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En arrivant à Brienne, M. D'... se rendit surle-champ auprès de l'empereur, auquel il remit cette proclamation..... Après l'avoir lue, et sans laisser paraître la moindre émotion, Napoléon lui dit :

NAPOLÉON.

Qui vous a remis cette proclamation?

M. D'...

Je l'ai reçue par la poste depuis mon départ de Paris.

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Je vous recommande le secret; n'en parlez pas même à Berthier.

M. D'...

V. M. peut compter sur ma discrétion.

J'y compte.

NAPOLÉON.

Après ces mots, Napoléon changea de propos avec la plus grande liberté d'esprit, et dit à M. D... :

Nous avons eu bien des blessés.....: l'affaire d'hier a été très-chaude, et pas aussi heureuse que je l'espérais sans le dégel, l'ennemi était perdu..... Envoyez les blessés à Troyes, et qu'ils soient de suite évacués sur Paris.

M. D'...

Les ordres de V. M. seront exécutés.

NAPOLÉON.

Ecrivez souvent à Daru qui est à Troyes; faiteslui connaître nos besoins, il ne nous laissera manquer de rien. Ménagez le pays, les habitans sont si malheureux par cette guerre!

Le lendemain de la bataille de Brienne, l'empereur fit appeler plusieurs fois dans la journée l'ordonnateur en chef dont je viens de parler, afin d'avoir des renseignemens sur les subsistances de l'armée et sur les soins que l'on avait donnés aux blessés. On a si souvent et si injustement accusé ce prince de ne s'occuper que des intérêts

de sa propre gloire, qu'il paraîtra juste de faire mieux connaître la bonté de son caractère par ces épanchemens intimes qui peignent le cœur de l'homme tel qu'il est en effet. Ce jour-là Napoléon, assez content des dispositions qui avaient été prises pour l'armée, fit inviter M. D'..... à déjeûner avec lui. Avant de se mettre à table il lui fit les questions suivantes :

NAPOLÉON.

Où êtes-vous logé ?

M. D'...

Chez un fabricant de clous, avec deux de mes amis, les généraux Vincent et Montélégier.

NAPOLÉON.

Ce sont de bons et braves officiers....; ils sont rares aujourd'hui..., la guerre en a tant moissonné! Savez-vous que j'ai été effrayé hier en voyant ces pauvres conscrits aller en avant avec tant d'ardeur, mais ne sachant pas même charger leurs fusils, et encore moins les mettre en joue. Il est impossible de continuer la guerre avec de pareils soldats...; ils sont braves comme tous les Français, mais si ignorans, que les amis ont plus à craindre d'eux que les ennemis.....: les avez-vous vus?

M. D'...

Oui, sire; depuis le commencement de la campagne j'ai toujours admiré leur courage, et remarqué leur peu d'instruction.

NAPOLÉON.

Ces pauvres conscrits!... j'étais bien injuste à leur égard pendant mon séjour à Dresde... : cette similitude de blessures qu'ils avaient tous au petit doigt m'avait porté à les accuser de lâcheté; mais Larrey m'a rendu un grand service en me prouvant que ces blessures étaient le résultat de leur maladresse dans le maniement du fusil..., sans cela je les aurais bien maltraités. Larrey est un homme excellent; ceux de son espèce sont bien rares!

M. D'...

Toute l'armée le respecte et l'estime.

NAPOLÉON.

Je vais trouver ma garde à Troyes; avec elle je ferai de bonne besogne. Si j'avais seulement quatre-vingt-dix mille hommes comme elle, l'ennemi ne serait pas long-temps en France. La fortune est bien inconstante! Je pars de Châlons avec un beau froid; le dégel arrive, abîme les chemins, et mon mouvement sur Brienne, par

des chemins de traverse, est manqué. L'ennemi était anéanti sans ce maudit dégel.

M. D'...

Cette dégradation des chemins nous a fait perdre tous nos caissons de vivres et d'hôpitaux, depuis Vassy jusqu'à Brienne.

NAPOLÉON.

Nous en trouverons d'autres à Troyes... A propos de Vassy, vous n'avez parlé à personne de la proclamation du roi?

M. D'...

Non, sire.

NAPOLÉON.

Bien.

Pendant ce déjeûner, auquel était admis le prince Berthier, Napoléon, détournant ses pensées du spectacle douloureux que l'inconstante fortune rassemblait autour de lui, les reporta avec le plus doux abandon sur les jours de son enfance, si paisiblement écoulée dans ces mêmes lieux.....; il parla beaucoup des bontés qu'avait eues pour lui madame de Brienne, de l'École militaire, de plusieurs de ses anciens camarades,

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