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Α

Mr. Bernard Schmitz,

professeur de la philologie moderne.

8281 782500 18

English

Härrace. 12-19-29

14612

Introduction*).

C'est un fait généralement reconnu que la philosophie qui a régné au dix-huitième siècle en France, a pris son origine non pas dans l'esprit français lui-même, mais dans celui d'une nation voisine**). Ce fut en Angleterre que commencèrent à se développer les germes de cette révolution mémorable qui a eu lieu dans le domaine de la pensée. Les nouvelles idées et le nouvel état de choses, produits par la Révolution de 1688, les grandes découvertes de Newton, l'essor rapide des sciences exactes et naturelles, et surtout la philosophie sensualiste de Locke, si facile à comprendre, attirèrent tout d'un coup l'at

*) J'ai tiré les matériaux pour cette introduction des livres suivants: Ph. Damiron, Mémoires pour servir à l'histoire de la philosophie au 18me siècle, vol. I.

Ernest Bersot, La philosophie de Voltaire, avec une introduction et des notes. Paris, 1848.

M. Villemain, Cours de littérature française. Tableau du dixhuitième siècle, vol. I-III.

Herrmann Hettner, Literaturgeschichte des 18. Jahrhunderts, vol. I-II.

M. de Barante, Tableau de la littérature française au 18me siècle. Septième édition.

A. Vinet, Histoire de la littérature française au 18me siècle, vol. I-II. Je suis bien fâché de n'avoir pu me procurer l'Histoire de la littérature anglaise par Mr. Henri Taine, pour la comparer aux autres

ouvrages.

**) Voy. Julian Schmidt, Geschichte der französischen Literatur seit Ludwig XVI, vol. I, Einleitung, p 11. 15. Demogeot, Histoire de la littérature française. Douzième édition, p. 472. 473.

Ce

tention du public et l'encouragèrent à s'occuper de questions de métaphysique, de religion, de politique. L'aveugle confiance qu'on avait jusqu'alors mise en l'autorité de l'Église et en celle de l'État, céda à la force du doute et de la raison. Tout ce qui répugnait au bon sens, tout ce qui était en contradiction avec les exigences de la raison, fut réprouvé et anéanti. furent particulièrement les dogmes de la religion établie, qui furent soumis à la critique la plus sévère. On finit par nier la révélation, comme Locke avait nié les idées innées; et il se forma cette fameuse secte généralement connue sous le nom de déistes. Ces libres penseurs comptaient parmi leurs adhérents bien des membres de l'aristocratie, et s'entendaient avec les réformés français qui, exilés par la révocation de l'édit de Nantes, s'étaient retirés en Hollande et y avaient commencé la lutte acharnée contre le fanatisme et l'intolérance de la foi catholique.

On conçoit sans peine que Voltaire et Montesquieu, lorsqu'ils visitèrent l'Angleterre pour y étudier les moeurs et les institutions sociales, durent être saisis d'admiration d'un pays où régnaient ensemble la liberté de conscience et la liberté civile. sans nuire à la considération du gouvernement. Aussi est-il évident que ce fut Voltaire qui, dès son enfance ennemi implacable des ténèbres, s'enthousiasma des doctrines du déisme; qu'il y emprunta les armes pour la cause qu'il avait embrassée, et qu'il entrevit avec la plus vive joie l'occasion de retourner en sa patrie, pour y répandre les lumières et la tolérance. En vérité, Voltaire est le premier qui ait révélé l'Angleterre à la France"*). Son génie vulgarisateur propagea, avec une rapidité merveilleuse et avec un charme irrésistible, les écrits de Newton, de Locke, et de Pope, l'incrédulité de Collins, de Toland, de Chubb, et de Bolingbroke. Plus tard,

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*) Voy. A. Vinet, Histoire de la littér. fr. au dix-huitième siècle, vol. II. p. 59.

Montesquieu, Condillac, Jean-Jacques Rousseau, et d'autres suivirent son exemple. Montesquieu s'enfonça dans l'esprit de la constitution anglaise, et communiqua à ses compatriotes les nouvelles opinions qu'il y avait puisées. Rousseau et Condillac s'inspirèrents de Locke, et suivirent ses réflexions sur l'entendement humain, sur l'éducation, sur les intérêts politiques.

Telle fut l'influence que l'Angleterre exerçait au dix-huitième siècle sur l'esprit de la nation française. C'est donc de l'Angleterre que partit la première impulsion des rapides et vastes changements qui ont eu lieu dans tout l'ensemble des pensées et des institutions humaines.

Je n'ignore pas que beaucoup de savants se sont efforcés à faire voir cette influence de l'Angleterre sur la France, soit en caractérisant en général le contact immédiat qui existe entre les littératures de ces deux nations voisines, ou en démontrant spécialement les divers rapports qu'il y a entre quelques ouvrages anglais et français. Cependant, je ne crois faire rien d'inutile, quand je me propose de comparer trois ouvrages entre lesquels il se trouve, à ce qu'il me semble, de tels rapports, et qui, en même temps, nous font connaître quelques-uns des traits essentiels de cette philosophie sensualiste que professaient les déistes ou, comme on les appelait en Angleterre, les,freethinkers". Ces trois ouvrages auxquels je fais allusion, ce sont l'Essai sur l'Homme par Alexandre Pope, les sept DrScours sur l'Homme, et le Poème sur la Loi Naturelle par Voltaire.

Avant de faire cette comparaison, il faut que je donne quelques remarques préliminaires concernant la première publication des trois poèmes philosophiques, les sources dans lesquelles le poète anglais a puisé, et les rapports qui existent entre les deux auteurs Pope et Voltaire.

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