Images de page
PDF
ePub

français. Un État n'est pas, comme un pays, l'expression naturelle et presque spontanée de rapports issus du sol; c'est une œuvre de concentration artificielle et soutenue, qui vit d'actions et réactions réciproques. C'est à leur position au point le plus exposé que les Marches d'Autriche et de Brandebourg, parmi les Allemagnes; que la Moscovie, parmi les Russies, durent leur valeur politique. Là où l'antagonisme crée l'effort, se fixe la puissance. Quelque chose de semblable se produisit sur la ligne de rencontre où la vieille civilisation romane dut faire face au néo-germanisme constitué sur la mer du Nord. Dès les derniers temps de l'Empire romain, l'effort de résistance et par conséquent de contraction s'était visiblement porté vers la Gaule septentrionale Trèves, Metz, Reims, Paris même prennent alors une importance croissante. De plus en plus désormais, c'est dans la France du Nord que se concentrent les événements décisifs.

A vrai dire, le contact du monde germanique n'est pas pour nous borné, comme il l'est pour l'Italie, à un seul côté. Il enveloppe, il pénètre la France par l'Est comme par le Nord. Il s'exerce moins par chocs intermittents que par pression continue. Mais il y a une différence sensible de configuration et de conditions géographiques entre le germanisme danubien-rhénan et celui de la mer du Nord. La Suisse, la Souabe, la Franconie, l'Alsace, la Lorraine sont des contrées naturellement circonscrites, plus capables de réaliser un certain degré d'autonomie régionale que de s'élever par elles-mêmes au rang de grandes unités politiques. Combien plus étroits étaient les rapports, et plus âpre aussi le frottement, du côté où notre organisme national naissant rencontrait la contiguïté du germanisme commercial et maritime!

Principal marché de l'Europe, but de voies de commerce traversant, par la vallée du Rhône et la Champagne, notre territoire, la Flandre était plus qu'une voisine ses relations s'enchevêtraient étroitement avec nos intérêts; sa vie puissante était chez nous un exemple, une tentation et un stimulant de vie urbaine. Et quant à la vieille Angleterre historique, tournée vers ses Cinq-Ports, sa Tamise et son bassin de Londres, elle était bien plus proche de nous, bien plus engagée dans nos affaires que l'Allemagne danubienne et même rhénane. Cette Angleterre-là n'avait guère d'autre voisin que la France, d'autre expansion possible qu'à nos dépens; elle ne trouvait que chez nous le levier pour agir en dehors de son île. L'étranger pour nous fut d'abord le Normand, l'homme du Nord; puis l'Anglais. Tour à tour ou à la fois suivant les temps, la Flandre, Calais, le Ponthieu, la Normandie, la Bretagne, le Poitou et la Guyenne, furent des champs clos où piétina une ardente rivalité. L'histoire offre peu d'exemples d'un tel corps-à-corps.

CHAPITRE II

LE MASSIF PRIMAIRE DE BELGIQUE

ET DE L'ARDENNE

É

TROITEMENT unies dans une même zone de contact, les plaines du Nord et le Bassin parisien ne sont pas moins des contrées foncièrement distinctes.

Les plaines par lesquelles la Belgique confine à la France apparaissent au premier abord comme une contrée aussi uniforme par la nature des couches superficielles du sol que par le niveau général et le climat. Sur de grands espaces s'étendent des nappes limoneuses, amortissant les inégalités du relief. On les voit à Rocroi, à Maubeuge, à Mons-en-Pévèle, comme à Fleurus, Seneffe, et dans les larges ondulations qui dessinent le champ de bataille de Waterloo. Ces couches de limon présentent sans doute entre elles des différences: ici plus sèches, là plus humides; ici couvertes de moissons de blé, là verdoyantes de prés et d'arbres. Cependant, à ne juger que d'après la surface, l'œil retrouve un peu partout quelques-uns des horizons qui lui sont familiers dans les plaines également limoneuses qui se répartissent autour de Paris.

Il y a pourtant une grande différence entre ces plaines du Nord et celles du Bassin parisien. Si elle ne s'impose pas au regard, elle se trahit à bien des signes. Le sol est ressemblant, mais le sous-sol diffère. Dans le Bassin parisien les couches géologiques anciennes s'enfoncent à une grande profondeur; ici elles restent voisines de la surface. Parfois en saillie, parfois dans les creux, à fleur de sol ou à une faible profondeur, des roches appartenant aux âges silurien, dévonien, carbonifère et houiller 1, se maintiennent à portée de la vie extérieure, elles exercent directement une action sur l'homme. Les richesses minérales, qui manquent trop au Bassin parisien, foison

1. Voir ci-dessus, page 11, note 2.

VOISINAGE
DU MASSIF
PRIMAIRE.

nent ici. En réalité l'Ardenne et les plaines de la Belgique qui lui sont contiguës, font partie d'un même massif.

Il suffit, en effet, dans le Hainaut et le Brabant, que l'érosion des rivières ait quelque peu raviné la surface, pour voir affleurer, à Hal, à Gembloux, des schistes et des quartzites exploités de longue date; à Ath, Maubeuge, Tournai, les calcaires anciens qui ont fourni ces marbres bleuâtres si recherchés de tout temps dans les constructions du Nord de la France. Dans les plaines de Lens ou dans celles de Jemappes, au Nord de Mons, la surface ondule sous les moissons. Ici ce n'est pas par des pointements avivés par les eaux que se révèlent les vestiges du Massif archaïque, mais par les débris que l'homme y arrache et qu'il en rejette. Sans les montagnes de scories noires qui s'élèvent çà et là, on ne soupçonnerait pas la vie intense qui s'agite dans les galeries du sous-sol. Le substratum primaire n'est point, en effet, comme dans le Brabant, immédiatement recouvert par les dépôts tertiaires; les mers de la craie ont par transgression envahi cette partie de la région1. Mais les couches qu'elles ont laissées comme trace de leur séjour temporaire sont assez minces pour que l'homme ait pu les traverser sans trop de peine et retrouver la houille sous le plongement qui la dissimule.

