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La première épître de l'Essai sur l'Homme par Alexandre Pope fut publiée sous le voile de l'anonyme en 1732, la quatrième en 1734*). Mais d'après l'opinion de la plupart des littérateurs, les quatre épîtres parurent en 1733 et 1734**). Pour moi, je suis l'opinion de ces derniers. Les trois premiers des sept Discours sur l'Homme par Voltaire sont de l'année 1734, les quatre derniers de l'année 1737***). Enfin, quant au Poème sur la Loi naturelle, Voltaire le publia en 1756+). Cependant, quelques écrivains le mettent dans l'année. 1751++). Toutefois, il suffit de savoir que ce ne fut qu'après la première publication des Épîtres de Pope que les deux poèmes de Voltaire furent composés, et que le premier de ses Discours sur l'Homme fut pour la première fois imprimé en 1738+++).

J'ai rencontré dans l'édition de l'Essai sur l'Homme qu'a donnée Mr. Pattison, une observation intéressante, et je croirais manquer à un devoir, si je n'en faisais pas mention.

*) Voy. Pope's Essay on Man. edited by Mark Pattison, B. D. Oxford, 1873. Introductory, p. 5.

-

**) Voy. Rob. Chambers, Cyclopaedia of English Literature, vol. I, p. 555. Michaud, Biographie Universelle, vol. 34, p. 91-94. L'auteur (Mr. Villemain) dit:,,En 1733, Pope publia ses belles épîtres de l'Essai sur l'Homme, qui furent d'abord admirées sans que l'on en connût l'auteur".

***) Voy. Ernest Bersot, La Philosophie de Voltaire, p. 247. A. Vinet, Histoire de la littérature française au 18me siècle, vol. II, p. 40. Oeuvres Complètes de Voltaire, Édition publiée à Gotha (1785), vol. LXXI, p. 417. Collection Complette des Oeuvres de Mr. de Voltaire. Genève, 1768. Vol. I, p. 316.

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97.

† Voy. A. Vinet, Hist. de la litt. fr. au 18me siècle, vol. II, p. 48. Oeuvres Complètes de Voltaire. Éd. publiée à Gotha (1785, vol. XII. On y trouve (p. 82, note) la remarque suivante:,,L'auteur parle ici du Poème sur le Désastre de Lisbonne, qui parut avec celui de la Loi Naturelle". Ce dernier poème fut publié en 1756 (Voy. Oeuvres Compl. de Voltaire, Éd. publ. à Gotha, vol. LXXI, p. 420).

††) E. Bersot, La Philosophie de Voltaire, p. 291. Pope's Essay

on Man ed. by M. Pattison, Introduct. p. 23.

ttt) Oeuvres Compl. de Voltaire, Éd. de Gotha, vol. XII, 11.

p.

Cet éditeur dit dans la préface de son ouvrage (p. 3. 4.): „,The ,,argument of the Essay on Man is said to have been supplied ,,to Pope by Bolingbroke. The source of this tradition is Lord ,,Bathurst. We may believe that he (c'est-à-dire Milord ,,Bathurst) was in the habit of stating that Bolingbroke had ,,supplied the scheme of the Essay on Man in prose, and ,,that Pope had done no more than put it into verse. This is ,,reported by two independent and trustworthy witnesses. Jo,,seph Warton states, Pope's Works, vol. 3. p. 7, that Lord ,,Bathurst had „,repeatedly assured" him of the fact. Dr. Hugh ,,Blair, dining with Lord Bathurst in 1763, was told by him ,,in still stronger language,,that the Essay on Man was com,,posed by Lord Bolingbroke in prose, and that Mr. Pope did ,,no more than put it into verse." J'ai beaucoup de regret de n'avoir pas eu l'édition de Joseph Warton à mes ordres, pour me convaincre par moi-même de ce qu'il dit. Cependant, je suis loin de douter du rapport de Mr. Pattison, à plus forte raison que Mr. Villemain a porté un jugement semblable sur Pope, en disant que ce dernier ,,versifiait les idées de Bolingbroke, sans être incrédule comme lui"*). Il est juste de dire que Mr. Pattison ajoute à ce que je viens de citer, cette remarque judicieuse: It was from Bolingbroke's conversation ,,that the poet derived not only many of his ideas, but the ..impulse to meddle with speculations for which he was little ,fit. But the internal evidence alone is inconsistent with the ,,supposition that Pope proceeded on the mechanical plan of ,,versifying Lord Bolingbroke's prose." En vérité, il est trèsinvraisemblable qu'un homme tel que Pope se fut contenté de versifier la prose de son ami, d'autant plus que l'on a démêlé les auteurs auxquels il a emprunté la matière de son

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*) Villemain, Cours de littérature française. Tabl. du 18me siecle. vol. I, p. 186.

