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bonne heure des groupes particuliers qui surent se hausser à un certain degré de réputation et de puissance par leur habileté nautique; Tacite en connaît. Mais l'élevage resta le fond de l'existence. La nomenclature singulièrement imagée que les marins des mers du Nord appliquèrent aux iles et aux écueils à travers lesquels ils avaient à diriger leurs navires, emprunte la plupart de ses expressions métaphoriques au bétail et à la vie de pâturage.

Ces communautés grandirent longtemps à part, retranchées dans des conditions originales d'existence, contractées dans le sentiment de leur autonomie. Elles n'entrèrent que tard dans l'histoire, que quelques-unes devaient remplir de leur nom 1. Leur fortune est liée au développement de l'Europe moderne. Assez tôt cependant ce littoral devint une pépinière de groupes transportant sur des rivages analogues leur mode d'existence. De là partirent des émigrations sur lesquelles l'histoire est muette, et qui précédèrent les invasions qu'elle connaît. Sur la côte opposée au vieux pays frison, celle du Fen britannique, entre Lincoln et Norfolk, les mêmes conditions de vie n'eurent pas de peine à s'installer. Mais c'est surtout dans le Nord-Ouest de l'Europe et notamment dans la basse plaine germanique qu'elles étaient destinées à faire fortune. Ces contrées font partie de la surface qu'avait recouverte, dans leur dernier retour offensif, les grands glaciers scandinaves. L'empreinte glaciaire y est encore sensible. Le desséchement des innombrables marécages qu'y avait laissés le vagabondage torrentiel consécutif à la fusion des glaces fut une des grandes œuvres de la colonisation systématique du Moyen âge et des temps. modernes. Grâce au travail de l'homme ce furent les prairies qui succédèrent aux dépressions marécageuses; et l'on peut dire que nulle forme de culture, avec le genre de vie qu'elle implique, n'a gagné autant de terrain en Europe depuis les temps historiques.

En France le développement continu de la zone d'alluvions cesse au Boulonnais. Ensuite, bien que le climat reste favorable, la nature du sol ne se prête qu'avec intermittences au développement des prairies. Cependant nos races de gros bétail et particulièrement celles de chevaux sont jusqu'au delà du Cotentin en rapport de parenté avec celles du Nord-Ouest de l'Europe. Quand les Normands arrivèrent, ils trouvèrent déjà des prédécesseurs sur nos rivages. Il faut donc tenir compte aussi, dans nos origines, de ces attaches avec les premières civilisations des mers du Nord, bien que postérieures par la chronologie et certainement moindres en importance que les rapports d'âge immémorial avec l'Ibérie et l'Europe centrale.

1. Danois, Angles, Saxons, Frisons.

2. Voir la carte no 2.

CHAPITRE IV

PHYSIONOMIE D'ENSEMBLE DE LA FRANCE

VARIÉTÉ

DE SOL

ET DE CLIMAT.

L

A France oppose aux diversités qui l'assiègent et la pénètrent sa force d'assimilation. Elle transforme ce qu'elle reçoit. Les contrastes s'y atténuent; les invasions s'y éteignent. Il semble qu'il y a quelque chose en elle qui amortit les angles et adoucit les contours. A quoi tient ce secret de nature?

Le mot qui caractérise le mieux la France est variété. Les causes de cette variété sont complexes. Elles tiennent en grande partie au sol, et par là se rattachent à la longue série d'événements géologiques qu'a traversés notre pays. La France porte les signes de révolutions de tout âge. Elle appartient à une de ces régions du globe, plus exceptionnelles qu'on ne pense, qu'à diverses reprises, par retouches nombreuses, les forces intérieures ont remaniées. Les parties mêmes qui sont entrées depuis longtemps dans une période de calme, n'ont pas perdu la trace des mouvements intenses qu'elles ont subis autrefois. L'usure des âges peut bien amortir les formes et abaisser les reliefs; elle réussit moins à abolir les propriétés essentielles des terrains. Ne voit-on pas en Bretagne un pays celui de Tréguier redevable de la fertilité qui le distingue aux matériaux d'un volcan éteint depuis les premiers âges, et dont l'existence est depuis longtemps certes effacée du modelé terrestre? En réalité les phases de l'évolution géologique, si compliquée, de la France sont encore en grande partie écrites sur le sol.