Or, ces roches faiblement enfouies ou qui pointent çà et là, dans le Hainaut, le Brabant, une partie de la Flandre française et de l'Artois, jusque dans le Boulonnais enfin, on les retrouve occupant les surfaces, constituant des crêtes et des creux, des plateaux et des vallées, dès qu'on franchit, de Charleroi à Liége, la Sambre et la Meuse. La houille affleure au sol; les calcaires dressent des escarpements couleur de rouille. Un monde de roches, aux tonalités sombres, où pourtant les schistes verts ou violacés sont pénétrés par moments par la blancheur des veines de quartz, prend possession de la contrée.

L'esprit est assez naturellement amené à conclure que nous avons ainsi sous les yeux les parties d'un même tout, et que, sous des oscillations qui en ont légèrement enfoncé une partie tandis que l'autre était légèrement relevée, c'est le même massif primaire qui, dans l'Ardenne comme dans les plaines qui s'y appuient au NordOuest, constitue la charpente essentielle du sol. Telle est bien, en effet, la conclusion qui résulte, non seulement de l'analogie des roches, mais de celle des accidents auxquels elles ont participé. Il ne faut pas se laisser tromper par l'allure tranquille du relief extérieur

1. C'est sous les couches de craie qu'à Bernissart (Hainaut), des fouilles, entreprises en 1877 pour les mines, ont fait découvrir les ossements d'iguanodon, reptiles gigantesques qui habitaient une vallée profondément encaissée dans le terrain houiller (Musée royal d'histoire naturelle de Bruxelles). Les dépôts de la craie, en s'étalant en couches horizontales, avaient comblé ces inégalités du relief primaire.

[subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed]

CARTE 3.

Echelle 1:20000000

mpagne 40 kil

Le massif primaire de l'Ardenne plonge à l'Ouest sous des terrains plus récents, mais reste encore, en Belgique et dans le Boulonnais, voisin de la surface. Entre les plaines de Flandre et celles de Picardie s'ouvre un seuil vers la source de l'Escaut. Les plateaux limoneux du Vermandois et du Cambrésis se continuent par ceux de la Hesbaye, et tracent la voie vers Cologne et la plaine du Nord de l'Allemagne.

[graphic]

L'ARDENNE.

dans les parties où le substratum primaire a plongé sous la surface.
Ces croupes faiblement ondulées recouvrent un paysage souterrain
étonnant par l'intensité des failles et des dislocations qu'il révèle.
Les veines de houille plongent tout à coup, sont brusquement étran-
glées ou tranchées par les bancs de grès qui les encadrent. C'est
un massif tourmenté, énergiquement tordu et plissé, usé par les
agents météoriques, qui se dérobe à peine sous une mince couverture
récente. Il y a quelque chose de saisissant dans ce contraste, et les
réflexions qu'il éveille dans l'esprit de l'auteur de la Face de la Terre
viennent naturellement à l'esprit : « La charrue, dit-il, creuse tranquil-
lement son sillon sur l'emplacement des plus formidables cassures 1. »
Ce que
le sous-sol révèle seulement aux yeux du mineur dans la
partie actuellement enfoncée du massif, les coupes naturelles des
vallées le présentent à l'œil nu dans la partie actuellement émergée
et saillante. Cette partie a un nom : c'est l'Ardenne. Vieux mot
celtique qui, comme celui de Hardt, semble associer l'idée de hauteur
à celle de forêt.

Vue de la large et fertile vallée de la Meuse entre Sedan et Mézières, la ligne de l'Ardenne se présente moins comme hauteur que comme forêt. Une ligne sombre et basse barre l'horizon. Depuis Hirson jusqu'à Sedan et au delà, elle frappe, elle obsède la vue par sa continuité. Et par-dessus la vallée riante où luisent les eaux, ce « fond d'Ardenne » donne l'impression d'un monde différent, plus froid, plus rude, moins hospitalier. Les coteaux calcaires qui, sur l'autre versant de la vallée, dessinent le pourtour du bassin parisien, ne sont par endroits guère moins élevés que le bord immédiat qui leur fait face. N'importe L'œil aperçoit et devine des campagnes entre les bois qui parsèment leurs flancs secs et rougeâtres 2; il y retrouve les traits d'une topographie qu'on pourrait suivre tout le long de la Lorraine et de la Bourgogne : l'Ardenne, au contraire, semble la subite apparition de quelque fragment d'Europe archaïque.

La Meuse, en s'enfonçant dans le massif, permet d'en discerner la structure. Lorsqu'à Charleville elle quitte la direction de l'Ouest pour celle du Nord, elle enlace d'une boucle étroite un roc schisteux qui déjà tranche sur le paysage environnant. Désormais l'aspect de ses bords change, comme sa direction. La vallée se rétrécit entre des versants boisés ; d'anciennes terrasses, plaquées d'alluvions anciennes, marquent à diverses hauteurs les phases du travail accompli par le fleuve à l'approche du bloc résistant où il s'engage. Toutefois, ce n'est

1. Suess, La Face de la Terre (Das Antlitz der Erde), trad. française, t. I, chap. x11. (Paris, Armand Colin, 1897-1902, 3 vol.)

2. Par exemple, à la Marfée, en face de Sedan.

« PrécédentContinuer »