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I. 1. PL. 4. PAGE 64.

L'ARDENNE

LA MEUSE A MONTHERME. La rivière, rasant de près le plateau, continue aux dépens de celui-ci son travail d'érosion; elle dépose à l'intérieur de ses méandres les débris ainsi arrachés, qui s'étalent en plan incliné. C'est sur celle bande alluviale que sont établies les habitations et les cultures. Au fond s'aperçoit la surface horizontale du plateau. Cl. Boulanger,

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qu'à Château-Regnault qu'entre les plis des schistes et des grès cambriens, la Meuse s'encaisse étroitement. De là à Fépin, pendant plus de 30 kilomètres, elle serpente dans la gaine où l'emprisonnent de raides parois. Leurs couches presque partout à vif, rarement dissimulées sous des éboulis, trahissent une énergie de plissements qui ne le cède à aucune des plus hautes montagnes elles sont ployées et redressées parfois jusqu'à la verticale. Mais, à 250 ou 300 mètres environ au-dessus de la vallée, elles s'arrêtent brusquement tranchées par le plan de surface. Où l'on s'attendrait à voir les plis redressés se projeter en pics et en cimes, règnent des plateaux. Les bords alternativement convexes et concaves se correspondent par-dessus la vallée. Si quelques dentelures s'y dessinent par hasard, comme aux Quatre Fils Aymon », à Château-Regnault, c'est que quelques arêtes de quartz ont opposé à l'érosion une dureté encore supérieure à celle des schistes cambriens. Mais ces murailles ne sont que le soubassement de plateaux singulièrement uniformes, étendus, compacts. Si l'on gravit, par un des rares sentiers qui se détachent à droite ou à gauche, les pentes fangeuses et noires qui montent à travers bois, et que l'on atteigne un point découvert, on embrasse un vaste et plat horizon. De longues lignes unies s'enchevêtrent. Le sentiment de la hauteur ne résulte pas du modelé du relief, mais de la sauvagerie mélancolique de cet horizon de taillis et de tourbières. La forêt, «< immense forêt de petits arbres », dit Michelet, semble approcher de sa limite d'altitude, qu'abaisse en effet singulièrement l'humidité du climat. L'illusion de la montagne persiste, sans la montagne.

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C'est qu'en effet cette extrémité de l'Ardenne est le noyau le plus anciennement émergé de montagnes que l'usure des âges a aplanies. Quoiqu'elle ait été affectée par des accidents nombreux et répétés, dont quelques-uns récents, la partie du massif que constituent les roches d'âge cambrien n'a pas cessé pendant de longs âges de rester émergée, soit comme ile, soit comme continent. Elle a donc subi durant d'énormes périodes l'action des météores. Récemment un mouvement de bascule en a relevé le bord méridional; mais la topographie nivelée, arasée, conserve intact le type de relief qui rappelle nos plaines ordinaires, et que les géographes, pour cette raison, ont pris l'habitude de désigner par le nom de pénéplaine.

Ce n'est pas en saillie, mais en creux que s'accentue le modelé. Avant que le bord méridional du massif se relevât, la Meuse s'engageait de plain-pied sur la surface alors plus basse de l'Ardenne; on distingue ses alluvions anciennes jusqu'à des niveaux de plus de 80 mètres. Le mouvement de relèvement se produisit d'une façon

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VALLÉES ARDENNAISES.

assez graduelle, pour que la rivière n'eût pas à abandonner son lit; mais elle dut l'approfondir. Elle a buriné de plus en plus profondément sa vallée, dans son effort pour rétablir le profil de pente que la surrection avait dérangée. C'est aux dépens de roches très dures que ce travail a dû s'accomplir aussi la rivière est-elle encore comme ankylosée dans sa vallée. Elle n'a pu, du moins partout, exercer sur ses flancs latéraux le travail normal par lequel les fleuves dépriment leurs versants et préparent des sillons pour leurs tributaires. Il y a des sections de son cours qui ne présentent ni cônes d'éboulis, ni flancs évasés, ni affluents. Mais à ces gorges inflexibles où la Meuse est comme encaissée dans un étau, succèdent des boucles et des méandres extrêmement prononcés. Chaque fois, en effet, que l'enchevêtrement des formations lui fait rencontrer des couches plus entamables, elle se dédommage. Elle en profite pour allonger par des sinuosités le profil de son lit. Après être parvenue ainsi à se tailler aux dépens des roches les moins résistantes une rive concave, elle ne cesse pas de la ronger. Or à mesure qu'elle se rejette vers la concavité qu'elle rase et qu'elle ronge de plus en plus, elle abandonne sur le bord convexe une succession d'anciens lits. Leur ensemble finit par former un cône d'alluvions s'élevant en pente douce jusqu'au sommet du talus. Ce sommet, point résistant autour duquel a pivoté le travail d'érosion, est étroitement serré par la rivière; il se présente souvent comme un isthme conduisant à une péninsule circulaire comprise dans la boucle fluviale. Ainsi se sont achevés, par un travail successif, mais possible seulement sur certains points favorables, ces méandres caractéristiques, non seulement de la Meuse, mais de la plupart des rivières ardennaises.

Il fallait s'arrêter sur cette forme d'énergie fluviale; car c'est d'elle que dépend le site des cultures et des établissements humains dans l'étroitesse de ces vallées. Là seulement où la rivière a pu, par ses déplacements successifs, étendre un tapis légèrement incliné d'alluvions, les champs, prairies et jardins ont trouvé place. Jalouse de ne rien perdre du sol utile, la petite ville a pris généralement position sur le seuil rocheux qui ferme la boucle. On voit ainsi, à Revin, les vieilles et noires maisons en schistes se presser étroitement. Ces bourgs ardennais semblent à la gêne, et rivés, comme dans les pays de montagnes, à certaines conditions de site. Dans l'élargissement momentané de la vallée, aucun autre bourg et village ne leur fait face, tant la rive concave est abrupte. Et la vallée ne tardant pas à se resserrer de nouveau, chacun de ces cirques qui se succèdent ainsi, de Monthermé à Revin, de là à Fumay, est comme

1. Carte 4. Boucle de Revin.

un petit monde fermé. La rivière y semble un lac. Malgré l'industrie et l'activité de ces essaims de forgerons-agriculteurs, la vie reste recueillie et comme enveloppée de solitude. Le moindre bruit, celui d'une parole, du choc d'une poutre, d'un cri d'oiseau est perçu d'une rive à l'autre.

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Le site de Revin se répète à Fumay, Chooz, Bouillon sur la Semoy, Laroche-sur-Ourthe, etc. On y voit comment le travail de la rivière a corrigé sur quelques points les conditions imparfaites de la vallée ardennaise. Rongeant sa rive concave, elle a peu à peu accentué son méandre; et les alluvions étalées en pente douce sont le résultat de ses déplacements successifs. Dans l'étroit couloir que suit la Meuse, l'homme ne trouve que dans ces méandres l'occasion d'étendre un peu ses cultures.

Aussi est-ce avec un sentiment de délivrance que l'on échappe, entre Fumay et Givet, à l'oppression de cet étau. Le pays se découvre, les villages se répondent d'un bord à l'autre de la vallée, les forêts s'écartent et se font rares. Ce qui frappe singulièrement la vue, ce sont des roches calcaires, d'apparence dénudée, qui pointent de toutes parts. L'aspect du pays est bien encore celui des terrains anciens; ce sont en effet des roches primaires qui constituent la surface. Mais

BORDURE DE L'ARDENNE.

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