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la plus solide des toitures. Ces procédés de construction donnent aux villages une sorte d'aspect urbain. Ils se succèdent nombreux dans la vallée, formant comme autant d'unités cohérentes en rapports faciles De distance en distance, un bourg un peu plus grand ou une ville se détache de la colline et vient empiéter sur les précieuses terres de la vallée; mais au-dessus ou à peu de distance on reconnaît l'éperon ou le promontoire dont la position stratégique a créé le château, le vieil oppidum dont la ville est sortie : ainsi à Bar-surAube, Bar-sur-Seine, Bar-le-Duc, Gondrecourt, etc.

Ce pays bâtisseur a une vie urbaine limitée comme ses ressources, mais ancienne et fortement établie. On ne le soupçonnerait pas, d'après la faible densité générale de sa population. Remarquons toutefois que les ressources qu'il possède en propre et dont il peut disposer en faveur des régions voisines, sont de celles qui nécessitent par leur volume et leur poids un degré avancé d'outillage commercial. Ce sont les bois, les fers, les pierres à bâtir, les vins. Il faut, pour desservir ce commerce, des ateliers de manipulation, des entrepôts, surtout de puissants moyens de transport. De là, les efforts précoces pour développer l'usage des rivières. La batellerie ne put guère dépasser jamais Tonnerre sur l'Armançon, Troyes sur la Seine, Saint-Dizier, au seuil, mais en dehors de la zone des plateaux calcaires. Mais sur l'Yonne et la Cure, le flottage parvint jusqu'à Clamecy et Arcy. Ce sont les villes du bois; comme Joinville, Vassy, Saint-Dizier sont les villes du fer; Auxerre et Tonnerre celles du vin et des belles pierres. Il est vrai que spécialisées dans un genre particulier de travail et de trafic, elles sont des étapes plutôt que des centres. Elles semblent plutôt faites pour transmettre le mouvement que pour en être le but; mais ainsi précisément s'exprime la solidarité naturelle qui unit les différentes parties du Bassin parisien et les complète les unes par les autres.

VIE URBAINE.

L

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E nom de Champagne n'éveille généralement l'idée que d'une vaste plaine de craie. Il y a pourtant, entre cette plaine et les plateaux calcaires que nous venons de traverser, une Champagne humide, mais si coupée d'étangs, de ruisseaux et de forêts qu'elle n'a

1. La toponymie est caractéristique à cet égard. Voir (feuille de la carte d'État-major au 80 000 n° 83, Chaumont) le trajet de la Blaise à travers le calcaire corallien. En moins de 20 kilomètres se succèdent Blaisy (à la source), Juzennecourt, La Chapelle-en-Blaisy, La Mothe-en-Blaisy, Blaise et Guindrecourt-sur-Blaise.

RÉGION

ARGILEUSE.

ARGONNE.

jamais eu de nom générique. Les argiles ferrugineuses, sables et grès qui précèdent dans l'ordre chronologique la craie proprement dite, se déroulent en arc de cercle de la Puisaye à l'Argonne. Sur ce sol imperméable les eaux vagabondent, elles forment des étangs, d'innombrables noues; elles envahissent des forêts basses et fangeuses, salissent de leurs troubles les rivières que les calcaires jurassiques avaient maintenues si pures. Aux reliefs réguliers succède une topographie qui se perd dans la multiplicité menue des accidents de terrain; aux pierrailles et aux vignes, une zone d'humidité verdoyante et bocagère; aux chênes, les bouleaux; à la fine végétation de lianes, une végétation filamenteuse de genêts et bruyères. Les fruitiers se dispersent dans les champs; des lambeaux de forêts traînent un peu partout; et les maisons en torchis, en bois, ou en briques, brillent disséminées dans les arbres.

