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Scène à scène averti de ce qui s'alloit faire;
Et jusques à des vers qu'il en savoit par cœur,
Il me les récitoit tout haut avant l'acteur.

J'avois beau m'en défendre, il a poussé sa chance,
Et s'est devers la fin levé longtemps d'avance;
Car les gens du bel air, pour agir galamment,
Se gardent bien surtout d'ouïr le dénoûment.
Je rendois grâce au Ciel, et croyois de justice,
Qu'avec la comédie eût fini mon supplice;
Mais, comme si c'en eût été trop bon marché,
Sur nouveaux frais mon homme à moi s'est attaché,
M'a conté ses exploits, ses vertus non communes,
Parlé de ses chevaux, de ses bonnes fortunes,
Et de ce qu'à la cour il avoit de faveur,
Disant qu'à m'y servir il s'offroit de grand cœur.
Je le remerciois doucement de la tête,
Minutant à tous coups quelque retraite honnête;
Mais lui, pour le quitter me voyant ébranlé :
« Sortons, ce m'a-t-il dit, le monde est écoulé. »
Et, sortis de ce lieu, me la donnant plus sèche,
<< Marquis, allons au Cours faire voir ma galèche1.
Elle est bien entendue, et plus d'un duc et pair
En fait à mon faiseur faire une du même air. »>

Moi, de lui rendre grâce, et, pour mieux m'en défendre,

De dire que j'avois certain repas à rendre.

<< Ah! parbleu! j'en veux être, étant de tes amis, Et manque au maréchal à qui j'avois promis.

- De la chère, ai-je fait, la dose est trop peu forte Pour oser y prier des gens de votre sorte.

Non, m'a-t-il répondu, je suis sans compliment, Et j'y vais pour causer avec toi seulement;

Je suis des grands repas fatigué, je te jure.

Mais si l'on vous attend, ai-je dit, c'est injure....
-Tu te moques, marquis; nous nous connoissons tous,
Et je trouve avec toi des passe-temps plus doux. »
Je pestois contre moi, l'âme triste et confuse

Du funeste succès qu'avoit eu mon excuse,
Et ne savois à quoi je devois recourir

1. Galèche, pour calèche, se lit dans les premières éditions.

Pour sortir d'une peine à me faire mourir,
Lorsqu'un carrosse fait de superbe manière,
Et comblé de laquais et devant et derrière,
S'est, avec un grand bruit, devant nous arrêté,
D'où sautant un jeune homme amplement ajusté,
Mon Importun et lui, courant à l'embrassade,
Ont surpris les passants de leur brusque incartade;
Et tandis que tous deux étoient précipités
Dans les convulsions de leurs civilités,

Je me suis doucement esquivé sans rien dire;
Non sans avoir longtemps gémi d'un tel martyre,
Et maudit ce Fâcheux, dont le zèle obstiné
M'ôtoit au rendez-vous qui m'est ici donné

LA MONTAGNE.

Ce sont chagrins mêlés aux plaisirs de la vie.
Tout ne va pas, Monsieur, au gré de notre envie.
Le Ciel veut qu'ici-bas chacun ait ses Fâcheux,
Et les hommes seroient sans cela trop heureux.

SCÈNE III

LYSANDRE.

Sous ces arbres, de loin, mes yeux t'ont reconnu,
Cher marquis, et d'abord je suis à toi venu.
Comme à de mes amis, il faut que je te chante
Certain air que j'ai fait de petite courante1,
Qui de toute la cour contente les experts,
Et sur qui plus de vingt ont déjà fait des vers.
J'ai le bien, la naissance, et quelque emploi passable,
Et fais figure en France assez considérable,
Mais je ne voudrois pas, pour tout ce que je suis,
N'avoir point fait cet air qu'ici je te produis.

(Il prélude.)

La, la, hem, hem, écoute avec soin, je te prie. (Il chante sa courante.)

N'est-elle pas belle?

1. La courante était la danse à la mode avant le menuet.

Ah!

ÉRASTE.

LYSANDRE.

Cette fin est jolie.

(Il rechante la fin quatre ou cinq fois de suite.)

Comment la trouves-tu ?

ÉRASTE.

Fort belle, assurément.

LYSANDRE.

Les pas que j'en ai faits n'ont pas moins d'agrément,

Et surtout la figure a merveilleuse grâce.

(Il chante, parle et danse tout ensemble, et fait faire à Éraste
les figures de la femme.)

Tiens, l'homme passe ainsi; puis la femme repasse;
Ensemble; puis on quitte, et la femme vient là.
Vois-tu ce petit trait de feinte que voilà?

Ce fleuret? ces coupés courant après la belle?
Dos à dos, face à face, en se pressant sur elle.
Que t'en semble, marquis?

ÉRASTE.

Tous ces pas-là sont fins.

LYSANDRE.

Je me moque, pour moi, des maîtres baladins.

On le voit.

ÉRASTE.

LYSANDRE.

Les pas donc...?

ÉRASTE.

N'ont rien qui ne surprenne

LYSANDRE.

Veux-tu, par amitié, que je te les apprenne?

ÉRASTE.

Ma foi, pour le présent, j'ai certain embarras....

LYSANDRE.

Hé bien! donc, ce sera lorsque tu le voudras.

Si j'avois dessus moi ces paroles nouvelles,
Nous les lirions ensemble, et verrions les plus belles.

Une autre fois.

ÉRASTE.

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LYSANDRE.

Adieu; Baptiste1 le très cher

N'a point vu ma courante, et je le vais chercher :
Nous avons pour les airs de grandes sympathies,
Et je veux le prier d'y faire des parties.

(Il s'en va chantant toujours.)
ÉRASTE.

Ciel! faut-il que le rang, dont on veut tout couvrir,
De cent sots tous les jours nous oblige à souffrir,
Et nous fasse abaisser jusques aux complaisances
D'applaudir bien souvent à leurs impertinences!

1. Jean-Baptiste Lulli, qu'il appelle familièrement Baptiste.

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PANCRACE, se tournant du côté par où il est entré, et sans voir Sganarelle.

Allez, vous êtes un impertinent, mon ami, un homme bannissable de la république des lettres.

SGANARELLE.

Ah! bon, en voici un fort à propos.

PANCRACE, de même, sans voir Sganarelle.

Oui, je te soutiendrai par vives raisons que tu es un ignorant, ignorantissime, ignorantifiant et ignorantifié, par tous les cas et modes imaginables.

SGANARELLE, à part.

Il a pris querelle contre quelqu'un. (A Pancrace.) Seigneur.... PANCRACE, de même, sans voir Sganarelle.

Tu veux te mêler de raisonner, et tu ne sais pas seulement les éléments de la raison.

SGANARELLE, à part.

La colère l'empêche de me voir. (A Pancrace.) Seigneur....

PANCRACE, de même, sans voir Sganarelle.

C'est une proposition condamnable dans toutes les terres de la philosophie.

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