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maintien de son autorité, et que les dissidens compromettent la paix publique par leur séparation religieuse, et l'autorité souveraine par l'adoption d'un culte qu'elle ne protége point. Mais c'est précisément parce que le prince doit veiller au bien-être de ses sujets qu'il doit être juste pour tous, et leur répartir également sa protection. Or, le prince ne serait-il pas, à juste titre, taxé d'iniquité par ceux auxquels il ne permettrait pas de suivre l'impulsion de leurs cœurs? Serait-elle également distribuée la protection qu'on étendrait à tous les adeptes d'une croyance, et qu'on retirerait aux partisans d'une autre croyance? Ah! si le prince veille avec des yeux père au bonheur de ses sujets, qu'il ne craigne ni sédition ni révolte celui-là doit redouter les fureurs civiles qui déracine les barrières religieuses. L'autorité du prince ne doit jamais envahir le domaine de la conscience; elle devient usurpatrice aussitôt qu'elle a franchi les limites de sa juridiction politique : résister à une aggression de cette nature est un droit sacré. Le prince qui veut régler les consciences de ses sujets sur la sienne ressemble à ce tyran de l'antiquité qui assujétissait les membres de ces victimes aux dimensions de son lit funèbre. Son oppression est, en quelque sorte, plus condamnable encore, parce qu'elle s'exerce sur une chose plus sainte : l'oppresseur de l'ame est criminel envers Dieu, qui n'a fait cette puissance invisible que pour la soustraire aux atteintes de l'homme. Qu'a de commun, d'ailleurs, le langage de la loi avec le sentiment de la conscience? La loi ordonne, tandis que la conscience demande la raison de croire. La loi punit tandis que la conscience demande à être convaincue. Le pouvoir humain peut frapper le cœur, comme il peut dé

chirer les lèvres, mais la conscience, comme la parole, ne peuvent être ni frappées ni déchirées. Enfin, en supposant que la religion du souverain fût évidemment la meilleure, en résulterait-il qu'il dût l'imposer à ses sujets? Non, sans doute. Le prince peut-il, en vertu de lois politiques, exiger de ses sujets la délicatesse, la franchise, la discrétion, la pitié, toutes ces vertus d'autant plus aimables qu'elles ne sont pas obligatoires, toutes ces vertus qui font de la vie de l'honnête homme un spectacle digne des cieux ?

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Conséquences de la liberté des cultes.

par

Après avoir renversé les objections des adversaires de la liberté des cultes, et avoir établi que tout Gouvernement, tant pour son honneur que dans son intérêt, devait la reconnaître, nous avons à déterminer les conséquences nécessaires de la reconnaissance de ce principe. Outre les maximes de la morale, chaque religion a des dogmes et des cérémonies; les dogmes sont accueillis la croyance, et les cérémonies par la piété des fidèles. Toute religion a encore des organes pour faire connaître ses dogmes, et des mandataires pour veiller à la solennité de ses cérémonies, ce sont les ministres du culte. Toute religion a enfin des temples où elle réunit ses sectateurs, afin de fortifier leur foi et de réchauffer leur piété. Telles sont les conditions d'existence d'un culte, et il sera libre, s'il a le droit sous ces différens rapports de maintenir son indépendance. Il résulte de ce que nous venons de dire que chaque religion devient une puissance distincte dans l'État, puisqu'elle exige une fidélité et une obéissance spéciales, et qu'il est impossible de considérer

comme étant spirituel seulement le pouvoir quelconque dont les dépositaires et les sujets sont des hommes. Il en résulte, en second lieu, qu'au milieu de la grande famille qui compose la nation se trouvent des hommes qui s'élèvent au-dessus des autres par les liens plus forts qui les attachent à la Divinité; des hommes qui, en se disant les représentans des Dieux sur la terre, peuvent vouloir se mettre au-dessus des lois civiles. Il faut donc déterminer et limiter en peu de mots l'action du Gouvernement et quant à la religion et quant aux prêtres; et en même temps celle de chaque religion, soit par rapport à l'État, soit par rapport aux autres cultes.