On ne se doute pas de l'aspect du pays, quand on le traverse suivant les vallées des principales rivières : on ne voit alors que des alluvions étalées en vastes nappes, à peine assombries au loin par des lignes de forêts. Le peu de consistance du sol, incapable d'offrir une grande résistance aux eaux, donne une grande ampleur aux vallées. Celle de la Seine en amont de Troyes, de l'Aube à Brienne, et surtout celle de la Marne entre Saint-Dizier et Vitry, sont de véritables campagnes enrichies par les dépôts limoneux enlevés aux plateaux calcaires. Là s'établirent les centres précoces de richesse agricole. Les parties argileuses de la zone champenoise n'étaient encore que des fondrières fangeuses dont seulement au XIIe siècle les Cisterciens et les Templiers tentèrent le défrichement, tandis que depuis des siècles des populations étaient établies et concentrées dans ces plaines. Celle du Perthois, que traverse la Marne, est, sous ce nom anciennement connu, la première plaine fertile d'ample dimension que l'on rencontre entre le Rhin et Paris. Dans la vallée de la Seine, Troyes est la première grande ville que baigne le fleuve; bien située au contact de régions agricoles et forestières, voisine de la forêt d'Othe qui lui a fourni non seulement les charpentes de ses vieilles maisons, mais de précieux germes d'industrie, elle domine la batellerie supérieure de la Seine. Ces plaines d'alluvions furent les passages par lesquels la Champagne se relie à la Bourgogne et à la Lorraine. La circulation était difficile à travers les fondrières des forêts plates d'Aumont, d'Orient, du Der, du Val, etc., autant qu'à travers celle d'Argonne.

Celle-ci est un pays de même nature. Si, au lieu d'être déprimé, il s'élève en saillie, c'est qu'un mélange de silice a rendu l'argile dont il est constitué assez résistante pour former, sous le nom de gaize,

une sorte de banc glaiseux et compact. A l'Est, les dômes qui surmontent la petite ville de Clermont, ont, par exception, des silhouettes assez vives; le modelé est en général informe. Les versants, boisés comme les sommets, s'élèvent d'un jet. Les eaux ont isolé ce pâté d'argile, en ont pétri les contours, mais n'ont pas réussi à en entamer l'intérieur. Rares sont les brèches qui le traversent. Le défilé des Islettes coupe un long couloir, qu'aucune autre ouverture, pendant cinq lieues, ne dégage. On y chemine entre un double rideau de forêts sur des sentiers gluants et blanchâtres. Des maisons en torchis et poutres croisées, dont les toits en forte saillie ne sont que trop justifiés par le ciel pluvieux, font penser aux loges qu'élevaient les « compagnons des bois » charbonniers, tourneurs, forgerons, briquetiers, potiers. On s'imagine volontiers ces figures hirsutes à physionomies un peu narquoises, un peu étranges, telles que Lenain, dans la Forge, les représente, si différentes de ses paysans. Il y avait en effet entre ces hôtes de l'Argonne et les paysans voisins une vieille antipathie nourrie de méfiance. Encore aujourd'hui l'habitant de l'Argonne a conservé l'humeur vagabonde, errante: il circule, émigre en été, exerce des métiers roulants, va louer ses bras au dehors.

Au sortir de l'Argonne, des mamelons écrasés, de laides successions de guérets annoncent la Champagne crayeuse. Cependant une ligne de sources, correspondant à l'affleurement de la craie marneuse de l'étage turonien, fait naître à la lisière des deux régions une rangée de villages, dont l'un est Valmy. Mais ensuite l'eau disparaît sous l'immense filtre de la craie blanche. La contrée change encore une fois d'aspect. Dans l'encadrement des prairies et des rideaux de peupliers, les principales rivières lèchent de larges vallées effacées. Mais dans l'intervalle qui les sépare, rien que des plaines ondulées, dont le petit cailloutis blanchâtre du tuf crayeux forme le sol. Un pli de terrain suffit pour masquer l'horizon; et quand, par hasard, on peut embrasser de grandes étendues, on éprouve un sentiment de vide, car les hommes ont l'air de manquer, comme les eaux.