Les contractions énergiques qui, dans une période plus récente, ont plissé le Sud de la France, ont eu leur répercussion sur les massifs anciens qui leur étaient opposés. Elles ont eu raison de la résistance des parties les plus voisines, et leurs effets n'ont expiré qu'à grande distance du foyer d'action. Elles en ont renouvelé le

relief et ravivé l'hydrographie. Le Massif central semblait définitivement émoussé par l'usure des âges, lorsque le contre-coup des plissements alpins y dressa des reliefs, y éveilla des volcans.

Puis, à peine l'œuvre de consolidation de nos grandes chaînes actuelles, à travers une série d'efforts et d'avortements, était-elle achevée, que la destruction en avait commencé. De ces chaînes qui n'ont été ébauchées que pour disparaître, ou de celles qui ont résisté mais en cédant chaque jour aux agents destructeurs une partie d'elles-mêmes, les torrents, les glaciers, enfin les rivières actuelles firent leur proie. Elles ont entraîné au loin des masses de débris. Longtemps on n'a pas apprécié à sa valeur l'importance de ces destructions. On sait maintenant que ce sont des débris de ce genre qui, au pied des Pyrénées et des Alpes, du Massif central et des Vosges, ont constitué des sols tels que les chambarans du Dauphiné, les boulbènes de Gascogne, les nauves de la Double, les brandes du Poitou, elc. Ces variétés de sol se combinent avec des variétés non moins grandes de climat pour composer une physionomie unique en Europe.

En France, comme en Allemagne et en Italie, on pose volontiers l'antithèse du Nord et du Midi. C'est le moyen d'étiqueter sous une formule simple des différences très réelles. Mais on ne tarde pas à s'apercevoir que, chez nous, cette division se subdivise et se décompose en un plus grand nombre de nuances diverses que partout ailleurs.

VARIÉTÉ

DU MIDI DE LA FRANCE.

Il faut distinguer d'abord le Midi du Sud-Est ou méditerranéen du Midi du Sud-Ouest ou océanique. C'est surtout l'image du pre- DANS LA NATURE mier, qui, lorsque nous parlons du Midi, se présente à notre esprit : la plus tranchée et, suivant le mot de Mme de Sévigné, la plus excessive. Cependant, il suffit qu'on s'éloigne de Narbonne d'une cinquantaine de kilomètres vers l'Ouest, pour que l'olivier, ce compagnon fidèle de la Méditerranée, disparaisse. Un peu plus loin cessent les tapis de vignes qui couvrent aujourd'hui les plaines : des champs de blé et de maïs, des bouquets, puis de petits bois de chênes-rouvres composent peu à peu un paysage de tout autre physionomie. C'est qu'insensiblement, en s'éloignant de la Méditerranée vers Toulouse, on passe de la région de pluies faibles et surtout inégalement réparties à une région de pluies plus abondantes, mieux distribuées qui, dans le Haut-Languedoc, le Quercy, l'Agenais, l'Armagnac, offrent un maximum au printemps. La transition est graduée : l'augmentation des pluies d'été, si rares sur le bord de la Méditerranée, déjà sensible à Carcassonne, se dessine nettement entre cette dernière ville et Toulouse. Graduellement aussi, mais plus loin vers l'inté

rieur, s'amortit la violence des vents, dont le choeur bruyant se démène autour de la Méditerranée. Le sol mieux lubréfié, moins balayé, se décompose en un limon tantôt brun, tantôt jaune clair. Le maïs, qui a besoin des pluies de printemps, dispute la place au blé. Il y a donc au moins deux Midis dans le Midi. Celui de la Méditerranée, du Roussillon, du Bas-Languedoc, de la Provence calcaire est le plus accentué, surtout par l'empreinte que l'été imprime au paysage. Lorsque les campagnes ont supporté plusieurs semaines de sécheresse, une centaine de jours consécutifs de température supérieure à 20 degrés, qu'un manteau de poussière couvre tout, on a un instant cette impression de mort qui s'associe à l'été dans certaines mythologies de l'antiquité et du Mexique. L'humidité s'est réfugiée dans le sous-sol, où de leurs longues racines les arbres et arbustes vont la chercher. Les rivières dérobent leurs eaux sous un lit de galets. Sur les coteaux rocailleux il ne reste rien de la floraison riche et variée qui a éclaté au printemps. Mais les pluies cycloniques qu'amène généralement la dernière moitié de septembre mettent fin à cette crise de l'année. Octobre et novembre sont dans notre région méditerranéenne les mois pluvieux par excellence. Avec la fin de l'été se ravivent les brusques contrastes de température, dont l'influence parfois perfide, mais en somme plutôt tonique et raffermissante, est un des caractères de notre climat provençal.

