Images de page
PDF
ePub

Par quel habit commencerai-je? dit le prince en rougissant de plaisir. Par celui-ci, dit la reine. Et voilà que, sans être gêné par la présence de ses maîtres, Godoï ôte son habit noir et endosse, avec l'aide des jeunes demoiselles, un uniforme tout massif de broderies, de galons et de décorations... Le roi voulut faire l'office de démonstrateur, mais la reine le prévint. Cavalier, c'est l'habit de premier ministre ! dit-elle avec empressement... Marchez, Manuel.-Oui marche! ajouta le roi qui ne pouvait contenir son admiration. L'entraînement et la gaîté de cette singulière parade furent partagés par mon malin ami, qui se mit à crier comme les autres: marchez, prince, marchez... et le prince marcha à la satisfaction générale, se pavanant avec fierté, comme s'il eût été chargé de reliques. Qu'il est beau, disait la reine, qu'il est beau! disait le roi; et le chœur de s'écrier, mon Dieu! qu'il est beau! Cette bizarre représentation fut renouvelée avec la même candeur pour l'habit de grand-amiral, de généralissime, de capitaine général, etc...; elle dura plus d'une heure, et il fut impossible de voir quel était le plus content du roi, de la reine, ou de leur favori, car il était le favori de tous deux. Le roi disait à cette époque: Après mon grand ami Napoléon, je n'en ai pas de meilleur que Manuel. Ce qui voulait dire en d'autres termes, vu les circonstances, que Godoï était ce qu'il aimait le mieux au monde. Cependant pour se conso

[ocr errors]

moi, que

ler de l'incertitude où il était de bien apprécier la somme de plaisir éprouvée par chacun de ces trois illustres personnages, M. de *** resta bien convaincu que personne n'en avait pris plus que lui. La reine reçut ses remercîmens comme d'un succès personnel, et Godoï avec toute la pruderie d'un candidat qui vient d'être élu. Je savais bien, cela ferait plaisir au cavalier, dit le roi. La pensée politique de cette cour et réellement la seule qui paraissait la dominer, c'était de parler toujours de sa pauvreté. Cependant, ni à Bayonne, ni à Compiègne, ni à Marseille, ni à Rome, le gouvernement impérial n'avait porté une investigation indiscrète sur les trente ou quarante millions que la reine d'Espagne avait apportés dans ses fourgons, tant en or, qu'en bijoux, diamans, pierreries, perles fines, vaisselle d'or, lingots..., etc., etc. Le prince de la Paix possédait également des sommes immenses que la protection de Napoléon, jusqu'aux malheurs de la guerre d'Espagne, lui avait fait recevoir, sans compter les capitaux que depuis long-temps il avait placés dans les principales banques de l'Europe. Personne n'y aurait fait attention à Rome comme ailleurs, si ce favori n'avait eu la maladresse habituelle de parler sans cesse de sa misère, du pain qu'il fallait laisser à ses pauvres enfans, et de la nécessité où il était de se priver de tout pour qu'ils ne fussent point réduits à l'aumône. J'achète des tableaux, disait-il, mais c'est pour

les revendre à mon grand ami le roi de Naples (Murat), et pour assurer du pain à mes enfans... c'est une SPÉCOULATION. Ce prince est un exemple bien rare d'un favori devenu avare au sein des richesses et après une chute éclatante, qui d'ordinaire dispose à l'indifférence des richesses périssables. Otium cum dignitate, honneur, estime, repos et considération, voilà les seuls biens que doit chercher à conserver un ministre déchu, et l'héritage le plus noble qu'il puisse laisser à ses enfans. Il faut toutefois le dire à la louange de Godoï: pendant la longue durée de son immense pouvoir, jamais il n'a fait répandre le sang, et n'a cherché à se venger d'un ennemi; il n'était pas méchant: il ne fut qu'égoïste et sans génie.

A la fin de 1813, la reine se cassa la jambe en descendant les degrés du palais Borghèse, qui ne forment pourtant que de simples arêtes de deux pouces de hauteur sur une rampe douce que le pape de ce nom montait sur sa mule. Lorsque cet accident arriva à la reine, elle donnait le bras à Godoï. Le système osseux de cette princesse avait depuis quelques années éprouvé une telle altération, que les gens de l'art qui furent appelés dans cette circonstance, ne laissèrent pas ignorer que le grave accident qui venait d'avoir lieu aurait pu arriver à la reine en marchant dans son salon. Lorsque nous étions à Bayonne, en 1808, j'avais entendu souvent parler de la grosseur excessive des jambes de cette princesse proportionnellement à

la petitesse de sa taille. Il est probable que cette dimension extraordinaire ne s'était établie qu'aux dépens de leur solidité. Effectivement, comme l'avaient dit les chirurgiens, à peine la reine futelle rétablie qu'elle se cassa encore la jambe en marchant dans son appartement; elle fut obligée de garder le lit pendant deux mois. Cette couche royale devint un véritable lit de parade, qui permettait à cette princesse de recevoir comme à son ordinaire. Godoï se tenait habituellement au pied du lit, et le roi se promenait dans la chambre en regardant ses montres et ses pendules : quant à la reine, elle affectait une grande parure; peut-être était-ce le cérémonial usité pour les reines d'Espagne en pareil cas Elle était coiffée en cheveux, qu'elle avait très-noirs, crépus et crêpés; et cette chevelure, ornée de pierreries, de chaînes, de fleurs et de plumes, ne s'accordait que trop bien par son mauvais goût avec son teint bilieux et flétri; sa physionomie, du reste, était sévère et ironique, et sa parole brève et impérieuse.

Le favori de ces trop faibles souverains leur a survécu. On le dit livré aux terreurs et aux regrets.

FIN DU QUATRIÈME VOLUME.

TABLE

DES MATIÈRES

CONTENUES

DANS LE QUATRIÈME VOLUME.

CHAPITRE PREMIER.

-

Page 1.- Le prompt retour de Louis XVIII dans sa capitale décon-
certe les projets de la coalition. - Déclaration des souverains alliés
contre nos chefs-d'œuvre des arts. Les chevaux de Corinthe.
Lettre du duc de Wellington à lord Castlereagh relative aux Musées
de Paris. Elle révèle les projets de spoliation.-Le duc de Welling-
ton se charge d'appliquer à la France les principes de morale émis par
lord Castlereagh dans sa lettre au prince de Hardenberg. · Marie-
Louise renonce pour elle et pour son fils au titre de majesté et à
toute prétention à la couronne de France. - Mensonges des feuilles
officielles à cet égard. — Position des membres de la famille de Na-
poléon à la fin de septembre 1815. Documens officiels sur le sé-
jour accordé en Autriche à la reine de Naples.-Traité de la Sainte
Alliance. Réflexions à ce sujet.

-

-

-

[blocks in formation]
« PrécédentContinuer »