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POPULATIONS
DC PLATEAU

LORRAIN.

construction s'offrent sur place et en abondance: ici pierres calcaires, là briques ou tuiles, le bois partout. Cette terre, pourvu que des attelages robustes en déchirent les flancs, fournit à l'homme tout ce qui lui est utile; elle est reconnaissante, mais, il est vrai, sans grâce et sans sourire.

La population qui en tire parti se compose de petits propriétaires; race économe, calculatrice et utilitaire. Des lots d'exploitation agricole très morcelés forment le patrimoine de ces habitants strictement groupés en villages; ceux-ci, très uniformes, très régulièrement répartis. Le passé n'y a guère laissé de châteaux; le présent n'y a pas implanté d'usines. La monotonie de l'aspect n'est que le juste reflet de l'uniformité d'occupations et de conditions sociales. Dans la plate campagne, des communautés rurales aux noms généralement terminés par les désinences court ou ville, s'espacent à trois ou quatre kilomètres de distance. Il est rare qu'elles contiennent plus de 300 personnes; souvent il y en a moins. Là se concentrent tous les travailleurs et propriétaires, y compris le berger communal. Tout rentre dans le village : les pailles, qu'il est nécessaire d'engranger; le bétail, qui ne peut passer la nuit dehors.

De loin, on n'aperçoit qu'un groupe pelotonné de maisons presque enfouies sous des toits de tuiles descendant très bas. Une ou deux routes, bordées de peupliers, sont le seul ornement des abords. L'organe central est une large rue irrégulière, où se trouvent les puits, les fontaines, ou parfois de simples mares. Fumier, charrettes, ustensiles agricoles se prélassent librement sur l'espace ménagé des deux côtés de la chaussée, le long des maisons. La force d'anciennes habitudes, un certain dédain de l'agrément transpirent dans l'aménagement de ces villages agricoles lorrains : le jardin n'est qu'un potager; un toit commun abrite hommes, bêtes et granges. Néanmoins la maison est en réalité ample, bien construite. Elle paraît triste quand on vient d'Alsace ou des Vosges; rien n'est sacrifié au pittoresque. C'est la demeure d'une population depuis longtemps figée dans ses habitudes, ennemie des innovations. Sur cette terre, qui nourrit sans enrichir, les rapports de l'homme et du sol semblent manquer d'élasticité. Le pays vosgien nous avait offert le spectacle de rapports en perpétuel mouvement, s'assouplissant aux conditions d'une nature variée, substituant tour à tour le hameau au chalet, l'usine à l'abbaye. Rien de semblable ici : le contraste n'est pas seulement dans l'aspect, le relief, la nomenclature: il est aussi dans l'homme.

On se sent en présence d'un type frappé à l'effigie du sol. Cette population de villageois-campagnards représente un groupe plutôt géographique qu'ethnique. Sur les limites de la Bourgogne comme

CHAP. II

du Luxembourg, les mêmes aspects de vie rurale se présentent. Les traits sont communs, à peu de chose près, dans la partie de langue française et dans celle de langue allemande. Ces analogies générales paraissent confirmées par les observations anthropologiques. Il y a un fond de caractères communs, sur lequel le germanisme a inégalement influé, sans le faire disparaître. La limite linguistique ne répond à aucune division naturelle; elle croise successivement toutes les zones. Plus capricieuses encore et plus arbitraires ont été les limites. historiques. L'unité de la région repose exclusivement sur ce fond très

FIG. 36.

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VALLÉE CREUSÉE AU PIED DES TALUS MARNEUX DES CÔTES Oolithiques Lorraines. Une ligne de sources, qui est aussi une ligne de villages, suit généralement le contact des marnes du lias (4) avec les calcaires oolithiques (5 et 6).

ancien d'habitudes agricoles, contractées en conformité avec le sol. Cette population a traversé les siècles. Elle avait subsisté, à travers des guerres et des invasions dont les épreuves plus récentes n'étaient pas parvenues à effacer le souvenir il semble qu'aujourd'hui ses rangs s'éclaircissent de plus en plus, sous l'influence des causes générales qui atteignent les vieilles contrées agricoles, mais ici avec une intensité accrue par la proximité de deux grands foyers d'industrie, celui de Nancy et celui des Vosges.

