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mais ces coutumes elles-mêmes gardaient une saveur d'originalité, dont les Grecs ne trouvaient pas chez eux l'équivalent. Et en fait, les progrès de l'archéologie préhistorique révèlent chez ces peuples les indices de plus en plus nombreux d'une civilisation primitive foncièrement différente de celle de l'Europe centrale. Le groupe d'animaux domestiques n'est pas le même; il ne se compose à l'origine que de la chèvre, du mouton, du chien; le bœuf et le porc ne semblent y avoir été introduits que plus tard; la chèvre est par tradition l'animal qui sert à la nourriture 1. La langue enfin nous a conservé une preuve frappante de l'originalité du monde ibérique : le dialecte ibère encore actuellement en usage aux confins de la Gascogne ne ressemble à aucune des langues de l'Europe; c'est une sorte de témoin linguistique, dernier représentant d'une famille de langues qui dut être nombreuse, et grâce auquel on peut expliquer l'analogie de certains noms de lieux épars du Sud de la France au Sud de l'Espagne 2.

Ce monde ibérique représente en son état actuel une réduction d'un état ancien qui embrassait un groupe considérable de peuples ayant entre eux des rapports de culture commune. Les témoignages classiques sont nombreux et précis pour attester son extension au Nord des Pyrénées. Ils nous la montrent, au ve siècle avant notre ère, embrassant le Sud de notre pays jusqu'à la Garonne et au Rhône; mais quelle a pu être, antérieurement à cette époque, la surface occupée par ces anciennes couches de population? Voilà ce qu'il est difficile, dans l'état présent des recherches, de déterminer.

On peut affirmer toutefois que cette surface avait couvert au Nord des Pyrénées une étendue plus ample que celle qu'indiquent les textes. Cette civilisation, si profondément empreinte d'archaïsme, nous reporte à une période assez lointaine pour qu'il soit naturel de tenir compte, en l'étudiant, des conditions créées en Europe par la grande extension des glaciers quaternaires 3. C'est dans les régions restées à peu près indemnes des changements apportés alors à la nature vivante,

1. Posidonius, dans Strabon, III, III, 7.

Il en est encore ainsi dans l'Andorre. 2. Illiberris, ancien nom de Grenade; Elimberris, Auch; Iliberris, Elne; Calagurris, Calahorra en Espagne, etc.

3. A mesure que la question dite glaciaire a été serrée de plus près, on a été amené à reconnaitre qu'il existe un rapport entre les faits assez complexes qui ont signalé cet épisode de la vie terrestre et la répartition des civilisations primitives. Quelques mots d'explication ne seront pas inutiles sur ce point.

La question a été renouvelée depuis environ un quart de siècle par des recherches de plus en plus amples et méthodiques. Nous savons maintenant que par le nom de période glaciaire il faut entendre en réalité non une période pendant laquelle l'extension extraordinaire des glaces aurait été continue, mais une série d'époques marquées par de grandes oscillations de climat, dont l'influence se fit sentir sur l'ensemble de la Terre. Les progrès des glaciers furent coupés d'intervalles de recul, pendant lesquels le climat se rapprochait de celui de l'époque actuelle. Ces intervalles furent assez longs pour que la végétation eût le temps de reconquérir les espaces qu'elle avait dù abandonner Une constatation non

c'est-à-dire en Espagne et dans le Nord de l'Afrique, que s'était formée cette civilisation son expansion fut naturellement dirigée vers les contrées qui avaient échappé le mieux à ces mêmes changements. Aucune ne pouvait être plus favorable au développement de peuples primitifs que la région basse et ensoleillée qui s'étend en diagonale de la Garonne au Midi de la Bretagne. Sans doute on y trouve encore des preuves nombreuses de l'existence du renne, tandis qu'elles manquent au Sud des Pyrénées. Mais par la faiblesse du niveau, la nature sèche du sol, la lumière, cette région s'est dégagée plus tôt et plus complètement de l'influence exercée par le voisinage des glaciers qui avaient envahi les Alpes, les Pyrénées et une partie du Massif central. Le ciel et le sol s'y montrent également cléments. Ces contrées, dont la nature nous séduit encore par sa douceur un peu molle, furent des premières de l'Europe occidentale où l'humanité primitive commença à s'épanouir.

