Images de page
PDF
ePub

Par lui de mes serments je me sens détachée :

Vos plaintes, vos respects, vos douleurs m'ont touchée; J'y vois partout briller un excès d'amitié,

Et votre maladie est digne de pitié.

Je vois, prince, je vois qu'on doit quelque indulgence
Aux défauts où du ciel fait pencher l'influence;
Et, pour tout dire enfin, jaloux ou non jaloux,
Mon roi, sans me gêner, peut me donner à vous.

D. GARCIE.

Ciel, dans l'excès des biens que cet aveu m'octroie,
Rends capable mon cœur de supporter sa joie!

D. ALPHONSE.

Je veux que cet hymen, après nos vains débats,
Seigneur, joigne à jamais nos cœurs et nos États.
Mais ici le temps presse, et Léon nous appelle;
Allons dans nos plaisirs satisfaire son zèle,
Et, par notre présence et nos soins différents,
Donner le dernier coup au parti des tyrans.

FIN DE DON GARCIE DE NAVARRE.

SUR

DON GARCIE DE NAVARRE.

I

La jalousie est une des passions les plus propres à réussir au théâtre. Molière essaya pour la première fois de la peindre dans cette pièce; 1 mais il échoua; et le peu de succès de son entreprise lui fit deviner les moyens de présenter cette passion sous les véritables couleurs qu'elle doit avoir dans la comédie. La jalousie est une passion très-sérieuse : elle fait le tourment de ceux qui en sont atteints: tout est pour eux matière de soupçons et d'inquiétudes; et l'aveuglement qui les égare leur fait souvent commettre des injustices mais ce travers, qui rend aussi malheureux ceux qui s'y abandonnent que celles qui en sont l'objet, n'est pas susceptible d'intéresser au théâtre comique: on ne prend aucune part aux visions qui en sont la suite; et l'homme jaloux ne peut même espérer d'être plaint.

Le ridicule de cette passion est donc le seul côté par lequel on peut la présenter avec succès sur la scène. Aussi Molière, éclairé par l'accueil froid qu'on fit à DON GARCIE, ne peignit plus la jalousie que dans des rôles comiques. Sganarelle et Arnolphe 2 offrirent ce travers dans toute son énergie: on ne

I

Sganarelle, dans le Cocu imaginaire, n'est point véritablement jaloux; il n'est pas amoureux de sa femme.

2 École des Maris, École des Femmes.

plaignit point le tuteur d'Isabelle d'être entièrement trompé dans son espoir, et de se voir joué et dupé par l'adresse d'une jeune personne. Le sort d'Arnolphe éprouvant l'ingratitude d'une orpheline qu'il a recueillie n'inspira pas plus d'intérêt : on s'amusa de leurs précautions inutiles, des piéges qui leur étoient tendus, et du peu de succès de leur prévoyance. Le Misanthrope, amoureux et jaloux, quoique plus noble, ne produisit pas un autre effet on estima sa franchise et sa loyauté, mais on se moqua de sa passion pour Gélimène; et sa jalousie, exprimée avec la même force que celle de don Garcie, fit une sensation très-différente, parce que la situation d'Alceste est constamment comique.

Cependant LE PRINCE JALOUX, tout défectueux qu'il est pour la conception, annonce un grand maître. Ce caractère, parfaitement soutenu, présente les intervalles d'emportement et de douceur qui lui sont naturels : tantôt aux genoux de sa maîtresse, tantôt l'accablant des injures les plus violentes, don Garcie ne connoît aucune mesure entre une confiance sans bornes et une méfiance outrageante. Son rôle est plein de chaleur et d'énergie: on voit que l'auteur avoit éprouvé cette terrible passion dont il faisoit la peinture. A côté de ce personnage il a eu l'art de placer un vil flatteur qui nourrit la passion de son maître par de faux rapports : ce rôle de don Lope offre un tableau très-curieux du manége de la cour à cette époque : il est malheureux qu'il ne soit pas plus développé.

La jalousie de don Garcie est fondée sur trois motifs assez raisonnables, et qui par cela même produisent moins d'effet. Don Lope lui apporte un billet déchiré dont il interprète le sens contre Elvire; et ce n'est que lorsque celle-ci lui prouve sa fidélité par l'autre partie du billet qu'il cesse de la soup

çonner. L'idée de cette méprise a été employée d'une manière très-heureuse par M. de Voltaire dans le conte de Zadig. Le second motif de jalousie paroît trop commun: c'est tout simplement l'arrivée d'un prince qui n'est pas attendu. Le troisième est plus piquant, et fournit une situation dramatique. Une femme déguisée en homme va chez Elvire la porte est ouverte; et don Garcie les voit s'embrasser tendrement. Il entre en fureur : un de ses confidents lui dit en vain qu'il ne faut pas s'en rapporter aux apparences, il s'écrie qu'il a tout vu par ses yeux, et son emportement augmente par la contradiction. Si cette situation, au lieu d'être sérieuse, eût été prise du côté comique, il y a lieu de présumer qu'elle auroit relevé la pièce, dont le dénouement est froid et languissant.

Molière transporta, dans la scène du MISANTHROPE où ce personnage fait éclater sa jalousie, plusieurs morceaux de deux scènes de DON GARCIE. On distingue principalement le commencement de cette tirade:

Oui, oui, je l'ai perdu lorsque dans votre vue, etc. l'emportement d'Alceste:

C'est une trahison, c'est une perfidie, etc.

Et ce retour si naturel :

Ah! que vous savez bien ici contre moi-même
Ingrate, vous servir de ma tendresse extrême!

[ocr errors]

Cette scène, dans LE MISANTHROPE, est toujours fort applaudie; pourquoi ne produisit-elle pas le même effet dans LE PRINCE JALOUX? C'est que don Garcie est jaloux d'une femme vertueuse dont il cause injustement le malheur, tandis qu’Alceste aime une coquette qui se moque de lui, qui d'un coup d'œil le désarme, et qui ne s'effraie pas de ses emportements.

La scène du PRINCE JALOUX tient au genre du drame; celle du MISANTHROPE est de l'excellente comédie.

L'auteur transporta aussi dans AMPHITRYON quelques vers très-heureux du PRINCE JALOUX. Don Garcie implore sa grâce d'Elvire, et lui dit qu'il mourra si elle ne la lui accorde. Elvire attendrie répond:

Qui ne sauroit hair, ne peut vouloir qu'on maure.

Alcmène fait la même réponse à Jupiter qui sollicite le pardon des torts qu'elle lui suppose.

L'emploi de tous ces vers dans d'autres pièces prouve que Molière avoit entièrement renoncé à celle-ci, et que le jugement du public lui paroissoit juste. Elle ne fut imprimée qu'après sa mort. On a prétendu qu'il l'avoit imitée d'un auteur espagnol nommé CICOGNINI: il nous a été impossible de nous procurer l'ouvrage de cet auteur, dont il n'est fait mention dans aucune biographie.

« PrécédentContinuer »