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SUR

L'IMPROMPTU DE VERSAILLES.

ON a

ON a vu, dans la vie de Molière, que Boursault, ayant cru se reconnoître dans le personnage du poëte Lysidas, composa LE PORTRAIT DU PEINTRE, pièce où il chercha à tourner en ridicule quelques vers de L'ÉCOLE DES FEMMES. Cette comédie, écrite avec assez d'élégance, mais dont l'ironie est foible et la plaisanterie sans sel, affligea beaucoup Molière, parce qu'elle servit en quelque sorte de point de ralliement à tous ses ennemis, qui étoient nombreux. Ses protecteurs et ses partisans, parmi lesquels on pouvoit compter les hommes les plus distingués de la cour, en parlèrent au roi, qui permit verbalement que l'auteur répondît à ses adversaires dans une comédie qui seroit jouée à la cour.

Molière, enhardi par cette marque inouïe de bienveillance, céda au désir de se venger, et nomma Boursault avec le plus grand mépris, quoique la pièce de ce dernier n'offrît aucune personnalité. L'IMPROMPTU DE VERSAILLES fut très-goûté : c'étoit une affaire de parti. Toute la jeunesse de la cour, excepté quelques marquis, voyoit avec plaisir qu'on attaquât les prudes, les précieuses et l'hôtel de Rambouillet, qu'elle regardoit comme la vieille cour. Cependant l'auteur, plus juste que ses partisans, retira sa pièce après le cours des premières

RÉFLEX. SUR L'IMPR. DE VERSAILLES. 491 représentations: il reconnut qu'il avoit eu tort de renouveler la licence du théâtre d'Athènes, dont on pouvoit se servir contre lui, ce qui ne manqua pas d'arriver. L'IMPROMptu de VerSAILLES ne parut donc plus, et ne fut imprimé qu'après sa

mort.

I

Cette pièce offre, comme LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES, l'indication de plusieurs caractères que l'auteur se proposoit de peindre. On peut considérer ces esquisses légères comme un trésor précieux : rien ne plaît tant aux amateurs et ne sert mieux à les instruire que les premières ébauches d'un homme de génie. On trouve aussi dans cette pièce des détails qui ne sont pas moins curieux. Molière s'y présente au milieu de sa troupe, gourmandant les uns, encourageant les autres, la tête remplie de soins minutieux, et cependant rêvant toujours à de grandes conceptions. Quand cette pièce n'offriroit que ce tableau singulier, elle seroit digne de toute l'attention des connoisseurs.

Parmi les caractères indiqués, il en est quelques-uns qu'il a traités par la suite, d'autres qu'il a laissés à ses successeurs. Le rôle de l'homme de cour, à peu près pareil à celui de LA CRITIQUE DE L'ÉCOLE DES FEMMES, fut développé dans LES FEMMES SAVANTES. La femme qui se croit tout permis, parce qu'elle est fidèle à son époux, servit de modèle à Cléanthis d'AMPHITRYON; et la prude qui, se bornant à sauver les арраrences, fait passer des galants pour des amis, trouva sa place dans LE MISANTHROPE.

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Les autres caractèrcs indiqués doivent être étudiés avec

Voyez, dans la Vie de Molière, ce qui est dit de l'Impromptu de l'hôtel de Condé, que Montfleury composa pour répondre à l'Impromptu de Versailles,

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soin par ceux qui veulent faire des comédies. Quelques-uns ont été traités : LE FLATTEUR n'a pas réussi à J. B. Rousseau : Destouches n'a pas tiré meilleur parti de L'AMBITIEUX; mais il a eu plus de succès lorsque, dans LE DISSIPATEUR, il a peint ces perfides adorateurs de la fortune qui vous encensent dans la prospérité, et vous accablent dans la disgrace. Il reste plusieurs caractères qui attendent qu'un auteur comique les mette en œuvre. Pourquoi, jusqu'à présent, n'en a-t-on pas profité? C'est peut-etre parce qu'il faudroit le génie de Molière pour les placer avantageusement sur la scène. Depuis cette époque, on a souvent peint des poëtes ridicules : mais on n'a jamais gardé la juste mesure; et leurs rôles n'ont pu passer que pour des charges. En effet, quel poëte ressemble à M. Desmazures?i Peut-on espérer que ceux qui ont des travers très-opposés à ceux de ces personnages se corrigent eu les voyant ? L'indication donnée par Molière est de tous les temps: tout auteur à prétention aura les défauts de son poëte; il faut, dit-il, marquer cet air pédant qui se conserve parmi le commerce du beau monde, ce ton de voix sentencieux, et cette exactitude de prononciation qui appuie sur toutes les syllabes, et ne laisse échapper aucune lettre de la plus sévère orthographe.

On remarque dans cette pièce la prétention qu'avoit Molière à bien jouer la tragédie. Il contrefait les principaux acteurs du théâtre de l'hôtel de Bourgogne, et se moque de leur jeu maniéré. On ne peut savoir aujourd'hui jusqu'à quel point sa critique étoit juste ce dont on est sûr, c'est que sa troupe étoit hors d'état de lutter avec sa rivale dans le genre sérieux. Il ne tarda pas à sentir les conséquences de la satire personnelle qu'il s'étoit permise: comme il prêtoit le flanc par

■ Fausse Agnès

I

une prétention mal fondée, on ne manqua pas de se moquer de la manière dont il jouoit Nicomède, rôle dans lequel il se flattoit d'exceller. Au reste, la véritable cause de la haine qui existoit entre les deux troupes venoit de leur rivalité. Dès le moment où Molière s'établit à Paris, l'hôtel de Bourgogne en conçut de l'ombrage; et les succès toujours croissants du nouveau théâtre ne servirent pas à dissiper cette crainte. Ils critiquent mes pièces, dit Molière avec beaucoup de finesse; et Dieu me garde d'en faire jamais qui leur plaisent: ce seroit une mauvaise affaire pour

moi.

On trouve dans cette comédie un passage assez singulier; c'est un petit dialogue entre Molière et sa femme. Il étoit marié depuis un an et demi; et sans doute il n'avoit plus pour cette jeune personne les empressements et les soins d'un amant. Mais devoit-il se représenter la traitant assez mal, et faire entrevoir dans sa réponse qu'elle pourroit se venger? Je n'ose affirmer que ce passage ne soit pas de Molière, quoiqu'il me semble contraire à son caractère jaloux et réservé. Mais ne pourroit-on pas former une conjecture vraisemblable? La pièce ne fut imprimée qu'après sa mort: on étoit alors indigné de la conduite que sa femme avoit tenue avec lui; on exagéroit ses torts; on faisoit courir des libelles contre elle; son second mariage alloit augmenter cette rumeur. Il seroit permis de soupçonner que cette femme, voulant se justifier, fit insérer ce passage dans L'IMPROMPTU DE VERSAILLES, afin de montrer que son premier mari la traitoit durement, et la mettoit dans le cas de lui faire craindre la différence qu'il y avoit de ses manières aux civilités des galants. Cette conjecture, à laquelle ce

Voyez Vie de Molière.

pendant on n'attache aucune importance, serviroit à expliquer la raison d'une disconvenance qu'on a peine à imputer à un homme tel que Molière, et s'accorderoit avec le caractère de sa femme, qui, comme on le sait, ne manquoit ni de finesse ni d'esprit.

FIN DU SECOND VOLUME.

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