CONTACT

DE LA FRANCE
AVEC L'EUROPE
CENTRALE.

§ 2.

Cependant la région de contact par excellence est pour la France l'arrière-pays continental qui s'étend à l'Est. De ce côté, pas de séparation naturelle. La France s'associe complètement aux parties d'Europe adjacentes. Ce n'est pas contact qu'il faudrait dire, mais

moins importante, c'est qu'il y eut de grandes inégalités dans l'étendue que couvrirent à diverses époques les glaciers. Jamais, dans leurs empiétements successifs, ils ne semblent avoir atteint l'extension qu'ils avaient prise au moment de l'une de leurs premières invasions celle que marque, par une ligne rouge, la carte insérée plus loin (no 2). A cette époque, les glaciers scandinaves poussèrent leurs moraines frontales jusqu'en Saxe et en Belgique; ceux des Alpes s'avancèrent jusqu'à Lyon; il y eut dans les Vosges et en Auvergne des glaciers analogues à ceux qui se voient présentement dans les Alpes. L'homme existait pendant cette période, et manifestait son activité par des essais d'industrie (civilisation paléolithique et néolithique). Si par les invasions temporaires des glaciers une grande partie de l'Europe fut longtemps interdite au développement de la vie, d'autres régions au contraire s'y montrèrent alors plus favorables qu'elles le sont actuel. lement. Tel fut le cas pour les régions en partie aujourd'hui sèches et arides, du bassiL méditerranéen et du Nord de l'Afrique. Les vestiges d'érosions puissantes laissés par les eaux indiquent qu'un climat plus humide que celui de nos jours y régna, pendant que le Nord de l'Europe était sous les glaces. Les traces de civilisation très ancienne qu'on découvre dans le Sud de l'Europe et jusque dans les parties inhabitées du Sahara, s'expliquent par ces conditions favorables. C'est à ces origines que se rattache l'ensemble de coutumes qui caractérise ce que nous avons appelé le monde ibérique, et qui remonte à une date reculée dans la préhistoire.

A la lumière de ces farts, dont la plupart n'ont été dégagés que dans ces dernières années, on voit aisément qu'une distinction, chronologique aussi bien que géographique, s'impose entre les sociétés primitives. Les contrées qui, comme le Sud de l'Europe, jouirent d'une immunité presque complète, et celles même qui, comme la France, ne furent que très partiellement atteintes par les glaciers, offrirent plus de facilités aux œuvres naissantes de la civilisation. Entre les contrées mêmes que les glaciers couvrirent entièrement, il y eut de grandes différences. Celles qui, comme l'Allemagne centrale et la Belgique, ne furent envahies qu'à l'époque de la plus grande extension glaciaire et restèrent indemnes dans la suite, s'ouvrirent plus tôt au développement des sociétés humaines, que la Scandinavie el l'Allemagne du Nord, qui eurent à subir à plusieurs reprises le retour offensif des glaces.

pénétration. Aux analogies déjà notées de structure', se joignent celles de climat et de végétation. Tandis que la végétation de l'Europe centrale pénètre dans l'intérieur de la France, divers avant-coureurs de notre végétation océanique ou méridionale s'avancent en Allemagne le houx aux feuilles luisantes jusqu'à Rugen et à Vienne, le buis jusqu'en Thuringe, l'if, comme le hêtre, bien au delà, jusque vers le Dnieper. Nos arbres méridionaux amis de la fumière, le châtaignier, le noyer, se montrent l'un jusqu'à Heidelberg, l'autre jusque dans les vallées du Neckar et du Main. Le type de hauteur boisée, qui fait de forêt le synonyme de montagne, Forêt-Noire, Forêt de Thuringe, domine également des deux côtés du Rhin. Nulle part ne se concentre un ensemble de différences capable de frapper la vue, de suggérer d'autres habitudes et d'autres manières de vivre. La France a éprouvé du côté de l'Allemagne une difficulté particulière à dégager son existence historique et à marquer ses limites.

