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GÉRONTE.

C'est ce que je ne savois pas, et je vous demande pardon de mon ignorance.

SGANARELLE.

Il n'y a point de mal; et vous n'êtes pas obligé d'être aussi habile

que nous.

GÉRONTE.

Assurément. Mais, Monsieur, que croyez-vous qu'il faille faire à cette maladie?

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Mon avis est qu'on la remette sur son lit, et qu'on lui fasse prendre pour remède quantité de pain trempé dans du vin.

Pourquoi cela, Monsieur ?

GÉRONTE.

SGANARELLE.

Parce qu'il y a dans le vin et le pain, mêlés ensemble, une vertu sympathique qui fait parler. Ne voyez-vous pas bien qu'on ne donne autre chose aux perroquets, et qu'ils apprennent à parler en mangeant de cela?

GÉRONTE.

Cela est vrai. Ah! le grand homme ! Vite, quantité de pain et de vin.

SGANARELLE.

Je reviendrai voir, sur le soir, en quel état elle sera.

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Qui va là? Heu? ma peur à chaque pas s'accroît !

Messieurs, ami de tout le monde.

Ah! quelle audace sans seconde

De marcher à l'heure qu'il est!

Que mon maître, couvert de gloire,

Me joue ici d'un vilain tour!

Quoi? si pour son prochain il avoit quelque amour,
M'auroit-il fait partir par une nuit si noire?
Et, pour me renvoyer annoncer son retour

Et le détail de sa victoire,

Ne pouvoit-il pas bien attendre qu'il fût jour?
Sosie, à quelle servitude

Tes jours sont-ils assujettis!

Notre sort est beaucoup plus rude
Chez les grands que chez les petits.

Ils veulent que pour eux tout soit, dans la nature,

Obligé de s'immoler.

Jour et nuit, grêle, vent, péril, chaleur, froidure,
Dès qu'ils parlent, il faut voler.

Vingt ans d'assidu service

N'en obtiennent rien pour nous;
Le moindre petit caprice

Nous attire leur courroux.

Cependant notre âme insensée

S'acharne au vain honneur de demeurer près d'eux,

Et s'y veut contenter de la fausse pensée

Qu'ont tous les autres gens, que nous sommes heureux.
Vers la retraite en vain la raison nous appelle;
En vain notre dépit quelquefois y consent:
Leur vue a sur notre zèle

Un ascendant trop puissant,

Et la moindre faveur d'un coup d'œil caressant
Nous rengage de plus belle.
Mais enfin, dans l'obscurité,

Je vois notre maison, et ma frayeur s'évade.
Il me faudroit, pour l'ambassade,
Quelque discours prémédité.

Je dois aux yeux d'Alemène un portrait militaire
Du grand combat qui met nos ennemis à bas;
Mais comment diantre le faire,

Si je ne m'y trouvai pas?

N'importe, parlons-en et d'estoc et de taille,
Comme oculaire témoin :

Combien de gens font-ils des récits de bataille
Dont ils se sont tenus loin?

Pour jouer mon rôle sans peine,

Je le veux un peu repasser.

Voici la chambre où j'entre en courrier que

Et cette lanterne est Alcmène,

A qui je me dois adresser.

(Sosie pose sa lanterne à terre.)

l'on mène,

« Madame, Amphitryon, mon maître et votre époux,... (Bon! beau début!) l'esprit toujours plein de vos charmes,

M'a voulu choisir entre tous,

Pour vous donner avis du succès de ses armes,

Et du désir qu'il a de se voir près de vous. » « Ah! vraiment, mon pauvre Sosie,

A te revoir j'ai de la joie au cœur. »

« Madame, ce m'est trop d'honneur,

Et mon destin doit faire envie. »

(Bien répondu !) « Comment se porte Amphitryon? »
« Madame, en homme de courage,
Dans les occasions où la gloire l'engage. »
(Fort bien ! belle conception!)

« Quand viendra-t-il, par son retour charmant,
Rendre mon âme satisfaite? »

« Le plus tôt qu'il pourra, Madame, assurément,
Mais bien plus tard que son cœur ne souhaite. »
(Ah !) « Mais quel est l'état où la guerre l'a mis?
Que dit-il? que fait-il? Contente un peu mon âme. »
« Il dit moins qu'il ne fait, Madame,

Et fait trembler les ennemis. »

(Peste! où prend mon esprit toutes ces gentillesses?) « Que font les révoltés ? dis-moi, quel est leur sort? » << Ils n'ont pu résister, Madame, à notre effort: Nous les avons taillés en pièces,

Mis Ptérélas leur chef à mort,

Pris Télèbe d'assaut; et déjà dans le port

Tout retentit de nos prouesses. »

« Ah ! quel succès! ô Dieux! Qui l'eût pu jamais croire? Raconte-moi, Sosie, un tel événement. »

« Je le veux bien, Madame; et, sans m'enfler de gloire, Du détail de cette victoire

Je puis parler très savamment.
Figurez-vous donc que Télèbe,

Madame, est de ce côté.

(Sosie marque les lieux sur sa main, ou à terre.)

C'est une ville, en vérité,

Aussi grande quasi que Thèbe.

La rivière est comme là.
Ici nos gens se campèrent;

Et l'espace que voilà,

Nos ennemis l'occupèrent.

Sur un haut, vers cet endroit,

Étoit leur infanterie ;

Et plus bas, du côté droit,
Étoit la cavalerie.

Après avoir aux Dieux adressé les prières,

Tous les ordres donnés, on donne le signal.

Les ennemis, pensant nous tailler des croupières,
Firent trois pelotons de leurs gens à cheval;
Mais leur chaleur par nous fut bientôt réprimée,
Et vous allez voir comme quoi.

Voilà notre avant-garde à bien faire animée;
Lå, les archers de Créon, notre roi;

Et voici le corps d'armée,

(On fait un peu de bruit.)

Qui d'abord.... Attendez: » le corps d'armée a peur. J'entends quelque bruit, ce me semble.

SCÈNE II

MERCURE, sous la forme de Sosie.

Sous ce minois qui lui ressemble,
Chassons de ces lieux ce causeur,

Dont l'abord importun troubleroit la douceur
Que nos amants goûtent ensemble.

SOSIE, sans voir Mercure.

Mon cœur tant soit peu se rassure, Et je pense que ce n'est rien. Crainte pourtant de sinistre aventure, Allons chez nous achever l'entretien.

MERCURE, à part.

Tu seras plus fort que Mercure,

Ou je t'en empêcherai bien.

SOSIE, sans voir Mercure.

Cette nuit en longueur me semble sans pareille.
Il faut, depuis le temps que je suis en chemin,
Ou que mon maître ait pris le soir pour le matin,
Ou que trop tard au lit le blond Phébus sommeille,
Pour avoir trop pris de son vin.

MERCURE, à part.

Comme avec irrévérence

Parle des Dieux ce maraud!

Mon bras saura bien tantòt

Châtier cette insolence;

Et je vais m'égayer avec lui comme il faut,
En lui volant son nom avec sa ressemblance.

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