grand, de purs Romains. Prudence a la grandiloquence raffinée des Espagnols de tous les temps. La plupart des Gallo-Romains sont bien de chez nous : ils voient les choses à la française. On distingue même entre eux des nuances curieuses, qui les rattachent plus spécialement à telle ou telle de nos provinces. Si Sulpice Sévère est un avocat de Toulouse, son ami Paulin dit « de Nole »>, mais enfant de Bordeaux, a toujours été un lettré de Bordeaux. Si Salvien est un Marseillais, Grégoire de Tours est un Tourangeau venu d'Auvergne et resté à demi Auvergnat » (p. 16).

On a dit et répété que la littérature latine chrétienne a puissamment aidé à sauver la culture antique; par contre, jamais on n'avait si fortement et finement mis en lumière la part qui lui revient dans la préparation des littératures nationales de l'Occident. Cette longue période de plus de quatre

cents ans, où les œuvres abondent et où ne manquent pas les écrivains de génie, a l'intérêt toujours renouvelé des époques de transition, au cours desquelles une aube nouvelle se lève sur les ruines d'un grand passé. Pour explorer ces quatre siècles d'histoire littéraire, on ne saurait souhaiter de guide plus brillant et plus sûr que le petit livre de M. Monceaux.

L.-A. CONSTANS.

Bernard LEIB. Rome, Kiev et Byzance à la fin du XIe siècle. Rapports religieux des Latins et des Gréco-Russes sous le pontificat d'Urbain II (10881099). Un vol. in-8°, xxxII-356 pages. Paris, Auguste Picard, 1924.

Quelles furent au lendemain du schisme de 1054, les rapports religieux des fidèles appartenant aux deux rites grecs et latins? C'est à cette question importante, négligée jusqu'ici, que répond le livre de M. Leib. A la suite d'une enquête très complète qui l'a conduit à examiner de près toute la littérature ecclésiastique, toutes les sources hagiographiques et historiographiques de la fin du XIe siècle, il démontre avec une grande richesse d'arguments que, loin d'avoir produit le déchirement qu'on imagine d'ordinaire, le schisme a été aux yeux des fidèles, des princes laïques, des moines et même dans une certaine mesure du clergé, comme nul et non avenu. En dépit du schisme, Urbain II et Alexis Comnène ont échangé des lettres amicales et le pape, laissant à l'arrièreplan les questions irritantes, s'est attaché à préparer la délivrance des églises d'Orient en suscitant la croisade. En dépit du schisme, les grands princes russes de Kiev n'ont cessé d'avoir avec l'Occident les rapports

les plus cordiaux, correspondant avec les papes, mariant leurs filles dans les pays scandinaves, en Pologne, en Allemagne, en France même, épousant eux-mêmes des princesses latines, permettant à des religieux latins de s'établir à Novgorod et à Kiev. En dépit du schisme, la translation des reliques de saint Nicolas de Myrrhes à Bari en 1087 est fêtée par les Russes, le même jour qu'en Occident et un office russe est composé en l'honneur de cet événement. En dépit du schisme enfin, les pèlerins circulent comme auparavant des Orientaux vont vénérer à Rome les tombeaux des apôtres, des Occidentaux sont bien accueillis à Constantinople. Dans les Deux-Siciles même, dont la juridiction ecclésiastique avait été le principal objet de conflit entre Rome et Constantinople, les princes normands inaugurent une politique large et tolérante grâce à leur protection et à leurs subsides, de nouveaux monastères basiliens se fondent en Italie et en Sicile et, tout en ramenant les évêchés sous la juridiction du pape, ils ne portent aucune atteinte au rite grec et pratiquent cette politique d'union qu'Urbain II fait triompher au concile de Bari en 1098. Enfin la croisade elle-même, qui devait engendrer entre Grecs et Occidentaux des haines inexpiables, montre par des événements caractéristiques le maintien de l'accord sur le terrain religieux. Dans Antioche et Jérusalem reconquises, les clergés et les fidèles. des deux rites fraternisent. En réalité le schisme a été imposé aux fidèles malgré eux pour le rendre définitif, il a fallu l'intransigeance des théologiens, leurs spéculations à perte de vue sur le Filioque et sur les azymes et surtout les haines de race

résultant du passage désordonné des croisés à travers l'empire et les conflits insolubles, dus aux ambitions politiques et territoriales des empereurs et des princes d'Occident.

