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DAMIS.

Célébrons l'heureux sort dont vous allez jouir,
Et que nos violons viennent nous réjouir.
(On frappe à la porte de Damis.)

Qui frappe là si fort?

ÉRASTE.

SCÈNE VII.

DAMIS, ORPHISE, ÉRASTE, L'ÉPINE.

L'ÉPINE.

MONSIEUR, Ce sont des masques

Qui portent des crincrins' et des tambours de Basques. (Les masques entrent, qui occupent toute la place.)

ÉRASTE.

Quoi! toujours des fâcheux? Holà! Suisses, ici;
Qu'on me fasse sortir ces gredins que voici.

BALLET DU TROISIÈME ACTE.

PREMIÈRE ENTRÉE.

Des Suisses avec des hallebardes chassent tous les masques fâcheux, et se retirent ensuite pour laisser danser. SECONDE ENTRÉE.

Quatre bergers et une bergère ferment le divertissement.

1 Le mot crincrins, pour violons, ne se trouve dans aucun dictionnaire.

FIN DES FACHEUX.

SUR

LES FACHEUX.

On peut regarder cette pièce comme un tour de force : l'auteur fut averti trop tard par M. Fouquet, qui, dans la fête célèbre qu'il donna à Louis XIV, n'eut pas d'abord le projet de faire entrer un spectacle dramatique. Cette comédie, comme le dit Molière, fut conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours. Si l'on considère combien de portraits elle renferme, si l'on réfléchit qu'elle est écrite en vers, on se fera une idée de l'étonnante facilité de l'auteur.

La première conception des FACHEUX est puisée dans la neuvième satire d'Horace et dans la huitième de Regnier, qui, quoiqu'elle ne soit qu'une imitation de la pièce latine, présente des développements nouveaux dont Molière a profité, Le récit que fait Eraste dans la première scène embrasse presque tout le plan de la satire d'Horace.

I

«Je passois, dit Horace, dans la voie Sacrée, rêvant, « selon ma coutume, à des bagatelles dont j'étois tout occupé. «<< Un certain personnage, que je connois à peine, m'aborde, et « me prenant la main : Comment vous portez-vous, mon cher? « me dit-il. Très-bien, prêt à vous servir. Voyant qu'il me

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« suivoit: Que voulez-vous? lui dis-je. — Je veux cultiver <«< votre connoissance : je ne suis pas étranger aux lettres. «Tant mieux, j'en ai plus de considération pour vous;' et je « cherche à m'esquiver. Tantôt je presse le pas, tantôt je le « ralentis; quelquefois je dis un mot à mon valet : la sueur << inonde mes membres... Le bourreau m'accable de son ba<«< vardage : il loue la ville et la campagne de Rome. Comme je << ne lui réponds pas un mot : Je vois bien, dit-il, que vous « voulez m'échapper; mais cela ne vous sera pas facile : je ne «vous quitte pas, et je vous suivrai partout où vous irez.— « Épargnez-vous cette peine : je vais chez un de mes amis qui «ne vous est pas connu : il demeure fort loin d'ici, au-delà « du Tibre, près des jardins de César.—Je n'ai rien à faire, <«< réplique le traître ; je marche bien, et je vous suivrai, etc. »

Ce Fâcheux tourmente encore Horace : il a un procès; mais, au lieu d'aller s'en occuper, il aime mieux continuer ses importunités. Enfin, par bonheur, il rencontre sa partie adverse

Suaviter ut nunc est, inquam; et cupio omnia quæ vis.
Quùm assectaretur: Numquid vis? occupo. At ille:
Nôris nos, inquit ; docti sumus. Hic ego : Pluris
Hoc, inquam, mihi eris. Miserè discedere quærens,
Ire modò ociùs, interdum consistere, in aurem
Dicere nescio quid puero. Quùm sudor ad imos
Manaret talos. .

.....