Par là, des influences venues de loin se sont toujours fait sentir. On aperçoit distinctement à travers l'obscurité des temps préhistoriques que la marche des migrations, plantes et hommes, a suivi des directions parallèles à celles que tracent les Balkans, les Carpates, les Alpes, de l'Est à l'Ouest. Il semble bien prouvé que non seulement le blé, l'orge et le lin, cultivés aussi sur les bords de la Méditerranée, mais encore le seigle, l'avoine et le chanvre, cultivés seulement dans le Centre et le Nord de l'Europe, sont venus de l'Est. Mais il y a eu aussi des mouvements en sens contraire; et l'Ouest de l'Europe n'a pas eu un rôle seulement passif dans ces échanges. Il faut admettre une longue série d'actions et réactions réciproques. La France a participé, vers l'Est, aux palpitations d'un grand corps; beaucoup d'éléments nouveaux sont entrés par là dans sa substance et dans sa vie.

Si l'on jette les yeux sur la carte 2 où nous avons essayé de tracer, pour la partie de l'Europe qui nous intéresse, les conditions naturelles des groupements primitifs, on voit que plusieurs avenues sillonnent l'Europe centrale de l'Est à l'Ouest l'une, par la vallée du Danube, aboutit à la Bourgogne; une autre, par la plaine germanique et la Belgique, pénètre en Picardie et en Champagne; une troisième suit jusqu'en Flandre les alluvions littorales des mers du Nord. Entre ces zones de groupement et ces voies de migrations, de vastes bandes de forêts ou de marécages s'interposent.

Nous aurons à justifier ces divisions; mais cette carte suggère

1. Voir ci-dessus, la carte no 1, p. 13. 2. Voir ci-dessous la carte no 2, p. 55.

ACTIONS

ET RÉACTIONS.

PRINCIPALES

VOIES DE MIGRATIONS DANS L'EUROPE

CENTRALE.

ASPECT

GEOGRAPHIQUE

une première remarque. L'hinterland continental nous assiège, non partout également, mais seulement par quelques voies. Les migrations humaines ne nous sont parvenues que déjà divisées, canalisées en courants distincts. Et cela explique que les populations qui ont atteint notre pays par la vallée du Danube n'eurent ni le même mode de civilisation, ni la même composition ethnique que celles qui nous sont venues par la Belgique, et ressemblèrent encore moins à celles qui ont suivi le littoral du Nord.

Le secret de ces civilisations primitives est géographique autant qu'archéologique; comment la géographie n'aurait-elle pas son mot DE LA QUESTION. à dire sur les conditions qui les ont formées, et sur les voies qu'elles

ont suivies?

Les fleuves, dans nos contrées d'Europe, n'ont pas été, autant qu'on le dit, des chemins primitifs de peuples. Leurs bords, encombrés de marécages, d'arbustes et de broussailles, ne se prêtaient guère aux établissements humains. Les hommes se sont établis de préférence sur les terrains découverts, où ils pouvaient pourvoir le plus facilement à ces deux besoins essentiels, abri et nourriture. La qualité des terrains fut surtout ce qui les guida. Il y a des terrains où l'homme pouvait plus aisément mouvoir sa charrue, bâtir ou se creuser des demeures pendant des siècles les populations ont continué à se concentrer sur ces localités favorisées. Successivement de nouveaux venus plus forts s'y sont substitués ou plutôt superposés à d'anciens occupants: toujours sur les lieux mêmes qui avaient déjà profité d'une première somme de travail humain. Quand des migrations se produisaient, elles étaient dirigées par le désir d'obtenir des conditions égales ou meilleures, mais toujours analogues, d'existence. Comme aujourd'hui c'est la terre noire que le paysan russe recherche en Sibérie, c'était en quête de terres fertiles et faciles à cultiver, déjà pourvues d'un certain degré de richesse, que se sont acheminés les Celtes dans leurs migrations successives vers la Gaule ou vers le bas Danube, les Germains dans leur marche ultérieure des bords de l'Elbe à ceux du Rhin. Tout le mouvement et toute la vie ont été longtemps restreints à certaines zones. Lutter contre les marécages et les forêts est une dure et rebutante tâche à laquelle l'homme ne s'est décidé que tard. Ce n'est qu'au moyen âge que le défrichement, dans l'Europe centrale, commença à attaquer en grand la forêt.