Essai. Lessing*), dans son traité: Pope ein Metaphysiker!" (Danzig, 1755) a fait voir que ce poète a tiré beaucoup d'idées pour ses Épîtres sur l'Homme en partie des ,, Characteristics of men, manners, opinions", etc. de Shaftesbury (publiés en 1711), en partie du livre de l'archevêque King, intitulé:,,De origine mali" (1702). Aussi Mr. . Pattison constate-t-il ce fait. Après avoir indiqué que plusieurs passages contenus dans les ,,Fragments" de Bolingbroke ressemblent à des passages dans l'Essai sur l'Homme. l'éditeur continue:,,But the arguments or topics of the poem are ,,to be traced to books in much vogue at that time; to Shaf,,tesbury's Characteristics (1711), King, On the Origin ,,of Evil (1702), and particularly to Leibnitz, Essais de ,,Théodicée (1710)**). Pour moi, je me suis borné à lire les Essais de Théo dicée par Leibnitz et les Characteristics de Shaftesbury (parce que les Fragments de Bolingbroke aussi bien que le livre de Mr. King n'ont pas été à ma disposition); j'ai donc la pleine conviction que Pope a mis à profit les ouvrages de Shaftesbury et de Leibnitz, quoiqu'il n'ait pas compris plusieurs idées de ces deux auteurs***).

C'est peut-être ici le lieu de discuter une question importante qui a été laissée jusqu'à présent indécise. Il s'agit de savoir si Pope fut convaincu de la vérité de ce qu'il dit dans son Essai sur l'Homme, ou s'il composa des poèmes irréligieux, sans être en effet incrédule (Voy. plus bas). Plusieurs savants sont d'opinion que Pope fut un catholique fort zélé et bien éloigné de douter des dogmes de la religion établie. C'est surtout Mr. Villemain

*) G. E. Lessing's sämmtliche Schriften, herausgegeben von Karl Lachmann, vol. V, p. 30. 32.

** Pope's Essay on Man edited by Mark Pattison. Introductory,

p. 4. 5.

***) G. E. Lessing's sämmtliche Schriften, herausgegeben von Karl Lachmann, vol. V, p. 30. Pope's Essai on Man ed. by M. Pattison,

Introduct. p. 9.

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qui défend cette opinion en disant que le poète anglais était mécontent de l'irréligion de Bolingbroke, tout en admirant son génie et sa métaphysique" (Voy. Villemain, Cours de litt. fr. Tabl. du 18me siècle, vol, I, p. 180), et, dans un autre endroit du même ouvrage (vol. I, p. 186) que ,,Pope versifiait les idées de Bolingbroke, sans être incrédule comme lui." Mr. Villemain semble donc croire que le poète anglais fut en effet un membre sincère de l'Église catholique, et que ce fut seulement pour s'amuser qu'il choisit pour sujet de son poème les doctrines du déisme. J'ai trouvé un autre passage qui, de même, fait allusion, ce me semble, à la catholicité de Pope. La Biographie Universelle de Michaud contient l'observation suivante (vol. 34, p. 92): „L'Essai sur l'Homme suscita contre Pope un nouveau genre de critiques. On accusa la philosophie chantée par le poète d'être irréligieuse, au moins dans les conséquences: par bonheur le savant et fougueux Warburton, jusquelà censeur amer de Pope, s'avisa de prendre parti pour les principes de l'Essai sur l'Homme et défendit le disciple de Bolingbroke en le couvrant de son orthodoxie théologique et anglicane." La même pensée se trouve dans le livre de Mr. Pattison*):,,Pope was in extreme alarm at being supposed to have written against religion, and was accordingly grateful when Warburton came forward to vindicate the orthodoxy of the Essay."

Cependant, on peut avoir recours à une autre conjecture; c'est-à-dire, qu'il est permis de supposer que l'auteur des Épîtres sur l'Homme n'était point un enfant sincère de son Église, et qu'il en observait seulement les cérémonies extérieures, sans être convaincu de la vérité de ses dogmes. Quant à moi, je ne m'oppose pas à adopter cette dernière opinion; de plus, j'avance même que Pope ne peut passer pour un bon catholique dans le sens le plus rigoureux du mot, quoiqu'il se soit soumis

) Pope's Essay on Man ed. by M. Pattison, p. 11.

extérieurement à tout ce que l'Église prescrit. Pour prouver la vérité de mon assertion, je vais alléguer plusieurs passages que j'ai rencontrés dans les lettres de Pope à ses amis, et qui font connaître jusqu'à l'évidence les vrais sentiments du poète en fait de religion. Je vais énumérer ces passages remarquables selon l'ordre chronologique:

1o,,The concern which you more than seem to be affected ,,with for my reputation, by the several accounts you have so ,,obligingly given of what reports and censures the holy Van.,dals have thought fit to pass upon me, makes me desirous of ,,telling so good a friend my whole thoughts of this matter; ,,and of setting before you, in a clear light, the true state of it.

,,I have ever believed the best piece of service one could ,,do to our religion, was openly to express our detestation and ,,scorn of all those mean artifices and piae fraudes, which ,,it stands so little in need of, and which have laid it under ,,so great a scandal among its enemies.

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There*) may be Errors, I grant, ,,but I can't think them of such consequence as to destroy utterly ,,the charity of mankind; the greatest bond in which we are ,,ingaged by God to one another: therefore, I own to you, I was „glad of any opportunity to express my dislike of so shocking ,,a sentiment**) as those of the religion I profess are commonly ,,charged with.

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May I be ever guilty of this ,,sort of liberty, and latitude of principle!" (Letter to the Hon. J. C. Esq.; July 19, 1711)***).

2o,,I think it was a generous thought, and one that flowed ,,from an exalted mind, That it was not improbable but God

*) Pope parle ici des religions qui different de la foi catholique. **) C'est-à-dire, l'intolérance des prêtres catholiques.

***) Voy. The Works of Alexander Pope Esq. London, 1751. Vol. VII, p. 168. 169 171.

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