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Done Ignès de son cœur avoit reçu l'hommage,
Et
des liens aussi fermes que doux,
que, par
L'amitié vous unit cette comtesse et vous,
Son secret révélé vous est une matière

A donner à vos voeux liberté tout entière;
Et vous pouvez sans crainte à cet amant confus
D'un devoir d'amitié couvrir tous vos refus.

DONE ELVIRE.

Il est vrai que j'ai lieu de chérir la nouvelle
Qui m'apprit que don Sylve étoit un infidèle,
Puisque par ses ardeurs mon cœur tyrannisé
Contre elles à présent se voit autorisé,
Qu'il en peut justement combattre les hommages,
Et, sans scrupule, ailleurs donner tous ses suffrages.
Mais enfin quelle joie en peut prendre ce cœur,
Si d'une autre contrainte il souffre la rigueur;
Si d'un prince jaloux l'éternelle foiblesse
Reçoit indignement les soins de ma tendresse,
Et semble préparer, dans mon juste courroux,
Un éclat à briser tout commerce entre nous?

ÉLISE.

Mais, si de votre bouche il n'a point su sa gloire,
Est-ce un crime pour lui que de n'oser la croire?
Et ce qui d'un rival a pu flatter les feux
L'autorise-t-il pas à douter de vos vœux?

Non, non,

DONE ELVIRE.

de cette sombre et lâche jalousie

Rien ne peut excuser l'étrange frénésie ;
Et par mes actions je l'ai trop informé
Qu'il peut bien se flatter du bonheur d'être aimé.
Sans employer la langue, il est des interprètes
Qui parlent clairement des atteintes secrètes :
Un soupir, un regard, une simple rougeur,
Un silence est assez pour expliquer un cœur.
Tout parle dans l'amour; et sur cette matière
Le moindre jour doit être une grande lumière,
Puisque chez notre sexe, où l'honneur est puissant,
On ne montre jamais tout ce que
l'on ressent.

J'ai voulu, je l'avoue, ajuster ma conduite,
Et voir d'un oeil égal l'un et l'autre mérite :
Mais que contre ses vœux on combat vainement,
Et
que
la différence est connue aisément
De toutes ces faveurs qu'on fait avec étude,
A celles où du cœur fait pencher l'habitude!
Dans les unes toujours on paroît se forcer;
Mais les autres, hélas! se font sans y penser,
Semblables à ces eaux si pures et si belles
Qui coulent sans effort des sources naturelles.
Ma pitié pour don Sylve avoit beau l'émouvoir,
J'en trahissois les soins sans m'en apercevoir;
Et mes regards au prince, en un pareil martyre,
En disoient toujours plus que je n'en voulois dire.

ÉLISE.

Enfin si les soupçons de cet illustre amant,

Puisque vous le voulez, n'ont point de fondement,

Pour le moins font-ils foi d'une âme bien atteinte;
Et d'autres chériroient ce qui fait votre plainte.
De jaloux mouvements doivent être odieux,
S'ils partent d'un amour qui déplaît à nos yeux :
Mais tout ce qu'un amant nous peut montrer d'alarmes
Doit, lorsque nous l'aimons, avoir pour nous des charmes;
C'est par-là que son feu se peut mieux exprimer;

Et plus il est jaloux, plus nous devons l'aimer.
Ainsi, puisqu'en votre âme un prince magnanime...

DONE ELVIRE.

Ah! ne m'avancez point cette étrange maxime :
Partout la jalousie est un monstre odieux;
Rien n'en peut adoucir les traits injurieux;

Et plus l'amour est cher qui lui donne naissance,
Plus on doit ressentir les coups de cette offense.
Voir un prince emporté, qui perd à tous moments
Le
respect que l'amour inspire aux vrais amants;
Qui, dans les soins jaloux où son âme se noie,
Querelle également mon chagrin et ma joie,
Et dans tous mes regards ne peut rien remarquer
Qu'en faveur d'un rival il ne veuille expliquer......!
Non, non, par ses soupçons je suis trop offensée,
Et sans déguisement je te dis ma pensée :

Le prince don Garcie est cher à mes désirs,

n

peut d'un cœur illustre échauffer les soupirs;
Au milieu de Léon on a vu son courage
Me donner de sa flamme un noble témoignage,
Braver en ma faveur les périls les plus grands,

M'enlever aux desseins de nos lâches tyrans,
Et, dans ses murs forcés, mettre ma destinée
A couvert des horreurs d'un indigne hyménée:
Et je ne cèle point que j'aurois de l'ennui
Que la gloire en fût due à quelque autre que lui;
Car un cœur amoureux prend un plaisir extrême
A se voir redevable, Élise, à ce qu'il aime;

Et sa flamme timide ose mieux éclater
Lorsqu'en favorisant elle croit s'acquitter.
Oui, j'aime qu'un secours qui hasarde sa tête
Semble à sa passion donner droit de conquête;
J'aime que mon péril m'ait jetée en ses mains,
Et si les bruits communs ne sont pas des bruits vains,
Si la bonté du ciel nous ramène mon frère,

Les vœux les plus ardents que mon cœur puisse faire,
C'est que son bras encor sur un perfide sang

Puisse aider à ce frère à reprendre son rang,

Et
par d'heureux succès d'une haute vaillance
Mériter tous les soins de sa reconnoissance.
Mais avec tout cela, s'il

pousse mon courroux,
S'il ne purge ses feux de leurs transports jaloux,
Et ne les range aux lois que je lui veux prescrire,
C'est inutilement qu'il prétend done Elvire :

L'hymen ne peut nous joindre; et j'abhorre des noeuds Qui deviendroient sans doute un enfer pour tous deux. ÉLISE.

Bien que l'on pût avoir des sentiments tout autres,

C'est au prince, madame, à se régler aux vôtres;

Et dans votre billet ils sont si bien marqués,

Que, quand il les verra de la sorte expliqués...

DONE ELVIRE.

Je n'y veux point, Élise, employer cette lettre;
C'est un soin qu'à ma bouche il me vaut mieux commettre;
La faveur d'un écrit laisse aux mains d'un amant
Des témoins trop constants de notre attachement :
Ainsi donc empêchez qu'au prince on ne la livre.
ÉLISE,

Toutes vos volontés sont des lois qu'on doit suivre.
J'admire cependant que le ciel ait jeté

Dans le goût des esprits tant de diversité,

Et que ce que les uns regardent comme outrage
Soit vu par d'autres yeux sous un autre visage.
Pour moi, je trouverois mon sort tout-à-fait doux
Si j'avois un amant qui pût être jaloux;
Je saurois m'applaudir de son inquiétude ;
Et ce qui pour mon âme est souvent un
C'est de voir don Alvar ne prendre aucun souci...

DONE ELVIRE.

peu

Nous ne le croyions pas si proche; le voici.

SCÈNE II.

rude,

DONE ELVIRE, DON ALVAR, ÉLISE.

DONE ELVIRE.

VOTRE retour surprend : qu'avez-vous à m'apprendre? Don Alphonse vient-il? a-t-on lieu de l'attendre?

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