Telle est la matière de ce livre qui comble véritablement une lacune de nos connaissances et nous permet de mieux apprécier l'évolution du schisme grec. Il est regrettable, qu'appuyé par une documentation aussi riche, dont il a fait d'ailleurs une étude consciencieuse, M. Leib n'ait pas présenté les faits d'une manière plus nette et plus systématique. Dans plusieurs chapitres il se laisse aller à la digression anecdotique qui fait perdre de vue le véritable sujet; le plan même qu'il a suivi n'est pas toujours très rigoureux et çà et là on relève des négligences et même des

erreurs.

Cependant son livre renferme des parties absolument neuves et on lira avec un intérêt spécial l'étude très complète, qu'il a pu faire, grâce à sa connaissance des ouvrages russes, des rapports très intimes entre la Russie du XIe siècle et l'Occident. II montre, grâce à de nombreux témoignages, que l'état des grands princes de Kiev et de Novgorod connaît beaucoup mieux l'Occident que ne le connaîtra la Russie moscovite du XVe siècle.

Louis BREHIER.

JEAN HAUST. Etymologies wallonnes et françaises. Un vol. in-8, xv et 353 pages. (Liège, impr. Vaillant-Carmanne; Paris, Champion, 1923; Bibliothèque de la Faculté de philosophie et lettres de l'Université de Liège, fasc. XXXII.)

M. Jean Haust, chargé avec MM. Aug. Doutrepont et Jules Feller

de préparer le Dictionnaire général des parlers romans de la Belgique, a réuni dans cet ouvrage quelques centaines d'études, pour la plupart étymologiques, dont la moitié environ avait déjà paru dans des revues. Les nouveaux articles attestent une fois de plus la forte culture linguistique et la rectitude de la méthode de l'auteur. Recherche diligente des formes du mot dans les divers pays et aux époques anciennes, rapprochements sémantiques, étymologie, à laquelle conduit souvent avec sûreté l'histoire du mot et son analyse phonétique, exposition concise et pertinente, il n'y a qu'à louer dans ces notices claires et solides, dignes du maître à qui le recueil est dédié, M. Antoine Thomas.

Encore que M. Haust n'ait pas eu l'intention de sortir du domaine qu'il s'est donné pour tâche d'explorer, il a parfois été conduit à s'occuper de mots français qui s'éclairent à la lumière de la dialectologie wallonne. Ces mots sont, pour m'en tenir au français moderne agio, façon d'agir cérémonieuse (du grec ayos & Deós, refrain des versets chantés le vendredi saint et accompagnés d'une génuflexion), anascote (du nom de la ville de Hondschoote, non d'Aerschoot), bagou (de même origine que bajoue), brelle (dérivé de braie), bure, puits de mine (à l'origine synonyme de buron, maison, mot d'origine germanique), canepin (peut-être du nom de la ville de Canope), chicaner (de *chakiner, lui-même de l'onomatopée chac), couet (masculin de couette, petite queue), coumaille (du liégeois coumaye, enclume), creton (diminutif du bas-allem. Kräte, ride, fronce, pli), dégingander (de l'allem. hangen ou henken), s'ébrouer (de l'anc. fr. esproer, d'origine germanique), écocheler (de

cocheau, tas), escot (même origine que anascote cité ci-dessus), horion (pour hurillon, forme dialectale du Nord, coup porté avec la tête ou sur la tête), hurluberlu (de hurlu, hérissé, et berlu, qui a la berlue), jard (anc. b. allem. gart, pointe), luron (de même origine. que l'allem. lauer), mijoter, mugot (composés dont le second élément se retrouve dans le wallon go, petite réserve de fruits), orin (du flamand neuring), pirouette (du bas allem. spirewippche, toton), pote (du moyen néerl. pôte, patte), potelé (même origine germanique que le liégeois pote, fossette dans le sol).

Aux notices étymologiques sont joints des articles d'un caractère plus général sur les noms dialectaux de la culbute, sur les mots germaniques à préfixe ge- qui ont passé en wallon, et sur le suffixe -aricius, exemples à ajouter à la liste établie pour la première fois par M. Antoine Thomas (Nouveaux essais, p. 62).

Le livre se termine par de précieux index, notamment un index analytique qui pour les initiés est une véritable synthèse des faits linguistiques dispersés dans l'ouvrage. L'auteur a tenu à faire précéder pieusement ces répertoires d'un extrait de sa leçon inaugurale du Cours de dialectologie wallonne donnée à l'Université de Liège le 18 novembre 1920, éloge de Ch. Grandgagnage, l'auteur du Dictionnaire étymologique de la langue wallonne, dont le premier fascicule parut en 1845. M. Haust, qui a eu très souvent à reprendre son devancier, n'a pas voulu clore son livre sans rendre cet hommage à l'un des érudits les plus distingués d'une génération qui n'a pas eu toujours conscience des difficultés et des exigences du travail qu'elle abordait avec un courage, une

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