Que sont donc devenus les ruisseaux et les rigoles si nombreux dans la zone d'amont? Une partie s'est infiltrée avec les eaux de pluies sous les argiles à travers les sables, et a pénétré par des fissures dans le massif de la craie champenoise. Sur toute l'étendue du talus bordier, toute circulation de surface semble confisquée en dehors des grandes rivières. Celles-ci continuent à se grossir des eaux de sources qui affleurent dans leur thalweg; elles augmentent et deviennent navigables. Mais les affluents manquent. C'est seulement après 30 ou 40 kilomètres, vers Somme-Suippe,

CHAMPAGNE
CRAYEUSE.

quand la plaine dans son inclinaison graduelle retrouve le niveau de 150 à 160 mètres, que l'eau revient au jour ramenée en vertu de sa

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La population, strictement groupée en villages, occupe, en files allongées qui se rejoignent parfois, le bord effacé des vallées. Les routes évitent les vallées un peu marécageuses; mais, sur les croupes de tuf crayeux où elles se déroulent (savaris), elles n'ont pas réussi à attirer de groupements, comme elles l'ont fait, au contraire, si nettement sur les plateaux limoneux de Picardie (voir cartes 9 et 10).

pression. Une ligne de sommes ou fortes sources correspond au niveau que la force hydrostatique assigne à la réapparition des eaux.

Ces yeux de la Champagne ramènent la population et la vie. Une ligne presque ininterrompue de villages et de villes commence

dès l'apparition de la source. La plupart des villages s'étendent en longueur, parallèlement à la rivière. Leurs maisons, rapprochées mais non contiguës, s'égrènent en chapelets, de telle façon qu'on passe parfois sans s'en apercevoir d'un village à l'autre. Autrefois toutes rustiques sous le chaume qui les enveloppait presque, elles se transforment aujourd'hui en maisons de briques, mais le site reste le même, entre les prairies qui tapissent le lit largement plat de la vallée et les champs qui se déroulent en minces bandes perpendiculaires. Quoique souvent tourbeuses, les prairies suffisent à l'entretien d'un bétail qui permet, à son tour, d'amender les parties voisines de vallées. Mais celles-ci sont rares; des déserts de 10 à 20 kilomètres s'étendent dans l'intervalle des rivières convergentes.

Ce mode de répartition suggère l'explication d'une chose qui peut sembler contradictoire. La Champagne est une région géographique des mieux tranchées, dont l'unité a été depuis longtemps reconnue. De Reims à Sens, même sol à peu près et même aspect. C'est une grande arène découverte par laquelle des invasions ont pénétré jusqu'au cœur de la France. Mais historiquement elle n'a jamais été une unité; un dualisme a prévalu. On ne s'en étonne pas, quand on voit à quelles règles les établissements et les rapports humains y ont obéi. Ils suivent exclusivement les rivières, et celles-ci, conformément à la loi des terrains perméables, sont rares, et en outre presque parallèles. Le long des rivières les villages se touchent et se confondent presque; entre elles règnent des intervalles solitaires. C'est ainsi que l'espace entre la Marne et l'Aube fut la marche frontière des Rèmes et des Sénons, comme plus tard des archevêchés de Reims et de Sens. La Champagne du Nord, celle de Reims, comme dit Grégoire de Tours', suit des destinées à part : elle touche à la Picardie, lui ressemble par la forme de ses maisons de culture aux grandes cours intérieures. Les monuments d'époques préhistoriques montrent d'étroits rapports avec la Belgique, presque pas avec la Bourgogne. Ses destinées plus tard sont liées à celles de la grande région picarde. Au contraire, le faisceau des rivières méridionales a son centre politique à Troyes; il est en rapports, par les passages de l'Auxois, avec la Bourgogne et le Sud-Est. Là circulent les marchands venus du Rhône et de l'Italie. C'était à Troyes, Arcissur-Aube, Provins et Lagny que se tenaient les fameuses foires, se succédant les unes aux autres comme un marché permanent. Cette partie de la Champagne se relie à la Brie et gravite vers Paris. Par les rapports naturels, comme dans les anciennes divisions politiques, l'autre gravite vers Reims et les Pays-Bas.

1. Campania Remensis.» Hist. Franc., IV, 17.

DUALISME HISTORIQUE

DE LA

CHAMPAGNE.

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