Lorsque, venant de l'Est, on s'approche de Nancy, des formes nouvelles attirent le regard en avant d'un rideau dont les lignes uniformes se prolongent à perte de vue, des coteaux isolés, des monts se projettent, comme des piliers détachés d'une masse. Leur parenté ne saurait échapper à l'attention; partout en effet se répètent les mêmes profils. A une inclinaison douce et ménagée des pentes inférieures succède, généralement aux deux tiers environ de la hauteur, un escarpement raide, rocailleux, tapissé d'abord de taillis, couvert enfin de bois. Ce sont des talus surmontés de corniches. Le ressaut peut être plus ou moins amorti par les éboulis; mais il est toujours aisé de reconnaître que le chapiteau n'appartient pas à la même formation que la base. Celle-ci fait partie des couches marneuses

LES CÔTES ET TERRASSES LORRAINES.

d'âge liasique, dans lesquelles les eaux ont largement déblayé; elle continue par son modelé la bordure fertile que nous avons vue se marquer vers Mirecourt, Charmes, Saint-Nicolas. L'escarpement qui la surmonte appartient aux calcaires, dits oolithiques, du jurassique inférieur. Sec et profondément fissuré, il introduit non seulement un autre relief, mais une autre nature.

Cette association n'est pas un fait local. Les mêmes éléments du paysage coexistent devant Langres, comme devant Nancy. On les retrouve au-dessus de Sedan, comme au-dessus de Metz. Tout le long d'une zone concentrique qui part des confins de la Bourgogne et va, à travers la Lorraine et le Luxembourg, se terminer en face de l'Ardenne, on suit la continuité d'une dépression fertile que bordent les lignes toujours reconnaissables des côtes oolithiques. C'est un des traits essentiels par lesquels la Lorraine se lie à la Bourgogne d'une part, au Luxembourg de l'autre. Il reste gravé dans la topographie et la physionomie de nos contrées de l'Est. Les contrastes qu'il recèle sont riches en conséquences sur la géographie politique. Ils méritent d'attirer la réflexion, car c'est d'eux surtout que dépendent la position des groupements humains et la formation des villes.

Les corniches fissurées du sommet absorbent l'eau, soutiennent des plates-formes arides; tandis que sur les flancs les eaux infiltrées réapparaissent en sources, lorsqu'elles atteignent les couches marneuses. Ce niveau de sources est la ligne d'élection auprès de laquelle se sont établis villes ou villages. Ils se succèdent rangés entre les bois des sommets et les cultures des flancs. Les débris calcaires qui ont dévalé des corniches amendent et ameublissent le sol des pentes. La teinte rousse du minerai de fer imprègne les chemins et les parties nues. Et çà et là, sur les cimes, d'anciens bourgs fortifiés à mine sévère rappellent un passé politique et guerrier. C'est une note historique dans le paysage; car, dans la plaine, les villages n'étaient groupés que suivant les sources et les commodités de culture; aucune préoccupation stratégique n'avait présidé à leur construction.

En Lorraine, de Vaudémont à Metz et même à Thionville, la façade des coteaux oolithiques est tournée vers l'Est. C'est le versant plus ensoleillé, qu'épargnent relativement les vents de pluie. Nancy n'a guère plus de 70 centimètres de pluie annuelle. Mais, en même temps qu'il est le plus sec, ce versant est aussi celui qu'ont plus directement attaqué les courants diluviens venus des Vosges. Dans ces côtes d'apparence unie, il est facile d'entrevoir des plans successifs. Des promontoires terminés en coudes brusques signalent les points vulnérables où les eaux ont fait brèche. Dans les parties

détachées comme dans les rangées demeurées continues, les traces d'affouillement se révèlent par des formes variées des anses, des hémicycles, comme ceux qui sculptent si curieusement la côte de Vaudémont; des échancrures étroites comme celles qui entaillent le plateau de Haye, au Sud et au Nord de Nancy. Ces articulations