Partout où la ceinture montagneuse règne autour de la Méditerranée, la transition du paysage est très brusque. Le contraste est complet à travers nos Cévennes : Karl Ritter, dans une de ses lettres de voyage, note combien, allant en diligence de Clermont à Nimes, ce changement rapide le frappa. Au contraire, dans la vallée du Rhône ce spectacle se morcelle et se multiplie. C'est successivement que les formes végétales méditerranéennes prennent congé : l'olivier vers les gorges de Viviers, le chêne vert au delà de Vienne; le mûrier au pied du Mont d'Or lyonnais, à peu près au point où les vignes d'espèces bourguignonnes, gamay, pineau, etc., se substituent aux plants qui rôtissent sur les coteaux du Rhône. Mais encore plus loin on trouverait quelques émissaires de la végétation méditerranéenne blottis à l'abri des escarpements calcaires du Jura méridional. De même, par la région des Causses, l'amandier, se glissant dans les replis des vallées, pénètre jusqu'à Marvejols; le chêne vert jusqu'à Florac et même s'avance aux environs de Rodez. Il semble que la végétation méditerranéenne, soit douée, sous l'influence du climat actuel, de force envahissante, et que les roches calcaires, par leur chaleur et leur sécheresse lui facilitent la marche vers le Nord.

Mais vers Grenoble déjà, vers Vienne, le cadre et le tableau ont

changé. Le soleil d'août, qui dessèche les vallées pierreuses de la Durance, fait étinceler dans la verdure celle du Graisivaudan. La prairie se mêle à la vigne et aux arbres fruitiers. La forêt couvre les massifs de la Grande-Chartreuse et du Vercors. Le feuillage clair du noyer s'épanouit dans un air humide quoique encore baigné de lumière. C'est que nous entrons dans la zone des étés mouillés, où l'été devient, suivant le régime de l'Europe centrale, la saison qui apporte la plus grande quantité de pluie. Ce sont les conditions qui règnent en Suisse, dans la Basse-Auvergne, et qui font de la Limagne un verger.

Lyon n'échappe pas entièrement au Midi; il en a surtout les brusqueries de température, la bise, d'assez fortes amplitudes dans les différences de chaud et de froid. En somme, pourtant, une note plus septentrionale domine dans le paysage. Cet aspect, déjà sensible dans le Bas-Dauphiné, plus accentué dans la Dombes, résulte surtout de la composition du sol. L'empreinte des anciens glaciers n'a pas disparu. Sous forme de dépôts boueux, de graviers et cailloutis, de limon décalcifié, d'argiles épaisses, les éléments triturés des anciennes moraines constituent au seuil du Midi « des terres froides» aux fréquents brouillards. La Bresse même, que les glaciers n'ont pas atteinte, a un sol imperméable où le voisinage de l'eau se devine à la fréquence des arbres, des « buissons », des prés, qui, avec les champs dont ils sont surmontés, se confondent en été dans un poudroiement de verdure.

La variété dans la France du Nord n'est pas moindre, mais elle est autre. Elle est faite de nuances, plus que de contrastes; elle se fond dans une tonalité plus douce.

Le relief se montre dans le Nord plus uniforme. Pour peu que l'oeil se soit habitué aux formes du Midi, il y a comme une impression de regret, une lueur de tristesse à laquelle peu de voyageurs échappent, dès qu'ils ont franchi le Massif central, devant la continuité des lignes et l'alanguissement des horizons.

VARIÉTÉ DANS

LA NATURE

DU NORD

LA FRANCE.

INFLUENCE

LA FRANCE

DU NORD.

Il résulte de cette uniformité de relief plus d'homogénéité dans le climat. C'est surtout de la France du Nord qu'on peut dire qu'elle OCEANIQUE DANS est au veni par rapport à l'Atlantique. Les dépressions barométriques dont, en hiver, l'Atlantique-Nord est le foyer, obéissent dans leur mouvement de translation vers l'Est à des trajectoires qui rencontrent généralement l'Irlande et la Norvège; mais l'ébranlement causé par ces tourbillons d'air humide et tiède se communique jusqu'à la Bretagne. C'est de là qu'à partir d'octobre, époque où ce régime a coutume de s'établir dans le Nord-Ouest de l'Europe, les pluies cycloniques ne tardent pas à gagner toute la France du Nord.

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