1. On peut s'assurer aujourd'hui que les établissements fondés sur les alluvions récentes de nos fleuves sont de dates moins anciennes que ceux des bords élevés. On en trouvera plus loin des exemples dans les cartes que nous donnons du Val d'Anjou, du Rhône à Viviers.

DANS LES DIVISIONS PRIMITIVES DE L'EUROPE.

Assurément la surface forestière est loin de représenter dans son ROLE DE LA FORÊT étendue présente l'étendue que les forêts occupèrent aux débuts de la civilisation de l'Europe. Mais elle en retrace les linéaments. Si la forêt a cédé du terrain à la culture, elle est restée, du moins dans la partie centrale et occidentale de l'Europe, en possession des sols que leur nature rendait rebelles ou très médiocrement propices à tout autre genre d'exploitation. Elle a persisté sur place, en se transformant il est vrai. De la forêt primitive, chaos d'arbres pourris et vivants, horrible et inaccessible, il n'y a dans l'Europe centrale que quelques coins retirés du Boehmer Wald qui, dit-on, offrent encore une image. Mais la forêt, même humanisée, est un héritage direct du passé. Les arbres qui enveloppent nos Vosges plongent leurs racines dans un sol élastique et profond qui résonne sous les pas et qui est le résultat de la décomposition séculaire de ceux qui les ont précédés. La forêt actuelle se dresse sur les débris des forêts éteintes.

Morcelées et traversées de toutes parts, les forêts ont cessé de séparer les peuples. Mais elles ont joué longtemps ce rôle d'isolatrices. On distingue encore les linéaments des anciennes limites forestières. Elles soulignent d'un trait vigoureux la distinction entre la Bohême et la Bavière; elles encadrent nettement la Thuringe; la Franconie est séparée par une série de massifs boisés de la Souabe et de la Hesse. La Lorraine est presque entièrement encadrée de forêts. Leurs bandes s'allongent entre la Champagne et la Brie. Elles tracent une bordure assez nette encore au Berry. Même dans nos contrées de l'Ouest, où les forêts ont été plus entamées, assez de lambeaux subsistent pour rappeler d'anciennes séparations historiques. Quelques bois parsèment la marche sauvage qui s'étendait jadis entre l'Anjou et la Bretagne; d'autres, au centre de la Bretagne, jalonnent la zone solitaire qui séparait le pays gallo du pays breton. Entre le Poitou et la Saintonge une série de bois, échelonnés de Surgères à la Rochefoucauld, laisse encore apercevoir l'antique séparation de deux provinces et de deux peuples. En Angleterre le Weald a divisé les gens de Kent de ceux de Sussex.

Séparation ou défense, marche-frontière, surface échappant à la propriété privée, la forêt a servi de cadre aux embryons de sociétés par lesquels a préludé la géographie politique de cette partie du continent. Elle nous enveloppe encore de ses souvenirs. Elle nous berce avec les contes et les légendes dont l'a peuplée l'imagination enfantine des anciens habitants. Parmi les essences qui entraient dans la composition de ce vêtement forestier, c'est surtout l'arbre des sols peu humides, des forêts de faible altitude, le chêne, qui est entré dans l'usage de la vie quotidienne. Son bois robuste a fourni la char

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