« Toutes les religions doivent être protégées par l'État, mais aucune d'elles ne doit jamais le protéger. Quelque grand que puisse être en certaines occasions le secours à attendre du pouvoir religieux, un Gouvernement légitime ne le réclamera point. Si vous confiez, en effet, même pour peu de temps, le dépôt de l'autorité à ceux qui ne connaissent d'autre moyen de salut que dans l'unité de croyance et dans le despotisme de la foi, vous livrez à leur plus cruel ennemi la liberté individuelle et l'indépendance de la pensée, et il n'est rien au monde qui puisse balancer un danger aussi grand. Il y a incompatibilité absolue entre un pouvoir qui est essentiellement exclusif et intolérant et un pouvoir qui se prête, par sa nature, aux besoins de la société et au bonheur de chaque individu. Donner le moindre accès à l'autorité religieuse dans l'organisation civile, c'est, dans l'hypothèse la moins défavorable, commencer d'interminables débats, qui auront pour résultats certains l'oppression de quelques-uns et le malaise de tous.

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Et que ces considérations sont plus puissantes si l'on compte plusieurs religions dans l'État! La crainte qu'inspire aux autres cultes la religion dominante n'a pas seulement pour motifs le danger d'une usurpation prochaine et la perspective de discordes éternelles, mais bien plutôt la présence imminente de la destruction et de la mort. Livrez les dissidens aux membres d'une religion souveraine, et le glaive sera suspendu sur leurs têtes; et les flammes du bûcher apprendront bientôt au monde en quelles mains se trouve la puissance. Entendez les orateurs d'une opinion dogmatique, ouvrez, au hasard, leurs livres de doctrines, et osez ensuite confier la main de justice à des hommes qui regardent comme ennemis de Dieu ceux qui ne pensent pas comme eux, qui traitent leurs prières de blasphêmes, et appellent iniquités et sacriléges les cérémonies du culte qu'ils ont condamné. Concluons donc qu'il y aurait danger imminent pour les dissidens, et qu'il n'y aurait sécurité pour personne, si une religion saisissait le sceptre de la puissance. Mais, si l'État doit repousser les ministres des religions, lorsqu'ils se présentent sous cette seule qualité, du timon des affaires publiques, il n'en résulte pas qu'il puisse leur refuser aucun des droits qui sont garantis aux autres citoyens. Il ne peut y avoir d'exception légitime contre personne. Néanmoins, comme le ministre d'un culte exerce un pouvoir public; comme la liberté civile doit être, à son égard, celle d'instruire et d'enseigner, il est évident qu'il doit à son tour une garantie pour le surcroît de puissance dont il est revêtu. La loi sacrée de l'égalité serait violée si lęs ministres des cultes avaient moins de droit que les autres citoyens; elle le serait également si ces hommes n'étaient

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pas soumis aux mêmes conditions que celles imposées aux citoyens chargés de fonctions publiques. Pour résumer en deux mots ce que nous venons de dire, les élémens constitutifs du pouvoir religieux répugnent essentiellement à la nature du pouvoir politique: la puissance religieuse doit donc rester entièrement étrangère à l'administration du Gouvernement.

Maintenant, allons plus loin et prouvons que nonseulement le pouvoir religieux ne doit avoir aucune action sur le pouvoir politique, mais encore qu'il est tenu à souffrir, de la part de ce dernier, un droit de surveillance. La raison en est simple et évidente: un culte ne représente que les fidèles d'une croyance, l'État au contraire représente l'universalité des citoyens. D'ailleurs un culte n'a pas pour dernières limites les frontières d'une nation, il s'étend d'un peuple à un autre, il peut servir à entretenir des relations dangereuses avec un pays ennemi, il peut reconnaître dans des Souverains étrangers une suprématie menaçante. Or, il est de l'intérêt d'un peuple la trahison ne se glisse point à l'ombre de l'autel, et que la sédition ne se prêche pas dans les temples. Malheur à l'État dans lequel on verrait s'introduire des hommes orgueilleux et rampans, audacieux et lâches, au maintien d'une douceur hypocrite et au cœur de tigre; des hommes qui braveraient la puissance publique dont ils se diraient les soutiens, et l'opinion nationale qu'ils chercheraient à tromper à l'aide de déguisemens et d'un faux nom; des hommes qui annonceraient une morale perverse et qui ourdiraient d'immondes intrigues; des hommes qui, n'appartenant à aucune famille, à aucune nation, à aucun pays, seraient le fléau et la lèpre des sociétés. Ce

que

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