Quùm quidlibet ille

Garriret, vicos, urbem laudaret ; ut illi

Nil respondebam : Miserè cupis, inquit, abire
Jamdudum video; sed nil agis; usquè tenebo:

Persequar. Hinc, quò nunc iter est tibi? Nil opus est te
Circumagi : quemdam volo visere non tibi notum;
Trans Tiberim longè cubat is, propè Cæsaris hortos.
Nil habeo quod agam, et non sum piger; usquè sequar te.

qui l'arrête en criant; et le poëte profite de la dispute pour s'échapper.

Molière délivre Eraste d'une manière qui se rapproche beaucoup de celle-ci : du reste, la peinture d'un Fâcheux qui accable en plein théâtre un honnête homme de ses importunités, et qui lui fait partager le ridicule dont il se couvre, est d'une force comique qu'on ne trouve pas au même degré dans le badinage élégant d'Horace.

Regnier, en suivant l'idée du poëte latin, y a joint un épisode qui paroît avoir fourni à Molière le nœud de sa pièce. Il suppose qu'un Fâcheux le suit jusque chez sa maîtresse, étale toute sa fatuité dans cette maison, et ne lui laisse pas un moment pour parler de son amour:

Ce fanfaron chez elle eut de moi cognoissance;
Et ne fut de parler jamais en ma puissance,
Lui voyant ce jour-là son chapeau de velours,
Rire d'un fascheux conte, et faire un sot discours;
Bien qu'il m'eût à l'abord doucement fait entendre
Qu'il étoit mon valet à vendre et à despendre;
Et, détournant les yeux: Belle, à ce que j'entends,
Comment! vous gouvernez les beaux esprits du temps!
Et, faisant le doucet de parole et de geste,

Il se met sur un lit, lui disant : Je proteste
Que je me meurs d'amour quand je suis près de vous;
Je vous aime si fort, que j'en suis tout jaloux.
Puis, rechangeant de note, il montre sa rotonde :
Cet ouvrage est-il beau? Que vous semble du monde ?
L'homme que vous savez m'a dit qu'il n'aime rien.
Madame, à votre avis, cejourd'hui suis-je bien?
Suis-je pas bien chaussé ? Ma jambe est-elle belle ?
Voyez ce taffetas, la mode en est nouvelle;
C'est œuvre de la Chine. A propos, on m'a dict
Que contre les clinquants le roi fait un édict.

Sur le coude il se met, trois boutons se délace.
Madame, baisez-moi : n'ai-je pas bonne grâce?
Que vous
êtes fâcheuse? A la fin on verra,

Rosette, le premier qui s'en repentira.

Riccoboni prétend mal à propos que l'idée des FACHEUX fut donnée à Molière par une farce italienne, intitulée : GLI INTERROMPIMENTI DI PANTALONE, dont voici le sujet. Le vieux Pantalon est amoureux d'une jeune fille qu'il tourmente sans cesse. Un valet de cette fille, dans le dessein de la débarrasser des poursuites du vieillard, imagine de faire venir successivement plusieurs personnages qui, sous différents prétextes, entretiennent Pantalon, et lui font manquer le rendez-vous que la jeune personne avoit été obligée de lui accorder. On voit que Pantalon n'a aucun rapport avec Éraste: d'ailleurs, les Fâcheux qui importunent ce vieillard ridicule ne sont que de misérables farceurs, tandis que Molière a profité de l'occasion pour mettre en scène des caractères extrêmement variés.

Il paroît que l'auteur, en traçant deux de ces caractères s'est rappelé une des plus jolies nouvelles de Cervantes. LE DIALOGUE DE DEUX CHIENS est celle où l'auteur espagnol a le mieux peint les mœurs de son temps, et relevé les travers de toutes les classes de la société. On voyoit déjà au commencement du dix-septième siècle de grands seigneurs s'occuper d'arts frivoles, et s'en glorifier plus que s'ils avoient fait des actions dignes de leur rang. Cervantes les attaque avec beaucoup de raison et de finesse. Un des interlocuteurs, après avoir parlé de la fable de L'ÀNE ET DU PETIT CHIEN, continue ainsi :

I <<< Il me semble que cette fable nous donne à entendre que

'Parecème que esta fabula nos dá á entender que el donayre y

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