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vu, être prise dans Scarron peut-être aussi Molière l'a-t-il puisée dans Rabelais.

I

« Sur ses vieux ans, dit cet auteur, Hanscarvel épousa la « fille du bailli Concordant, jeune, belle et fresque. Donc « advint, en succession de quelques hebdomades, qu'en devint « jaloux comme un tigre, et entra en soupçon qu'elle ne lu « étoit pas fidèle. Pour à laquelle chose obvier, lui faisoit << tout plein de beaux contes touchant les désolations advenues << par adultère, lui lisoit souvent les légendes des preudes <«< femmes, la preschoit de pudicité, lui fit un livre de louanges « de fidélité conjugale, détestant fort et ferme les ribaudes << mariées, etc. 2 »

Chrysalde, pour consoler Arnolphe, lui peint des prudes qui font le désespoir de leurs maris.

De ces femmes de bien

Dont la mauvaise humeur fait un procès sur rien,
Ces dragons de vertu, ces honnêtes diablesses,
Se retranchant toujours sur leurs sages prouesses,
Qui, pour un petit tort qu'elles ne vous font pas,
Prennent droit de traiter les gens du haut en bas.

Cette peinture est puisée dans Brantôme: «A aulcuns j'ai « oui dire que quelquefois pour les maris, il n'est si besoin << aussi qu'ils aient leurs femmes 'si chastes; car elles en sont si glorieuses, je dis celles qui ont ce don si rare, qué quasi « vous diriez qu'elles veulent dominer, non leurs maris seule<«ment, mais le ciel et les astres : voire qu'il leur semble, telle orgueilleuse chasteté que Dieu leur doive du re

«<par

<<< tour.

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1 L'expression de Rabelais no peut se conserver.

2 Tome III, chapitre XXVIII.

3 Dames galantes, discours 1er. V100

Molière a encore employé cette idée dans Amphitryon : Mercure dit à la prude Cléanthis:

Ne sois pas si femme de bien,

Et me romps un peu moins la tête.

Chrysalde, pour pousser Arnolphe à bout, et pour se moquer de lui, soutient une opinion singulière :

Encore un coup, compère, apprenez qu'en effet
Le cocuage n'est que ce que l'on le fait ;
Qu'on peut le souhaiter pour de certaines causes,
Et qu'il a ses plaisirs comme les autres choses.

I

Rabelais et Brantôme s'étoient permis cette plaisanterie basardée, mais qui devient très-dramatique dans la situation d'Arnolphe et de Chrysalde. «Il n'est pas, dit Rabelais, coquu <«< qui veut. Si tu es coquu, ergo ta femme sera belle ; ergo tu <«< seras bien traité d'elle; ergo tu auras des amis beaucoup; ergo <«<< tu seras sauvé. » Brantôme développe cette pensée : « Quand une femme, dit-il, est un peu galante, elle se rend «< plus aisée, plus subjecte, plus docile, craintive, et de plus << douce et agréable humeur, plus humble et plus prompte à « faire tout ce que le mari veult, et lui condescend en tout, «< comme j'en ai vu plusieurs telles qui n'osent gronder, ni <«< crier, ni faire des acariâtres, de peur que leurs maris ne les << menacent de leurs fautes. Bref, elles font ce que leurs maris « veulent. 2

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Chrysalde dit à Arnolphe :

Mais, comme c'est le sort qui nous donne une femme,

Je dis que l'on doit faire ainsi qu'au jeu de dés, etc.

Livre III, chap. XXVII XXVII.

2 Dames galantes, discours Ier. P. 1012

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il faut par

« la vie, dit Micion, il faut se conduire comme au jeu de dés: « si le point qui vous étoit nécessaire ne tombe pas, « votre adresse corriger celui que le sort vous a envoyé. Arnolphe, dans son désespoir, imagine un singulier moyen de se calmer :

Un certain Grec disoit à l'empereur Auguste, etc.

Ce trait comique est tiré d'une vieille comédie italienne de Pino di Cagli, intitulée : GLI INGIUSTI sdegni. «J'ai déjà (diť «< un des personnages) répété une fois l'alphabet grec pour «< apaiser ma colère. 2 »

Jean Bouchet, vieux poëte françois, avoit exprimé l'impatience d'une jeune fiancée de la manière suivante :

Et m'est avis, quand j'ois quelque cheval
Qui marche fier, qui fait les sauts et rue,
Que c'est le vôtre; alors je sors en rue,
Hativement, cuidant que ce soit vous.

3

Molière a tiré de cette idée naïve une excellente plaisanterie: Georgette, en parlant d'Agnès, dit à Arnolphe :

Elle vous croyoit voir de retour à toute heure;
Et nous n'oyions jamais passer devant chez nous.
Cheval, âne ou mulét qu'elle ne prît pour vous.

C'étoit ainsi qu'il s'approprioit les idées des anciens auteurs.

Illa vita hominum est, quasi cùm ludas tesseris :
Si illud quod maxumè opus est jactu, non cadit,
Illud quod cecidit fortè, id arte ut corrigas.

(ADELPHES, acte IV, scène VII.)

2 Ho detto gia una volta l'alfabeto greco per temperar l'ira. ( Atto III, scen. V.)

3 Épître IV de Bouchet.

Les critiques contemporains, et même ceux de nos jours, ont blâmé le denouement de L'ÉCOLE DES FEMMES. Il est vrai qu'il est inférieur à celui de l'ÉCOLE DES MARIS, l'un des meilleurs qui existent au théâtre. Mais, avant de juger si sévèrement un des chefs-d'œuvre de Molière, il faudroit peut-être réfléchir un peu sur la nature du poëme comique, et sur ce qui le distingue du drame et de la tragédie. Dans ces deux derniers genres, l'intérêt doit dominer : il faut que de scène en scène, d'acte en acte, cet intérêt augmente, et qu'avec vraisemblance on arrive à une catastrophe qui déchire le cœur ou calme ses agitations. L'objet de la comédie n'est pas le même : elle se borne à peindre les ridicules et les travers, à faire rire aux dépens de ceux qui en ont; et les préparations nécessaires pour amener un dénouement savamment combiné étoufferoient souvent le comique, et nuiroient aux développements où les mœurs sont retracées. C'est pourquoi Molière n'a généralement admis que des intrigues très-simples, et s'est peu inquiété de ses dénouements, quand il a eu la certitude de remplir son véritable objet. Le dénouement de L'ÉCOLE DES MARIS étoit indiqué par la fable: au lieu que celui de L'ÉCOLE DES FEMMES auroit eu besoin, pour être mieux amené, de plusieurs préparations qui, jetées dans diverses parties de l'ouvrage, en auroient retardé la marche, et auroient affoibli le comique des scènes charmantes d'Horace et d'Arnolphe.

Au reste, aucune pièce ne fut plus critiquée et plus louée que celle-ci : nous y reviendrons dans les réflexions sur les deux comédies suivantes.

LA CRITIQUE

DE

L'ÉCOLE DES FEMMES,

COMÉDIE

EN UN ACTE ET EN PROSE,

Représentée à Paris, sur le théâtre du Palais-Royal, le 1er juin 1663.

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