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En avant des plateaux oolithiques, couverts de forêts, se dressent des côtes, que l'érosion en a détachées. Elles sont plus particulièrement nombreuses vers Vaudémont ainsi que vers Nancy, et elles ont contribué dans les deux cas à l'importance historique de la contrée.

contribuent, avec le climat et le sol, à favoriser la variété des cultures. Grâce aux abris qu'elles ménagent, les arbres fruitiers, les vergers règnent, avec la vigne, à mi-côte, prêtant aux villages un cadre d'opulence riante. Si, lorsqu'on vient de Belgique ou de l'Ardenne, la Lorraine fait l'effet d'une contrée plus lumineuse et plus variée, où déjà la flore prend des teintes méridionales, c'est à cette zone particulière qu'elle le doit. La nature y revêt un aspect d'élégance, qu'on chercherait vainement dans la plaine. La fine végétation a des ciselures, dont l'art local s'est maintes fois inspiré, qu'il fait revivre dans le fouillis de ses fers ouvragés et dans la svelte décoration de ses vases de verre.

VIE URBAINE.

Partout où se concentrent ces conditions favorables, fertilité du sol, présence de l'eau, facilités de défense, elles ont tenté les hommes; elles les ont groupés. On trouverait aisément, en Allemagne le long du Jura souabe, en Angleterre sur le bord septentrional de la zone jurassique de Gloucester à Lincoln, l'équivalent des lignes d'occupation précoce qui signalent le bord oriental de la falaise lorraine. Les points fortifiés y ont précédé les châteaux et les villes. C'étaient des refuges, des points de surveillance. Mais les mêmes raisons qui les avaient fait naître ont plus tard favorisé la formation d'une vie urbaine. Elle y a pris racine, pas toujours sur le même emplacement que ces antiques stations, mais à proximité et dans des conditions analogues. Il est rare que la chaîne des établissements historiques ne se rattache pas à une série antérieure d'établissements primitifs. Si l'on excepte le pays Saulnois, où le commerce fit naître aussi des établissements précoces, c'est sur le bord des côtes oolithiques que se concentrent en Lorraine les plus anciens vestiges de vie urbaine et d'influence historique.

Bourgs perchés au sommet des monts, villages établis à mi-côte, villes formées à l'entrée des passages ou au confluent des rivières, châteaux historiques qui garnissent les monticules avancés ou les promontoires': tout cet épanouissement urbain est en rapport avec la plaine située à l'Est. Il se lie aux besoins de la population qui, aux pieds des côtes, a prospéré sur les riches terres des marnes et calcaires liasiques. Ces sites défensifs étendent leur regard et leur protection sur la zone déprimée et fertile qui, d'un seul côté, leur est contiguë.

De l'autre, au contraire, vers l'Ouest, sur les hauteurs, derrière les sombres et régulières lignes de bois, règnent des plateaux rocailleux au sol rouge et sec, moins sec toutefois qu'en Bourgogne. La contrée est sévère. Sur ces plains la population est rare et se raréfie chaque jour. Presque sans interruption les forêts s'étendent des environs de Neufchâteau à ceux de Nancy, de Frouard aux environs de Metz sur la rive gauche de la Moselle. La zone forestière est confondue sous un seul nom, la Haye, désignation vague à laquelle il serait difficile d'assigner d'autres limites; contre-partie des noms de pays mieux spécialisés qui s'échelonnent sur le bord oriental des Côtes. Cette zone de plateaux oolithiques forestiers est étroite, comme toutes celles qui se succèdent en Lorraine; sa largeur moyenne ne dépasse guère une vingtaine de kilomètres. Mais, par les sentiers fangeux en automne ou au printemps, le manque d'eau en été, la rareté 1. Citons La Marche, Vaudémont, puis, autour de Nancy, Ludres, Amance, Bouxières, Liverdun; enfin, entre Nancy et Metz, Dieulouard (ancienne Scarpona), Mousson.

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