Images de page
PDF
ePub

On entend manifestement dans ces paroles Malebranche et Fénelon. Thomassin développe ces choses dans la plus grande partie de ce livre avec une puissance d'analyse, une plénitude et une richesse que Malebranche n'avait qu'à traduire. Mais Malebranche n'a pas traduit : il a écrit de son propre fond les mêmes choses; ce sont, pour la même vérité, deux témoignages.

[ocr errors]

Après avoir considéré Dieu comme Vérité, Thomassin le considère comme Amour, et montre en nous la donnée divine sous la forme d'amour: « L'origine de tout amour en nous, c'est notre connais<«< sance innée, notre désir inné de la beauté sou<< veraine1. Dieu est amour, et nous possédons « Dieu précisément aussi intime, aussi présent, « aussi connu, que nous avons d'amour pour lui et pour nos frères. L'amour en nous, toute vraie << vertu en nous, est la forme divine qui s'imprime << en notre âme, et s'y imprime perpétuellement.

Verbo esse, ipsum Verbum esse, ex sanctis Patribus: sacram omnem æque ut humanam sapientiam, Philosophiam, Theologiam, ex Idearum contemplatione pendere.......... Id fieri immediata et jugi præsentia veritatis et mentis. Lib. III. Titres de plusieurs chapitres.

1 Amoris, etiam ejus qui in creatas res effunditur, origo est, insita animabus summi pulchri cognitio, appetitio, cognatio. Lib. III, cap. XXII. Titre du § 5.

«< Dieu est la loi éternelle de l'amour, par laquelle «< il vit lui-même, et par laquelle il fait vivre toutes << les natures intelligentes'. >>

Telle est l'analyse vraie, complète, vraiment philosophique du fait psychologique complexe qu'on a vaguement appelé l'idée innée de Dieu. Dieu est, l'âme est : l'âme sent tout ce qui est ; elle sent l'Être de Dieu par le fond mystérieux de son être; douée d'intelligence, c'est-à-dire de vision intellectuelle, elle connaît plusieurs choses comme absolument vraies, comme éternellement vraies, ce qui est une certaine vue de Dieu; douée de volonté, elle veut aimer, elle cherche la beauté, elle cherche quelque chose de la loi morale de l'amour : ce qui est un certain désir de Dieu qui est la souveraine beauté.

VI.

Et remarquons ici que cette donnée divine implicite, dans laquelle nous avons distingué trois éléments, le tact, la vue, et le désir de Dieu, consi

1 Deus dilectio est, et tam intimum, præsentem notumque illum habemus, quam amorem quo in eum, imo et quo in proximum fervemus. Charitas quippe et virtus quælibet nostra vera, illa summa, exemplaris, et divina forma est nobis insculpta et impressa,

déré comme être, comme vérité, comme amour, est essentiellement une comme l'âme, comme Dieu lui-même. Dieu peut être connu et par la surface claire de la pensée, où sont les principes évidents et les axiomes, et par la profondeur cachée du sentiment, quand toutefois ces deux extrêmes viennent à s'unir par un mouvement de la vie qui en montre l'identité et les ramène à l'unité : mouvement qui est à la fois, et instinctif, et rationnel, et volontaire. Là est le fondement de ce que l'on commence à comprendre, que la démonstration de l'existence de Dieu, partant des idées nécessaires prises en elles-mêmes, si elle est isolée, périclite ; mais qu'elle doit s'appuyer sur celle qui monte à Dieu par ses effets dans l'âme; qu'enfin l'affirmation décisive implique un élément volontaire et un acte de liberté. Il en serait de la connaissance naturelle de Dieu, comme de la connaissance surnaturelle, dont Jésus-Christ parle dans l'Évangile, lorsqu'il dit : << Nul ne peut venir à moi, si mon Père ne l'attire » Ce qui signifie que le Fils, Verbe éternel, monde des idées, visible dans la chair, appelle l'homme du dehors, et que le Père, principe de l'Être profondé

nt annulus ceræ; nec semel impressa, sed jugiter et semper imprimenda. Lib. 11, cap. XXXIII. Titre du § II,

ment caché dans le secret de l'âme, l'attire intérieurement : sous cet attrait et cette lumière, la volonté qui veut l'amour, mais qui est libre entre l'amour universel et l'autre amour, l'amour de soi, se décide, et choisit Dieu ou une idole.

Ajoutons deux autres remarques de Thomassin lui-même: « Je ne puis pas, dit-il, ne pas signaler << ici deux points d'une très-grande importance.

« D'abord ce n'est pas surtout le germe de la con« naissance innée, c'est celui de l'amour inné du <«< beau, que poursuivent les vrais philosophes, « comme moyen de monter plus haut. La raison en « est peut-être que si nos amours reposent toujours << sur quelque vague connaissance de l'objet, cependant tous les hommes sont plus certains de « leur amour que de leur connaissance, et sentent << bien qu'ils aiment la beauté, le bonheur, sans sa<< voir ce que sont ces choses en elles-mêmes. Les <«< connaissances naturelles à l'âme y sont oisives en

«

quelque sorte, et n'y sont pas senties, et ne se << trouvent que par la réflexion. Mais nos amours « se déploient d'eux-mêmes, souvent avec tumulte, << et il n'est pas d'esprit si grossier, si inculte qui ne << les aperçoive.

[ocr errors]

<< En outre, ces philosophes ont sans doute << trouvé plus utile de commencer par employer

«à

<< nos sentiments et nos amours, et d'élever peu peu notre cœur à l'éternel et au divin, que << de tenter le même passage à partir des idées né«<< cessaires naturellement données à tous. Et cela « parce que l'amour, en effet, guide mieux et per"suade mieux les hommes que des arguments épi<< neux. En outre, il vaut bien mieux parvenir au

« but par l'amour que par la spéculation, puisque

<«<le tact du cœur et ses ardents embrassements « nous font sentir et goûter Dieu beaucoup mieux << que l'intelligence. D'autant plus que cet amour « même purifie l'œil de l'âme, et lui donne la puis<< sance de la divine contemplation'. »

'Non possum non hic obiter monere duo quædam, quæ magni mihi quidem videntur omnino ponderis. Primum est non tam scmina cognitionum innatarum de pulchris, quam initia quædam affectuum omnibus ingenita, captari ab his Philosophis, ut hinc ad superiora progrediendi occasio arripiatur. In causam esse potuit, quod etsi affectus isti non possint non superstrui notitiæ cuidam rudi: quandoquidem ignoti nulla cupido: certiores pene sunt tamen omnes homines, amari a se naturali instinctu pulchritudinem, beatitatem, et alia id genus, quam eorum inesse sibi notitiam a natura inscriptam. Eccur autem ita affecti et comparati sint homines, ea forsan ratio promi poterit: quod notitiæ in mente naturaliter inscriptæ, sponte sua otiosæ quodammodo sint, nec sentiantur, nisi in seipsam reflectatur mens. At affectus exerciti et tumultuosi fere sunt, ideoque neminem quantumvis rudem latere possunt.

Alterum est, illud etiam fortasse his Philosophis conducibilius

« PrécédentContinuer »